Cela tient du réflexe pavlovien et pourtant la réalité est plus nuancée. Donkey Kong, le succès planétaire de Nintendo est définitivement associé à une success-story bien trop propre sur elle pour être acceptable en l’état. La puissance marketing du fabricant ainsi qu’une littérature mielleuse faisant l’apologie de Nintendo n’ont pas eu raison du rôle déterminant de la société Ikegami Tsushinki.
 
En 1978, le marché de l’arcade nord-américain se remettait de manière spectaculaire d’une violente crise de l’offre. Une abondance de jeux uniformes, voire médiocres, détourna l’attention du grand public avant que Space Invaders ne devienne le principal détonateur d’une reprise économique à deux chiffres. Du haut du QG de Nintendo, le PDG Hiroshi Yamauchi caressait l’ambition de reproduire à son compte le coup de maître de Taïto. Il dépêcha un jeune premier au nom de Shigeru Miyamoto aidé par le surdoué Gunpei Yokoi afin de travailler sur un jeu capable de soulever pareil enthousiasme. Miyamoto ne correspondait pas au profil que recherchait le président : “si c’est un technicien, il m’intéresse, je ne veux pas d’un artiste” selon les propos rapportés par Hikaru Mizusaki, auteur du livre référence sur Nintendo “TV Game no Sekai 3”. La direction artistique des ébauches de travaux de recherche avait finalement convaincu le roc Hiroshi de le recruter. 
 
La compétence technique fit donc rapidement défaut, Nintendo n’avait d’autre solution que d’externaliser une partie du processus de programmation à une société tiers. Ikegami avait répondu à plusieurs appels d’offres du géant japonais, au nombre de huit précisément. Parmi le plus célèbre d’entre eux était Radar Scope, une courte performance dans l’archipel, un véritable désastre aux États-Unis.
 
L’homme fort de Nintendo ne s’embarrassait pas (ou si peu) de paperasserie lors d’accords commerciaux avec ses partenaires industriels. Un accord verbal suivi d’une franche poignée de main avait autant de valeur à ses yeux qu’une signature en bas de contrat. C’était surtout vrai lorsque H.Yamauchi avait l’ascendant sur son partenaire d’affaires. Les dirigeants d’Ikegami Electronics (ou Tsushinki), enchantés de travailler avec une valeur montante de l’industrie vidéoludique acceptèrent ces conditions de contractualisation un peu triviales, mais ils n’étaient dupes de rien.
 
Loin d’être naïfs, ces derniers ont pris la précaution à l’abri du regard des ingénieurs du donneur d’ordre, de glisser dans le code du jeu Donkey Kong la preuve formelle de leur participation dans le développement du hit de Nintendo afin de se protéger d’une probable volte-face. Voici ce qui était mentionné dans le code, non sans ajouter une pointe d’humour :
 
Félicitations ! Si vous éprouvez des difficultés à analyser ce programme informatique, nous sommes en mesure de vous donner des cours. ****TEL. Tokyo-Japan 044(244)2151 Extention 304 System Design Ikegami Co. Limited
 
Ce semblant de copyrights protégea les intérêts d’Ikegami de la voracité de Nintendo. En effet, l’appétit insatiable du fabricant avait été galvanisé par l’incroyable triomphe réservé à Donkey Kong en arcade, en juillet 1981. Le constructeur multiplia par quatorze le volume de ses profits pendant deux ans. Après enquête, la société Ikegami fut convaincue que Nintendo eu violé ses droits d’auteur en commercialisant une suite de ce best-seller sans son autorisation préalable (Donkey Kong Junior). Sans prendre le temps d’une concertation qui aurait pu déminer ce différend juridique, Nintendo assigne en 1983 la société d’ingénierie en justice affirmant que la réclamation de cette dernière était illégale. 
 
Sans contrat officiel matérialisant leur partenariat, la Haute Cour de justice de Tokyo prenait le temps de consulter les différentes parties. Nintendo affirmait que les droits de propriété industrielle de ce programme informatique avaient été transférés après le paiement de 10 000 000 de Yens à Ikegami Electronics. Ce n’est que six ans plus tard que la Haute Cour reconnaît à la société informatique ses droits. Nintendo entre alors en négociation qui aboutit en 1989 à une entente dont les tenants resteront confidentiels.