Article publié la semaine dernière. Cette semaine, y a... rien.

Si l'on écrit « Shadowrun », les plus jeunes d'entre vous penseront éventuellement au FPS multi ridicule édité par Microsoft pour vanter le cross-play en ligne entre possesseurs de 360 et de PC, en 2007. Les plus vieux penseront peut être au RPG sorti sur Snes et celui sur Megadrive. Enfin, les « vrais de vrais » savent qu'il s'agit d'un jeu de rôle papier populaire.

Son créateur, Jordan Weisman, a décidé qu'il fallait reprendre le contrôle sur sa licence et développe avec son studio Harebrained Schemes, ainsi qu'avec la participation de donateurs Kickstarter en mars 2012, Shadowrun Returns. Son but de 400 000 dollars est atteint en 28 heures, l'équipe récoltera finalement un peu moins de 1,9M de dollars. Reste à savoir si ça les méritait.

RPG pour les nuls mais presque

Quand on pense « jeu de rôles papier », le neophyte pense « tas de règles quantitativement ingérables et qualitativement incompréhensibles ». Malheureusement pour les gros fans hardcore mais heureusement pour les newbies, ce Shadowrun Returns n'est pas du tout compliqué et est même très simple à assimiler tant ses règles font parties du ba-ba du RPG occidental. Chaque personnage a ses propres compétences mais surtout ses points d'action (2 au début, puis 3 selon le niveau). Tel un Tactical, on se déplace sur une grille dont les déplacements coûtent des points d'action. Selon les caractéristiques du personnage, vous pourrez vous déplacer plus ou moins loin et agir en fonction de vos PA restant. Enfin, comme tout RPG occidental, il y a un taux de réussite dans chaque attaque, calculant le nombre de « miss » et de « critiques ». Ce nombre diffère en fonction de votre placement, vos stats et votre arme. En effet, une mitrailleuse à distance sera moins efficace au corps au corps, par exemple. Enfin, il sera possible d'ajouter des points de bonus en « armure » si vous vous cachez derrière des obstacles, indiqués par la grille de la map. Un peu Tactical, sans sa rigidité de déplacement case par case et un peu RPG classique sans que ce soit la foire aux spams d'actions, Shadowrun Returns se pare d'un gameplay simple mais qui nécessitera de bien gérer ses troupes. On retrouve les classes du jeu habituel : Street Warrior (guerrier utilisant arme à feu ou arme de mêlée), Mage, Shaman (buff/debuff et invocations), Decker (hacker qui permet de rentrer dans la Matrice pour prendre le contrôle de tourelles ennemis, par exemple) et Rigger (utilise des drones de combat). Chacun est ensuite libre d'équilibrer son personnage comme il l'entends, comme par exemple booster l'habileté de votre Shaman à utiliser un fusil d'assaut pour éviter qu'elle ne serve à rien... Le jeu fait effectivement très attention à ne pas rendre les mages trop puissants et limitent ainsi l'utilisation des magies avec un cooldown (capacité bloquée jusqu'à un certain nombre de tours) qui sera de plus en plus important avec le temps. Si l'on débloque l'accès à certaines magies en disposant ses points de Karma (l'équivalent d'un point de compétence), il faut acheter ses magies, utilisables ensuite comme bon vous semble. Néanmoins, les slots de magies sont très limités pour empêcher d'avoir de trop puissants mages. Très complet dans la customisation, le jeu vous autorisera aussi à porter des implants cybernétiques pour augmenter vos stats (hausse de HP max par exemple). Mais à l'instar de toutes les règles du jeu, il y a un malus. Et si vous faites appel à la technologie, vous perdez des points d'essence et donc de slots de magies. Ainsi, si l'arbre des compétences est non seulement très riche et ouvert, nombre de règles vous obligeront à bien mesurer vos choix. Cet arbre de compétences agissant aussi bien sur vos capacités physiques, aptitudes aux armes (chaque type d'arme a sa branche de compétence augmentant sa précision et donc taux de réussite), magiques, que charisme (influent sur vos choix de dialogue) mais aussi hack, est aussi limité par le choix de la race. Si un humain verra ses capacités équilibrés (pouvant augmenter ses capacités jusqu'à 9 sur 12 paliers maximum), un elf sera plus apte à la rapidité et au charisme qu'un troll sera plus apte au physique, par exemple. A vous de choisir, même si l'ensemble reste souple... Mais le jeu étant plutôt court (10 heures environ), inutile d'imaginer avoir un personnage à multiple facettes de qualité, vous n'en aurez pas le temps. De plus, le jeu effectue des sauvegardes automatiques. Donc si vous distribuez mal vos points de karma avant de débuter un niveau, vous augmenterez de vous-même la difficulté du jeu. Et il ne sera pas possible de modifier les mauvais choix. Tel un pur RPG dont la force réside dans l'équilibre des statistiques (d'ailleurs réajustés par patch très tôt à la sortie du titre), Shadowrun Returns s'amuse à laisser entrevoir au joueur une multitude de possibilités, une multitude de magies tout en les bridant par le nombre, obligeant à jouer intelligemment. Maitriser ses points d'action restant pour mettre à l'abri un personnage avec de faibles HP ou concentrer ses tirs en groupe sur un ennemi puissant sera indispensable pour avancer efficacement dans le jeu.

