medium_Jin-Roh-06.jpgDans le milieu de l'animation japonaise, le nom de studio IG est synonyme
d'oeuvre de qualité tant dans le rendu de l'animation que sur le plan
scénaristique. Jin Roh fut un de leurs tout premiers long métrages réalisé
en 1998. Ce film plus profond qu'il n'y parait conjuge une esthétique
froide mais irréprochable avec un scénario classique mais bien ficelé,
agrementé de superbes musiques, dans un conte pour enfant désabusé et
décapant. Qui du petit chaperon rouge ou du loup est le gentil? Lequel a raison? Seul celui avec les plus grandes dents pourra le dire...

 

Inspiré en partie des oeuvres de Philippe K. Dick, l'action prend place dans un Japon d'après guerre fantasmé mais crédible. La croissance économique a repris à grands coups de pied au cul et Tokyo a été reconstruite à
grand train. Mais comme bien souvent les fruits de cette croissance
n'ont pas été répartis équitablement. La contestation gronde donc au
sein de la population et des groupuscules d'extrême gauche se forment
pour mener une véritable guérilla urbaine basée sur la terreur. Face à
ces individus peu scrupuleux, la Police conventionnelle ne suffit plus.
Une force d'intervention placée sous l'égide d une comission de sécurité voit donc le jour. Cette unité appelée Pozem va dès lors lutter contre
la Secte, le groupuscule d'extrême gauche dominant, avec une férocité
sans précédent. La division Panzer,  troupe de choc lourdement armée de
la Pozem, entame ainsi une oeuvre d'élimination de masse des dissidents, qui en retour ont recours à des méthodes terroristes pour se défendre.
Les deux camps amorcent ainsi une spirale de violence et de repression
qui ronge le pays de l'intérieur et le mène au bord du chaos.

 

Le film débute à un moment clé du conflit où la puissance de feu des
Panzers a fini par acculer la Secte au bord du gouffre.  Cette dernière
en est réduite à se dissimuler lors des manifestations et à transporter
des engins explosifs par les égouts via des convoyeurs atypiques: les
"petit chaperons rouges", des femmes et des enfants principalement. Au
cours d'une de ces opérations à haut risque un "petit chaperon rouge"
est intercepté par le soldat Fusé de l'unité Panzer. L'aspect de la
fillette perturbe Fusé qui se contente de la fixer tandis qu'elle amorce la bombe et se fait sauter avec tout le quartier.

 

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Par miracle, et grâce à son équipement, le soldat Fusé survit au drame et
se retrouve mis à pied. C'est le début d'une valse de coup bas et
d'intrigues entre la police et la Pozem. La puissance de feu démentielle de l'unité Panzer constitue en effet une menace pour la légitimité la
Police qui veut se défaire de l'image de boucher collant désormais aux
forces de l'ordre. En outre la quasi disparition de la secte remet en
cause l'existence même de la Pozem, la relation entre le loup et sa
proie étant symbiotique dans un sens. La Brigade des loups, unité
mythique de contre espionnage intra service, va donc entrer en jeu pour
permettre à l'unite Panzer de continuer son action. Le scandale provoqué par l'hésitation de Fusé ouvre une brèche dans ce conflit que la police va s'efforcer d'exploiter.

 

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Au coeur de cette tempête un couple hypothétique se forme entre Fusé et la grande soeur du chaperon rouge qui a explosé. Cette rencontre n'est
évidemment pas fortuite mais, en dépit de ce cercle de trahisons, on se
prend à espérer qu'une étincelle d'humanité fasse jour. La relation
entre cette fille qui veut exister dans le coeur de quelqun d'autre, et
le super soldat Fusé, qui se retrouve coincé entre son devoir de soldat
et des sentiments qu'il ne comprend pas, est à la fois complexe et
frustrante. Peut-on parler d'amour? Honnêtement je ne saurais le dire...

 

Le fil directeur de cette tragédie, au sens propre car les acteurs
connaissent déjà le dénouement de cette farce, est l'analogie au conte
du petit chaperon rouge. Le chaperon rouge est une âme solitaire, en
proie à la peur d'être oubliée, qui se jettera sciement dans les crocs
du loup afin d'obtenir ne serait-ce qu'un peu de chaleur. Le Loup quand à lui n'est pas l'incarnation du mal asexuée, non définie et sans
scrupules que l'on l'imagine classiquement. Le Loup essaye au contraire de devenir
humain, mais il fait partie d'une meute avec ses propres régles qui ne
lui laisse le choix qu'en apparence. 

 

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D'un point de vue personnel, je considère que cette histoire n'a pas de
véritable héros, seulement des acteurs engoncés dans un carcan de
contraintes dont ils n'arrivent finalement pas à s'extraire en dépit de leurs sentiments. Un jeu à trois se met ainsi en place entre le loup,
le chasseur et le chaperon rouge dont le denouement ne conforte pas la
morale. Pour quelqu'un qui a fait, ou du moins essayé de faire, un peu de
sciences sociales ce film est passionant. A partir d'une mauvaise
interaction entre un soldat et un opposant, au sens de Goffman, le
premier aurait effectivement du tirer sur le second, des mécanismes de
correction et des luttes de rédéfinition des rapports de force entrent en action. Au final tout le monde joue le rôle que l'on attend de lui
malgré les larmes. N'est-ce pas là la quintessence du fait social? Oui
c'est cynique! Oui moi aussi je veux croire que l'on puisse y échapper
par sa volonté. Mais est-ce la règle ou l'exception?

Le point de vue désabusé du film est emblématique d'une vague de long métrages japonais dont fait partie par exemple Ghost in the Shell. Le mot d'ordre général  de ces films pourrait se résumer à l'assertion de Georges Abitbol (l'homme le plus classe du monde): Monde de merde! On aime ou on déteste: libre à chacun de se forger sa propre opinion.
Jin Roh reste une film d'animation superbe, intrigant et entièrement
réalisé à la main (le dernier du genre au Japon). Raison de plus pour le voir.