Cette
semaine, deux évènements importants m'ont permis de revoir (encore) à la hausse
les espoirs que je plaçais dans le titre de Quantic Dream. Premièrement, j'y ai
enfin joué - grâce à la démo disponible sur le PSN. Et deuxièmement, j'ai pu
découvrir la seconde partie de l'excellente interview accordée par David Cage à
Gameblog (chapeau bas, messieurs).

Concernant
la démo, même si elle n'essuie pas vraiment les doutes qui me sont restés
depuis Fahrenheit (cf. article
précédent), elle fut une expérience immersive, prenante et jouissive. Pas hors
du commun, certes, mais tellement différente de tous les jeux d'action, aux
avatars bourrins, aux scénarios dévertébrés - les jeux
« adolescents » pour reprendre ce que dit Cage, sans aucun mépris.
Pas que je n'aime pas ça aussi (l'un des titres que j'attends le plus cette
année s'appelle God of War III), mais
j'ai l'impression qu'on assiste à une uniformisation des jeux - voire une
américanisation du jeu vidéo : sinon comment expliquer l'essor du FPS,
l'évolution très orientée action de séries comme Resident Evil, ou même le fait qu'il n'y ait qu'un seul Fumito Ueda
dans le milieu ? Mais je digresse... tout ceci pourrait faire l'objet d'un
article à part entière. Bref, tout ça pour dire que, dans le paysage vidéoludique
actuel, HEAVY RAIN FAIT DU BIEN.

Après
avoir fait et refait la démo, j'ai l'impression que Heavy Rain repose sur un scénario archi-classique mais bien plus
sobre, bien moins grandiloquent et donc plus profond que Fahrenheit. J'ai été agréablement surpris à m'attacher, déjà, aux
personnages, à l'ambiance, à la réalisation. Un peu comme quand on regarde le
pilote d'une bonne série. Et puis la dimension cinématographique est totale, ce
qui apporte une dynamique connue au jeu et nous permet de nous amuser avec les
codes des cadrages, des situations scénaristiques, même dans les moments les
plus anodins. J'espère juste que cette illusion de liberté, qui se fait
forcément au détriment du jeu classique, ne lasse pas au fur et à mesure de
l'intrigue.

À
propos d'illusion de liberté, c'est le point sur lequel j'ai les plus sérieux
doutes. On a beaucoup entendu parler de choix à faire, d'embranchements, de
déroulement interactif du film. Pour l'instant, j'ai l'impression qu'on nous
propose plein de petites variantes mais que, pour simplifier, tous les chemins
mènent à Rome. Au fond, qu'on préfère telle ou telle action, on aboutit grosso
modo à la même situation de fin. J'ai été déçu, par exemple, en refaisant la même
scène, de voir que lorsqu'on frappait aux mauvaises portes de l'hôtel sans
avoir préalablement parlé au concierge, il ne se passait quasiment rien, si
bien que le seul vrai choix qui nous restait était d'ouvrir la bonne porte.
C'est un peu le même syndrome des portes fermées que dans Silent Hill 2, sauf qu'ici ce n'est pas justifié par un univers
cauchemardesque. Et c'est très dirigé. On aurait pu, au moins, avoir des
petites saynètes derrière chaque porte, avec soit des QTE, soit des
mini-interrogatoires à mener, qui nous auraient aiguillés vers la bonne porte.
Bon, ce n'était qu'une démo après tout, il nous manque la vision d'ensemble.
Mais sur ce point, Heavy Rain doit
encore faire ses preuves.

La
question la plus inquiétante quant à la liberté réelle des joueurs tient dans
le souci de bien faire du joueur. Une personne lambda faisant le jeu pour la
première fois prendra le temps de tout regarder, de tout toucher, de tout
« réussir » - et par conséquent les choix lui seront faciles à faire,
et ce seront toujours les mêmes pour la grande majorité des joueurs. Je
m'explique : dans la scène de l'hôtel, lorsque le goujat à la barbichette
se pointe pour tabasser la fille, il est évident qu'on ne va pas partir en
ayant fait semblant de ne rien voir. 99% des joueurs retournent dans la chambre
pour corriger le type, donc il n'y a pas véritablement de choix qui diffère
selon les personnalités. Même si on sait que notre personnage peut mourir, je
pense qu'on retourne tous dans la chambre. Et j'ai peur, en réalité, que la
majeure partie des embranchements ne soient causés par des
« accidents » - soit parce qu'on a pas réussi un QTE comme on le
voulait, soit parce qu'on a pas compris à quoi correspondait l'icône d'action à
proximité d'un objet et qu'on a appuyé sur la touche pour voir (par exemple,
quand le flic s'est approché de la table dans la chambre, j'ai fait la manip
d'action mais je ne savais pas que c'était pour y laisser sa carte). Voilà le
gros point d'interrogation : la liberté interactive est-elle un gros
bluff ? Dans Mass Effect, autre
jeu qui s'appuie sur ce principe, le bluff est souvent bien réel...

