Cela fait depuis 2008 que nous n'avions plus de nouvelles de Phoenix Wright, l'avocat au bluff facile de Capcom. 2008 est à la fois la date de sortie d'Ace Attorney 4 où le héros était remplacé par le jeune Apollo Justice, ainsi que la sortie très tardive et en quantité limitée, ainsi qu'en anglais du meilleur épisode et dernière apparition jouable de Phoenix : Ace Attorney 3. Capcom a tenté de nous faire vibrer sans succès avec le spin-off Miles Edgeworth, du point de vue du procureur rival du héros. Le premier n'était qu'en anglais, sur DS, et le second est inédit en occident. Ainsi, l'annonce du développement d'un vrai cinquième épisode de Phoenix Wright était une joie, avant d'être incertain de sa sortie occidentale. Finalement, ce sera uniquement en anglais et en dématérialisé. Mais à petit prix de 24,90 euros. Verdict ?

Hold on !

Rappel des faits : Phoenix Wright est un jeu textuel où le joueur incarne l'avocat du même nom. Faisant défiler les dialogues avec des témoins et des suspects, le joueur devra se montrer attentif à la fois aux scènes qu'il aura inspectées, aux preuves qu'il aura récoltées et aux déclarations entendues pour à la fois tirer chaque affaire de meurtre au clair, et défendre son client. Car chez Phoenix, tous ses clients sont innocents et c'est en croyant très fort en lui que la vérité finit toujours par triompher ! Cette dernière phrase étant le credo de l'avocat, ne riez pas. Avec l'arrivée de la DS, Capcom avait essayé d'utiliser au maximum l'écran tactile et le microphone dans l'affaire spéciale de l'édition DS du premier épisode, ainsi que dans Apollo Justice. Ainsi, il fallait très régulièrement couper les dialogues en ajoutant une examination 3D d'un objet ou en récupérant des empreintes à l'aide d'une poudre, que l'on faisait disparaître en soufflant. Sympathiques mais gadgets, ces features ont totalement disparu de cet Ace Attorney 5. Ce volet retourne aux bases de la première et épique trilogie initiée sur GBA, puis ressortie sur DS, et ce sans la présence de son créateur Shu Takumi. Ainsi, le gameplay de cet épisode est brut, on fait défiler son texte illustré par la vue subjective de l'avocat dans ses décors dessinés et colorés et on présente les objets/preuves qui contredisent l'interlocuteur. On se doit aussi de faire pression sur lui en lui demandant des détails sur telle ou telle assertion, représentée par un écran. Tout ça d'une ergonomie tout bonnement simple à l'aide d'un écran tactile monopolisé par un énorme bouton central et de deux boutons sur les coins supérieurs. Là dessus, pas de surprise, tout coule de source.

Ace Attorney 5 se permet néanmoins d'apporter une petite nouveauté. On connaissait le « pouvoir » de Phoenix grâce au Magatama offert par son acolyte Maya Fey, permettant de visualiser par des chaines et des cadenas si son interlocuteur lui cachait quelque chose. Pour le quatrième épisode, l'entrée d'Apollo Justice nous fit découvrir le pouvoir de son bracelet permettant au héros de ralentir le temps et exercer son œil de lynx sur le moindre tic physique de son interlocuteur, afin d'y déceler des mensonges ou des oublies. Grâce à l'arrivée d'une petite nouvelle dans la bande, Athena Cykes, nous découvrons comment « écouter les émotions des gens ». Grâce à son gadget muni d'un écran holographique (rappelons que l'univers de PW est fantaisiste, situé sur une période de 2012 à 2027 environ), l'écran nous révèlera via quatre emoticons clignotants de couleur quelle est l'émotion ressentie par l'interlocuteur lors de son témoignage. Pour schématiser, si un type est « heureux » alors qu'il évoque un meurtre, la jeune avocate pourra faire pression sur cette contradiction émotionnelle. Histoire de corser un peu la chose, ce petit gadget verra son gameplay varier au fil des chapitres. Il faudra ainsi étudier une multitude d'émotions en même temps, faire attention à l'intensité comme repérer une surprise curieusement plus importante qu'il ne le devrait... Certaines fois, le piège sera de révéler une absence d'émotions bien suspicieuse. On apprécie ainsi l'idée, même si elle relève de la science-fiction mais ce n'est pas moins pertinent qu'un pouvoir magique issu du premier épisode. On regrettera néanmoins l'interprétation premier degré des personnages. Plutôt que de titiller intelligemment les suspects sur leur témoignage et leur ressenti, on devra se farcir un simple « mr.X, je vois que vous êtes « heureux » (avec le mot-clé orangé comme le veut la typographie traditionnelle de la série) quand vous raconter ça ». Plutôt basique et enfantin. Mais cette feature ludique se révèlera au final un élément scénaristique pour une mission importante, ce qui rend la chose intelligemment intégrée, malgré une première impression trop simpliste.

