Cette licence fait la bonne fortune de son éditeur Electronic Arts avec plus de 100 millions d'exemplaires écoulés à ce jour. Publiée sous le label EA Sports, elle brasse des millions de dollars à chaque millésime et fait le bonheur de millions de joueurs à travers le monde. Le jeu est traduit en 18 langues et vendu dans 51 pays. La série des Fifa est l'une des plus lucratives marques appartenant au portfolio du géant de l'édition. Pourtant, cette franchise n'a failli jamais voir le jour tant la réticence des hauts dirigeants était grande.
 
Tout commence en 1992, lorsque la branche européenne d'EA lança une grande enquête auprès des lecteurs de magazines spécialisés. Le dépouillement des réponses révéla une préférence marquée pour le ballon rond. Une aubaine pour cette ridicule structure en quête de croissance (elle se résumait à des petits bureaux), EA était absent de ce segment porteur. Fort de ces résultats, quelques cadres britanniques traversèrent l'Océan Atlantique afin de convaincre les décideurs nord-américains de commercialiser une simulation de football sur consoles et micros. Problème, ce pays était complètement étranger à ce sport. Les membres de la section européenne de l'éditeur avaient toutes les peines du monde à persuader leurs homologues des États-Unis du bien fondé de leur démarche.
 
 
"Je leur avais dit que nous avions grand intérêt à nous attaquer à ce segment de marché" déclare Bruce McMillan de la division EA Canada, et grand fan de Chelsea. L'ignorance des dirigeants américains était consternante : "Nous sommes déjà dans le business du football avec Madden" aurait rétorqué un responsable. "Vous n'y êtes pas, je veux parler du football proprement dit" rectifiait McMillan, que l'on imagine volontiers dépité par l'indigence de ses supérieurs de l'époque. L'antenne d'EA Europe était considérée comme une branche subalterne, dénuée d'équipes de développement. La mort dans l'âme, une enveloppe budgétaire était débloquée par les décideurs américains groggy par le lobbying intense de l'équipe européenne. C'est EA Canada qui se chargea de la réalisation du jeu. Une toute petite formation de 10 personnes fut détachée, le financement était très serré. Pire, Sega donnait au compte-goutte ses kits de développement Mega Drive : "nos gars possédaient un kit, je ne sais pas comment ils se l'étaient procuré et je n'ai pas cherché à le savoir, car même EA ne pouvait en obtenir un".
 
Le souci d'authenticité amena la fine équipe à taper à la porte des instances dirigeantes de la Fifa : "je ne vais pas vous révéler le coût d'acquisition de cette licence, mais le montant était dérisoire" glisse David Gardner. Ce fut un grand soulagement, le nom évoqué par les décideurs américains était EA Football, pas du tout au goût de la branche européenne.
 
"Ils étaient persuadés que nous allions nous planter, que nous ne vendrions aucun exemplaire" se souvient Marc Aubanel, producteur assistant de Fifa International Soccer. Rien n'était acquis. La réalisation du jeu pouvait être stoppée à tout moment. Les délais fixés étaient si courts que les développeurs durent travailler jusqu'à 16 heures par jour afin d'être présents pour le pic des ventes des fêtes de fin d'année. Fifa allait entrer en compétition avec une simulation bien installée, US Gold World Cup USA 94 (en plus de Sensible Soccer et Kick Off). Les objectifs de vente européenne d'Electronic Arts étaient élevés. Les dirigeants américains fixèrent le seuil minimum à 300 000 exemplaires. C'est un demi-million d'unités qui s'arrachèrent en l'espace de quatre semaines seulement.
 
 
Bien que critiqué pour s'être laissé allé à la facilité avec ses réactualisations douteuses jusqu'à la fin des années 90, Fifa est à ce jour une simulation incontournable et reconnue pour la profondeur de son jeu. Par une constante remise en question de ses acquis, cette simulation renversa la suprématie de son concurrent Pro Evolution Soccer. Un destin hors-norme, mais aussi un formidable pied de nez aux hésitations d'hier.