Pour Sony, ce partenariat noué devait être le clou de l'édition de juin 1991 du CES de Las Vegas. Coup de théâtre, la veille de l'annonce officielle Nintendo doucha les attentes du géant de l'électronique en annonçant publiquement un accord identique avec Philips, excluant de facto Sony. Nintendo évoqua publiquement la supériorité du savoir-faire de Philips pour justifier cette volte-face, mais personne n'était dupe. Très vite, la consternation céda le pas à la colère. Comment une entreprise japonaise pouvait-elle briser le pacte de non-agression au profit d'une société étrangère ? C'était une pratique inédite dans le milieu des affaires dans l'archipel.
 
Un comportement antipatriotique qui ne restera pas sans conséquence assura Sony. Malgré la violence du camouflet, le géant de l'électronique fit publiquement preuve de stoïcisme en dévoilant au Salon du Tokyo International Electronics qui a eu lieu en octobre 1991, sa plate-forme multimédia capable de gérer toutes les formes de divertissements modernes (jeux éducatifs, cinéma, musique...). Sans réellement convaincre les observateurs industriels et analystes, le groupe japonais tenta une porte de sortie en s'alliant à Sega, désireuse d'alimenter en jeux, films son périphérique Mega-CD. Les piètres performances de ce format eurent raison de ce rapprochement opportuniste.
 
 
En mai 92, Nintendo officialisa sans triomphalisme déplacé, la fin du partenariat avec Sony. Le prototype Play Station restera en l'état, mais ne freinera nullement les intentions de Sony de partir à la conquête de ce juteux marché au taux de croissance à deux chiffres : << étant donné que notre collaboration n'a pas porté ses fruits, nous avions décidé d'attendre le prochain cycle >> témoigna Steve Racen, président de la branche américaine de Sony.
 
Dès lors, Norio Ohga, le président de Sony étudia les conditions d'une riposte. Sera-t-elle judiciaire ou commerciale ? Amer, publiquement humilié, Kutaragi usa de toute son influence pour convaincre Ohga de lancer un format concurrent au lieu de s'enliser dans un combat judiciaire long et onéreux. L'ingénieur profitait du désordre interne pour dévoiler à sa direction le prototype d'une plate-forme capable de gérer en temps réel des graphismes de haute qualité, le System-G.
 
L'idée de Ken Kutaragi était de partir sur les bases technologiques de cette station de travail dans le but de fabriquer une console de salon. Entre temps, Nintendo ne voyait pas d'un mauvais oeil de continuer à contractualiser avec Sony à condition que cela ne s'exerce pas dans le domaine du jeu vidéo. Une façon d'éviter un procès pour rupture unilatérale du contrat signé d'avec Sony voire la mise en place informelle d'un pacte de non-agression. Nintendo faisait preuve d'un cynisme révoltant tandis que du côté du groupe nippon, la rupture était déjà consommée. Beaucoup de hauts représentants au sein de l'état-major du géant de l'électronique menaient campagne afin de se désengager d'un marché négligeable et responsable d'une déshonorante sortie. Kutaragi était à cette époque au pied du mur, mis à l'index par ses pairs qui voyaient en lui le responsable d'un tel gaspillage de temps et d'argent.
 
 
C'est lors d'un dernier tour de table très tendu que Kutaragi aura joué son va-tout. En plus de promettre de nouveaux débouchés à un Norio Ohga hagard, fatigué par ses tergiversations, il lui lança en pleine figure : << allez-vous accepter sans réagir l'affront que nous fait Nintendo ? >> En dépit des très fortes réprobations internes, le président de Sony débloqua les financements nécessaires à la réalisation de ce projet. La vieille garde opposée à Kutaragi avait obtenu de lui que la marque Sony ne soit - temporairement - pas associée à la console dans le but d'éviter des répercussions négatives sur toute l'image du groupe en cas d'échec commercial... (à suivre)