C'est l'histoire d'une cruelle désillusion qui n'a jamais fait surface jusqu'à aujourd'hui. En 1995, le jeu vidéo s'autorise tout. Il est en plein boom économique et se cherche des concepts novateurs à monétiser. Pen Jillette et Teller sont deux développeurs indépendants qui imaginent un jeu minimaliste, mais physiquement éprouvant. De son gameplay étriqué au graphisme austère, Desert Bus propose au joueur de parcourir d'une traite, un trajet désertique de huit heures de route en temps réel, sans possibilité de pause. Au volant d'un bus ne dépassant pas les 55 km/h, le joueur doit desservir plusieurs villes des États-Unis (Las Vegas, Tucson). Pour corser la difficulté, le bus tangue vers la droite, obligeant le chauffeur à garder constamment les mains sur le volant. En cas d'échec, retour à la case départ, les checkpoints n'existent pas.
 
Les créateurs souhaitaient restituer, la réalité "d'un job terriblement ennuyeux [...] votre tâche consiste à rester concentré sur votre route" réagit, Teller. Desert Bus faisait partie d'une compilation prévue pour le Mega CD "mais lorsque nous avions terminé le jeu Sega abandonnait le périphérique [...] nous avons été incapables de trouver un éditeur désireux de publier notre jeu". Et pour cause, lorsque Desert Bus a été envoyé à la critique, l'accueil réservé par les journalistes de la presse écrite s'est révélé tranchant.
 
Ce titre tombe dans les poubelles de l'Histoire du jeu vidéo jusqu'à ce mois de septembre de l'année 2005, lorsque le fondateur du site Lost Levels reçoit un colis renfermant plusieurs copies du jeu dont les heureux possesseurs ne savaient quoi en faire. Desert Bus sort de sa longue traversée du désert pour être porté à la connaissance de tout un chacun. Très vite, d'autres propriétaires de copies destinées aux journalistes se font connaître. Certains indélicats n'hésitant pas à rendre la ROM disponible sur Internet en libre téléchargement quand d'autres plus éclairés, organisent des concours et reversent les gains à des associations caritatives.
 
Bien mal engagé dans les années 90, Desert Bus connaît une seconde carrière plus valorisante, prétexte à la générosité publique. Elle offre enfin l'occasion aux auteurs de donner une autre image du jeu vidéo, le titre avait été développé dans ce but. En 1995, l'industrie était en effet une nouvelle fois l'otage de débats démagogiques sur la violence à une portée de manette des jeunes enfants. En réaction, les créatifs voulaient montrer un visage plus consensuel de ce loisir.