Objection !

Ce retour aux sources n'est certainement pas pour déplaire les fans. Après une tentative relativement passable de bidouiller une variante avec le spin-off Miles Edgeworth, le gameplay revient à de solides bases, bien que sans surprise. Reste la question de l'écriture et graphique, qualité indispensable pour un jeu textuel qu'il devait nous surprendre et éviter l'écriture naïve et le visuel trop excentrique d'Ace Attorney 4 (même si le Phoenix rayé du barreau suintait la classe, avouons-le).

Les premiers visuels lâchés par Capcom nous avait laissé perplexes, utilisant une 3D des plus grossières pour modéliser les personnages. Le rendu final est finalement un soulagement. L'ajout de la 3D permet surtout aux développeurs de fluidifier les étapes d'animation des personnages. Pas d'effet abusé, grâce à un léger effet cell shading qui permet de mieux homogénéiser les personnages avec l'arrière-plan 2D et surtout de respecter à la lettre les anciens sprites de la série. Si les personnages déjà existants voient leurs animations et leurs poses respectées parfaitement à la lettre, les développeurs ont pu se faire plaisir avec les nouveaux. Ainsi, le nouveau procureur Simon Blackquill suivant la philosophie du samurai se ballade avec lui, une buse qui volera vers les autres personnages, ajoutant plus de petites animations vivantes. Les décompositions de visage en démasquant les suspects sont un concours d'originalité, avec des nouvelles têtes, des animations plus complexes qu'en 2D, etc. Tout ça ajoute du dynamisme, plus de vie tout en respectant les codes techniques de l'époque GBA et DS. C'est à dire qu'on aura tout simplement les mêmes animations qui se répèteront en boucle le long de l'épisode, comme les vieux épisodes, suivant aussi les mêmes vues, le juge de face, et les avocats au trois-quarts, derrière le barreau. La 3D permet aussi de jouer sur quelques effets de caméra pour amplifier les coups de théâtre chers à la série comme faire un panoramique sur la vue d'ensemble de la scène, par exemple. Ou bien créer des zooms dans les forts moments d'introspections des personnages, ou amplifier les poses finales, toujours soulevées par une musique bourrée d'énergie et d'allant. Les développeurs se sont ainsi bien réapproprier les anciens codes de la série, tout en utilisant leur 3D à bon escient et y amplifier les tensions scénaristiques. On notera comme d'habitude une stéréoscopie de la 3DS inutile et a tendance à assombrir l'écran mais on reconnaitra un bon découpage des plans et un joli effet. Les développeurs ayant songer à ajouter des projectiles lors des animations in-game afin de mettre à profit ce relief gadget. Enfin, le jeu est découpé par des cinématiques en dessin animé tel la série japanim'. Si en théorie, ça a le mérite d'apporter un petit plus de mise en scène, la réalisation générique shonen, que ce soit dans le trait et les couleurs fades mais surtout dans une naïveté de mise en scène assez gênante (notez : paillettes, pose attitude « on est tous des keupins », métaphore du ciel qui s'assombrit, et autres poncifs de la culture populaire japonaise), brise l'univers mieux dosé in-game.

