J'ai juste a-do-ré. Et au lieu de m'étaler trop longtemps ici, j'ai trouvé un texte qui parle parfaitement de ce film, en citant Kinji Fukasaku, Hideo Gosha ou encore William Lustig, soit des crèmes du cinéma des 70's que j'aime tant.

Attention, ça spoile.

L'initiative de Neo de sortir quelques fleurons du « poli » est une excellente nouvelle pour tout amateur de série B transalpine. La (re)découverte de certains titres permet notamment de se faire une opinion différente sur certains cinéastes, habituellement cantonné dans le nanar fauché. Umberto Lenzi fait parti de ces tâcherons sympathiques connus des cinéphages pour ses films de cannibales et le très marrant Avion de l'apocalypse. Mais il fut un excellent artisan du polar ultra-violent des seventies. Ses meilleurs titres sont Echec au gang, Brigade spéciale et surtout cette Rançon de la peur, qui emprunte des directions curieuses au sein d'une production globalement balisée.

La rançon de la peur est en apparence l'archétype même du polar bis des années 70 qui a pris pour contexte la situation politique et sociale de l'Italie de l'époque, plongée dans une spirale de violence de plus en plus malsaine et chaotique : révolte des ouvriers, émergence des brigades rouges, paranoïa galopante vis à vis des groupuscules d'extrême droite et des d'extrême gauche, orientation révolutionnaire des mouvements étudiants, délires sécuritaires de la flicaille, enlèvements, séquestrations, attentats... Les années de plomb ont fourni une matière riche aux scénaristes les plus en vus (Ernesto Gastaldi et Dardano Sachetti) qui sentaient les genres alors à la mode (western, giallo) tourner sérieusement en rond. Le climat social, loin d'être clément, reflète l'esprit tordu et décadent de ce pur cinéma d'exploitation à la limite du mauvais goût, dont on retrouvera une équivalence au Japon avec les films de yakusa de Kinji Fukasaku et Hideo Gosha.

Sorte de pierre angulaire du polar hard boiled, La rançon de la peur peut-être considéré comme l'ancêtre le plus pertinent de tous ses polars destroy apparus dans les années 90 de Réservoir dogs à Man on fire, en passant par Tueurs nés. La comparaison la plus immédiate reste néanmoins Killing Zoe de Roger Avary qui compte plus d'un point commun avec le film de Lenzi. A commencer par le profil psychologique du braqueur cinglé incarné par un Jean Hugues Anglade en roue libre, qui semble tout droit s'inspirer de l'interprétation hallucinante (et je pèse mes mots) de Thomas Milian. Le braquage masqué qui ouvre le film de Lenzi avec ces escrocs de pacotille évoque furieusement celui complètement foireux du génial délire d'Avary. La manière dont Giulio, complètement défoncé à l'alcool et aux amphétamines, mènent l'enlèvement de la jeune fille ne diffère pas du comportement de Zed (Anglade) qui embarque sa bande dans un trip suicidaire.

Déjanté et excessif La rançon de la peur (1974), est un thriller déviant et limite nauséabond, qui exploite habilement et de manière opportuniste l'ambiance paranoïaque qui régnait en Italie. Mais le film doit sa puissance à la performance de Tomas Milian. Inconnu du grand public, cet acteur à la filmo pléthorique et éclectique (Antonioni, Corbucci ? Sollima ? Soderbergh, Visconti, Massi) emporte littéralement le film vers des contrées insoupçonnées, laissant sur le carreau le scénariste et le cinéaste. Larguée par le cabotinage intempestif du comédien, la mise en scène Lenzi est contaminée par une étrange fascination envers Giulio Sacchi qui dévoile au fur et à mesure sa personnalité psychotique et auto-destructrice. A côté de lui, le flic (Henry Silva) est totalement transparent, incarnation symbolique de la justice opprimée. L'orientation droitière du film est soudainement transcendée par un regard déviant sur ce maniaque, proche des esprits perturbés que l'on croise dans le cinéma d'horreur. Giulio Sacchi est une petite frappe prolétaire, obsédée par l'argent et le pouvoir, qui veut prendre sa revanche sur un système injuste. Profondément perturbé psychologiquement, il passe de l'autre côté du miroir, et va séquestrer, tuer, violer par pur sadisme. D'ailleurs, le film échappe en cours de route au traditionnel polar urbain pour flirter soudainement avec le pur film d'horreur (relents de survival). Milian et ses acolytes investissent une baraque de bourges et terrorisent les occupants avant de les massacrer dans des conditions atroces.

La rançon de la peur étonne aujourd'hui par son ambiance nihiliste et extrême. Ce cauchemar urbain a beaucoup influencé le cinéma de William Lustig (Maniac) ou d'Abel Ferrara première période (New York deux heures du matin). L'utilisation des décors glauques (rues sales, murs délabrés jaunâtres, intérieurs déprimants), la photographie lugubre, les prises de vues insolites (beaucoup de contre-plongées obliques) participent pleinement à l'ambiance malsaine dégagée par cette œuvre sulfureuse. Umberto Lenzi dépasse ses compétences habituelles d'honnête technicien. En juxtaposant un style hérité du néo-réalisme et celui du clip avant l'heure, grâce à un montage survolté, il crée une tension terrible pendant 1 h30. Et si on peut regretter un final, qui fait irrémédiablement basculé l'œuvre du côté du pamphlet à la gloire de l'auto justice, La rançon de la peur mérite amplement le détour et ne saurait être prisonnier de son image populiste. 
En dépit de certaines fautes de goûts impardonnables (le chantage à l'émotion avec la mort d'un enfant) et de la partition ronflante d'Ennio Morricone (que j'adore pourtant),cette descente aux enfers prend des allures de trip malade et schizo, politiquement incorrect, entre idéologie limite fascisante (du côté script) et anarchisme viscéral (du côté de Milian qui fait corps avec le personnage). A vous de juger.