Décomposant le jeu en plusieurs niveaux dont certains entièrement dédiés aux combats pouvant durer une bonne vingtaine de minutes selon la difficulté et vos capacités, les développeurs n'hésitent pas à jouer du surnombre ennemi pour forcer le joueur à utiliser le décors à son avantage. Impossible d'y aller tête baissée ennemi par ennemi, isoler ses ennemis, savoir se cacher, utiliser ses points forts avec sagesse rendent les combats clairement tactiques. Jongler entre un hacker (qui doit combattre toutes sortes de programmes ennemi dans sa « matrice » - un univers à la Tron illustrant les systèmes informatiques) pour prendre les tourelles, sans que son corps physique soit touché par les ennemis réels peuvent devenir un vrai casse-tête. Un gameplay millimétré où un simple tir manqué allié et un tir critique ennemi peuvent renverser le cours du combat. Vous ragerez souvent d'ailleurs sur cette côte aléatoire... Mais c'est le jeu. Le découpage en niveaux est de toutes façons conçu pour inciter au die and retry. Si vous perdez le combat, vous le recommencerez, c'est tout (en vous retapant les dialogues, ce qui peut être agaçant après certains GameOver). Perdre un combat sera on ne peut plus normal et vous permettra de concevoir une stratégie claire : telle endroit est-elle plus sécurisante qu'un autre ; quel ennemi à attaquer en premier, attaquer groupé ou s'éparpiller, etc etc. Cependant, ceci est à relativiser. Si sur le papier et même sur la pratique, nous voyons l'importance qui se dégage dans la stratégie des joueurs, on sent qu'il y avait encore mieux à faire. Même si on peut travailler quelques tactiques d'approches, le facteur chance a beaucoup d'importance malgré tout. Une attaque groupée critique, vous retirant des points d'action vous empêchant d'agir sera fortement préjudiciable et pourtant, difficile de s'en défaire ou de sen prémunir, à part se déplacer perdant des tours d'action et donc retarder l'échéance jusqu'à trouver une brèche, tel un jeu d'échecs. Le sentiment de jouer sur le fil du rasoir peut être frustrant, là où un gameplay un poil plus rigoureux dans sa mise en pratique (par les stats ennemis par exemple et sa chance insolente, ainsi que des petits problèmes de visée pour les magies étonnamment faibles) aurait rendu le jeu plus agréable et plus tolérable dans la défaite.

Une moitié de jeu en ligne droite

Comme expliqué plus haut, Shadowrun Returns est découpé en niveaux marqués par une sauvegarde automatique, obligeant ainsi le joueur à se dépêtrer de son tableau en utilisant les forces en sa possession. Mais tous les niveaux ne sont pas des combats. Certains seront propices aux dialogues faisant avancer le récit de l'aventure. Il n'y aura absolument aucun choix de dialogue à part des options en fonction de vos stats ou de vos « étiquettes » de conduite. Il s'agit d'un style de comportement que l'on acquiert en montant de niveau dans son charisme et débloque ainsi des nouveaux dialogues avec certains personnages. Mais ces lignes de dialogues optionnelles n'apportent généralement rien, parfois un petit bonus en argent, parfois quelques infos plus précises sur la situation, mais pas de réel libre arbitre là dedans. Parfois, des niveaux obligeront le joueur à boucler des petites énigmes très simples et à fouiller le décors pour récupérer des items. La richesse de gameplay de ces scènes est très faible. Hormis un niveau vous obligeant à lire et relire quelques écrans pour boucler l'énigme, rien ne sera compliqué et ne se résumera qu'à cliquer sur des bulles de dialogues. Jeu de faible budget oblige, ce n'est évidement pas doublé. Mais heureusement plutôt bien écrit (en anglais) car il nous amène à découvrir en douceur l'univers de Shadowrun tout en suivant une enquête sur la mort de votre pote Sam. Le héros ou l'héroïne au nom que vous lui donnerait est un(e) shadowrunner, c'est à dire un(e) mercenaire travaillant essentiellement pour des grosses industries. Dans ce futur des années 2050, votre ami ou plutôt collègue Sam a été tué. A l'aide d'un testament holographique, Sam vous demande d'enquêter sur son meurtre. Vous n'avez rien à faire et il vous faut de la thune, vous foncez. Ce qui semblait n'être qu'une histoire de justice va d'abord se transformer en résolution d'une enquête d'un serial-killer, puis en complot de plus grande envergure. Classique, vous direz-vous. Il faut compter sur un univers qui ne l'est pas, peuplé de personnages toujours bien peu recommandables pour ainsi obscurcir ce scénario qui semble si simple. Shadowrun part du principe que dans le futur, le monde sera mangé par la haute technologie, il y aura une recrudescence de la magie, ainsi que le retour des elfs, trolls, nains et orcs que l'on croyait n'être que légendes. La présence de ces éléments fantaisistes est surtout là pour ajouter, comme son nom l'indique, de la fantaisie dans un univers cyberpunk on ne peut plus classique. Les multinationales contrôlent le monde, la criminalité a explosé, les classes sociales se sont creusées et l'argent est roi. Rien de bien original, en somme. Petit détail, l'argent est tellement important dans Shadowrun que les développeurs vont pousser l'idée jusqu'à ce que vous devez payer vos trois alliés pour les combats. Donc si vous dépensez tout en items, par exemple, vous n'aurez plus d'argent pour engager vos alliés, rendant impossible l'accomplissement de votre niveau. Dans tous les recoins du jeu, ce concept de carotte et de bâton très prononcé est au cœur de Shadowrun : rien n'est gratuit, les cadeaux n'existent pas, et les bonus n'existent qu'avec des malus.