Comme très souvent dans la série, l'écriture des affaires aura des hauts et des bas. Si on sera au début, très déçu de connaître les meurtriers dès la cinématique d'intro ruinant tout suspens dans les deux premiers chapitres, la suite devient bien plus intéressant. Comme souvent, il y a une histoire fil rouge révélée lors de la toute dernière affaire et celle-ci se révèlera fortement intéressante avec moult rebondissements et jolie cohérence de l'affaire. Dans cet épisode, Phoenix reprend du service après 8 ans d'arrêt et il compte bien mettre un terme à « l'âge sombre de la loi », c'est à dire l'impartialité de la loi gangrenée par la corruption et la fabrication de preuves. Ne vous basez surtout pas sur les deux première affaires (notamment la deuxième) pour vous faire une idée de cet épisode. Comme le veut la tradition, nous nous devons de nous farcir une affaire totalement excentrique et WTF. Cette fois, on dit au revoir à la lignée des « samouraïs » pour la classique affaire multi-color toute rigolote, et on dit bonjour au monde des « yokai », ces monstres surnaturels qui réveillent les superstitions des japonais. Une affaire totalement alambiquée où les personnages sont visuellement ridicules, se contredisent n'importe comment et allongent l'affaire inutilement. Passé ce deuxième chapitre pénible, on sent l'inspiration revenir. Avec une troisième affaire étant une sorte de mise en abime où a lieu un crime dans une école pour apprenti avocat, procureur et juge, le cynisme des personnages devient bien plus palpitant. On regrettera néanmoins des messages shonen un peu trop grossiers prônant l'amitié comme meilleur défense juridique... Enfin, la construction de la quatrième et cinquième affaire reprend un classique des Ace Attorney où se mêlent divers flashbacks où tous les personnages de l'épisode sont concernés. A part cette foutue tradition de l'affaire ultra colorée des sentai, yokai et tout ce que vous voulez du folklore japonais, cet épisode revient à un bien meilleur mélange de sérieux, d'humour, de second degré, de sarcasmes en tout genre et aussi de bonne humeur quand il faut. Le retour de Phoenix est très important pour ça, il permet aussi de faire revenir Apollo Justice comme personnage secondaire, nous évitant de se farcir son trop plein d'arrogance et naïveté. Mais tout de même jouable. En effet, les trois avocats, incluant la jeune Athena dirigeront à chacun leur tour une affaire. Une diversité et un rafraichissement de comportement bienvenus. D'autres éléments de fan service seront présents mais cette fois bien incrustés. Jamais too much ou inutiles, ou incohérents, nous aurons le retour de Benjamin Hunter (/Miles Edgeworth), Klavier Gavin et Trucy Wright, issus du précédent épisode et même quelques clin d'œils pour les premiers fans. C'est jamais de trop, on ne tombe pas dans la réunion de famille forcée, tout ça est élégant et amusant retrouvant toute la côte de sympathie que l'on avait pour ces personnages. Les PNJ ont eux subi cette nouvelle modération dans les couleurs criardes et leur allure ridicule extravagant (pas comme AA4 ou les Miles Edgeworth), excepté cette deuxième mission, pour grandement faciliter au retour en trombes de la recette et le dosage traditionnel de la franchise.

Changer intégralement l'équipe de développement pour cet Ace Attorney aura finalement fait un bien fou à la franchise dont la qualité baissait dangereusement depuis trois épisodes. En effet, l'absence de Shu Takumi n'aura pas été préjudiciable mais l'absence des anciens scénaristes et designers d'AA4 et Miles Edgeworth, aura été fortement bénéfique. Bien sûr, objectivement nous retrouvons une formule sans réelle renouveau. Mais cela faisait tellement d'années qu'on n'avait pas eu un bon Phoenix Wright qu'on appréciera ce retour comme il se doit. Le jeu est long, bien que facile car les nombreuses incohérences ou de mauvaises interprétations que l'on a déjà pu rencontrer sur certaines anciennes affaires ont disparu, mais le plaisir se retrouvant dans la cohérence du cheminement des scénarios. On ne se retrouvera jamais devant un « putain j'ai rien compris ce qu'il faut prouver » ou « j'ai 36 items qui prouvent mes dires, lequel est reconnu comme le bon ? ». On ne sera aussi jamais bloqué dans les investigations puisque les scripts pour inciter le joueur à quitter la zone se déclencheront dès que toutes les interactions auront été faites. On regrettera la présence de DLC pour une affaire de transition entre AA4 et cet épisode... Une affaire où on doit défendre un orque... Les 5 chapitres sérieuses vont donneront de quoi faire à eux seuls. Ace Attorney n'a pas un game design difficile à se réapproprier, donc ce n'est pas vraiment un exploit qu'a effectué Capcom. Mais c'est rare qu'une série retombe sur ses pieds après une suite d'épisode plus que moyens.

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(Re)lire l'article, mis en page, sur PG Birganj.