Le timing était parfait. C'était en octobre 1995, le succès foudroyant de la PlayStation avait balayé d'un revers de main le scepticisme de la presse spécialisée et prit de court un Nintendo victime d'un excès de confiance malvenu. Qu'à cela ne tienne, au jeu du poker menteur le numéro un mondial avait plus d'une carte sous sa manche.
 
 
Cette carte maîtresse s'appelait Final Fantasy 64. Les premiers écrans publiés dans la presse papier effacèrent un temps l'actualité écrasante de la PSone au profit de la Nintendo64 et du nouveau joyau de Square. Images CG ? Vue d'artiste ? Temps réel ? "Qu'importe, pourvu qu'on ait l'ivresse !" chantèrent en choeur joueurs comme journalistes. Nintendo voyait dans ce plébiscite unanime et presque aveugle la confirmation que le gros du marché était en attente de la nouvelle console de Nintendo. Les joueurs distraits qui auront fait le choix de la PSone reviendront naturellement dans le giron du fabricant.
 
 
Convaincu qu'il devait d'abord gagner la guerre de l'information dans le but de renverser le pouvoir de nuisance grandissant de Sony, Hiroshi Yamauchi n'hésita pas à bluffer les médias. Lui et son état-major très docile firent taire l'origine exacte des premiers visuels au profit d'un silence qui alimenta toutes les conjectures possibles. Même Square trouva son compte, la franchise Final Fantasy bénéficiait en effet d'une publicité d'envergure mondiale à peu de frais.
 
 
Les magazines spécialisés alimentèrent cette guerre d'usure entre constructeurs avec force de scoops et de révélations souvent imaginaires. Car la réalité était bien moins passionnante. Les images de ce qui a été improprement qualifié de Final Fantasy 64 provenaient d'une démo technique interactive présentée en août 95 par Square à un parterre de professionnels présents au salon de l'ACM Siggraph Convention. Elle avait pour but (à l'exemple de la démo Agni's Philosophy) de démontrer le savoir-faire 3D de Square alors que la perspective volumétrique ne faisait qu'amorcer sa révolution visuelle. Au sortir de la 2D, très peu de sociétés pouvaient prétendre, de manière si précoce, à une telle démonstration de compétence.
 
 
Cette démo qualifiée de << base de travail >> par Hironobu Sakaguchi avait été réalisée sur de puissantes stations de travail produites par l'entreprise Silicon Graphics Incs (SGI), elle-même partenaire de Nintendo dans la fabrication de sa nouvelle console connue sous le nom provisoire Ultra 64. L'évidence aux yeux des médias gagnés par une passion dévorante était limpide. Square travaillait de concerto avec SGI et Nintendo pour réaliser un Final Fantasy 64 en 3D démentiel.
 
 
L'épilogue de cet emballement fut cruel. En janvier 96, Square surprenait l'industrie en choisissant de développer le prochain épisode de FF sur la détestée PSone. Et comble du comble, la franchise devenait désormais une exclusivité Sony, négociée à prix d'or. Généreuses royalties ajoutées à l'espace mémoire du CD-ROM pesèrent également dans la balance. Nintendo ne s'en remettra jamais, Yamauchi trahi dans sa chair effaça de rage plus de dix ans d'étroites collaborations avec l'éditeur japonais. Il repoussa toutes les tentatives de médiation qui avaient pour but de ramener à la table des négociations les deux acteurs majeurs de l'industrie japonaise. Une page fut tournée, mais Yamuachi ne cessa d'attaquer indirectement son ancien partenaire par des diatribes de haute volée.