Au
final, le point qui m'a vraiment surpris et séduit dans Heavy Rain, c'est le constant appel qui est fait au joueur, et ce
même dans les moments les plus triviaux. J'ai adoré, par exemple, devoir me
galérer à appuyer sur plein de boutons pour monter ou descendre le talus de
boue. Je sais que certains trouvent ça futile, mais c'est précisément ce qui
accroche le joueur au film que l'on est en train de voir. C'est drôle aussi, et
j'ai très hâte de pouvoir jouer la séquence où on urine dans la cuvette. Il
semble y avoir une interactivité de chaque instant qui rend Heavy Rain plein de charme. Comme si
Quantic Dream nous disait : il n'y a pas de petites actions, il n'y a pas
de petits sujets. Ce plaisir minimaliste que j'ai ressenti en essayant la démo,
je ne m'y attendais pas aussi fort. Deuxio, malgré la lourdeur des déplacements
et la non-liberté de la caméra, la mise-en-scène cinématographique fonctionne à
merveille. Tout de suite, le décor et l'ambiance sont plantés, les personnages
sont là. Comme c'est un jeu vidéo, et qu'il n'a pas les mêmes impératifs de
durée qu'un film, Heavy Rain semble
prendre son temps et ça, c'est juste magique. Beaucoup de critiques ce sont
penchées sur la lenteur, le manque de rythme de la première moitié de
l'aventure, mais c'est précisément là où je veux que le titre nous porte
au-delà du jeu. En tout cas, en grand amateur de point n'click et d'autres
aventures de jeu (de Shenmue 1 à Shenmue 2, blague pour Julo), j'ai
ressenti dans Heavy Rain des émotions
très similaires à tous ces titres qui ont vraiment fait la différence dans mon
expérience de joueur. Alors, wait and see...

Pour
finir, un petit mot sur l'interview de David Cage à Gameblog. Il faut avouer
que c'est un putain d'ambassadeur pour son jeu, et la possibilité qu'il a eu de
s'étaler sur ses influences, sa vie, etc. donnent une grande cohérence à sa
vision du média. Même s'il a tendance a toujours se poser au centre du sujet,
quitte à énerver parfois, son discours est finalement assez humble. Quand il
parle de sa culture, par exemple, il le fait avec pas mal d'humilité et
peut-être que j'ai parlé trop vite quand j'ai dit que sa façon de se mesurer à
Kubrick m'agaçait. Au final, je préfère jouer à un jeu fait par un type qui litVoyage au bout de la nuit - même s'il
est un peu grossier dans la façon de recycler ses influences - plutôt que de
jouer à un jeu fait par un type qui pense que Céline est une femme.

Ce
qui ressort de l'interview, surtout, c'est que Cage a un vrai désir de faire
évoluer le média - et pas juste une prétention bête et méchante de
révolutionner quoi que ce soit. Quantic Dream y œuvre en prenant les armes dont
ils disposent, sur ce point l'interview est tout à fait honnête. Plus que tout,
j'aime bien sa certitude que le jeu vidéo doit encore et toujours s'inventer -
surtout à un moment où les grosses productions vidéoludiques prennent très
rarement le risque de l'inventivité.

Quand
il compare l'époque à celle des pionniers, je ne suis pas tout à fait d'accord :
il y a eu, avant, Miyamoto, Alexei Pajitnov, Yuji Horii, des gens qui ont créé
à partir de rien une grammaire proprement vidéoludique, un langage qui n'avait
presque aucun équivalent, un système d'expression dont les influences sont
difficiles à déterminer. Cette part de jeu intrinsèque, qui fait que Super Mario Bros. peut raconter une histoire
qui ne serait racontable par aucun autre média (ni livre, ni film, ni
installation d'art), c'est le point sur lequel Heavy Rain doit se démarquer du cinéma. Au-delà du film interactif,
c'est la jouabilité (que j'ai ressenti, dans la démo, à travers ces petites
épreuves triviales par exemple) qui va déterminer la véritable valeur d'Heavy Rain. À suivre, donc...