C'est un univers très obscure où l'on ne rencontre personne de clean, bien aidé par les très jolis portraits en peinture numérique habillant les dialogues et des descriptions de situation détaillant le comportement des personnages rappelant les anciennes techniques d'écriture des RPGs occidentaux. Ainsi, en quelques lignes d'écriture mais surtout grâce à un gros travail graphique en 2D (avec un peu d'éléments en 3D simples et des modèles de personnages fins en toon shading), utilisant une vue en 3D isométrique, Shadowrun Returns délivre son potentiel immersif. Que ce soit dans les rues mêlant vestiges du passé comme restaurants, manèges de rue habillés maladroitement de tubes fluos tentant d'égayer une obscurité et un délabrement omniprésent ou les niveaux aux bureaux blancs immaculés, l'excentricité et la diversité colorée de l'univers saute aux yeux. Si mêler fantasy et cyberpunk peut se révéler dangereusement kitsch en terme de cohérence visuelle, le travail y est ici totalement assuré. Varié, fin, sachant manier les couleurs vives malgré un univers « sombre », les éléments de fantaisie se fondent sans aucune peine dans ce mélange hétéroclite et cosmopolite. Voir un orc inspecteur de Police n'a ainsi rien de surprenant, tant ces différentes races se mêlent aux unes des autres. Visuellement, c'est très réussi et cette première enquête d'une petite dizaine d'heures (en comptant les GameOver car sans ça, le menu du jeu affiche environ 6 heures) permet de planter le décors et des premières bribes de l'univers pour peu que vous ne le connaissez pas. Cependant, n'avoir que des bribes est un peu le souci... Certes, l'écriture est bien amenée car elle nous amène à découvrir des personnages importants, à venir en aide à d'autres personnages, tout en enquêtant sur des meurtres mais l'ensemble reste fondamentalement sage et classique. Sa linéarité rigide et l'absence de choix déterminants dans les dialogues, ainsi que la très faible présence de quêtes optionnelles (bien souvent se résolvant sous nos yeux sans difficulté) n'aide absolument pas à épaissir ce scénario. Si l'équipe travaille déjà sur sa deuxième mission se déroulant cette fois à Berlin, il faut se contenter que de cette mission à Seattle, à l'heure actuelle. Non seulement, ça n'explore pas assez l'univers mais on ne profite pas non plus pleinement des capacités de son personnage, se contentant de booster son unique talent principal, puisqu'on l'a dit, de mauvais choix trop éparpillés amèneraient à corser le jeu. Un mode difficile et même très difficile est disponible, si vous aimez vous battre avec les chiffres et les taux de chance injustes. Bref, ce qu'il faut retenir de ce Shadowrun Returns, c'est que ce n'est qu'un début... Les développeurs travaillent déjà sur leur mission de Berlin devant, en toute logique, être aussi long que celui-ci. Enfin, grâce au palier de 1,5M de dollars atteint sur Kickstarter, l'écriture du scénario du jeu Snes et Megadrive sera adapté avec ce moteur. Shadowrun Returns inclut aussi un éditeur de niveaux très complet. Ce sont donc les fans qui alimenteront l'univers riche de Shadowrun Returns. Ceci nécessitera tout de même beaucoup de travail et de rigueur comme toute création, si un groupe s'attèle déjà à adapter des scénarios du jeu papier, il va falloir être patient pour les voir jouables. Sans garantie de réussite. Par conséquent, Shadowrun Retruns est un jeu, tout simplement inabouti et qui a encore beaucoup à offrir. Tout dépend de la régularité à la fois de ses créateurs et de ses fans. Selon les promesses des développeurs, nous attendons donc trois autres scénarios : une histoire originale se situant à Berlin, le scénario du jeu Snes mettant en scène Jake Armitage (déjà présent dans ce scénario à Seattle) et le scénario Megadrive. Ca fait beaucoup mais, s'il est tenu, le concept de relancer cet univers, créé en 1990, sur la longueur au travers un moteur de jeu très propre aux règles perfectibles mais simple d'accès demandant un tantinet de tactique, peut se révéler très prenant.

Pas révolutionnaire, pas non plus irréprochable, le gameplay de Shadowrun Returns reste tout de même solide, à condition qu'on n'abuse pas du surnombre et d'attaques craquées. Se jouant posé, ne rechignant pas à refaire un niveau après un GameOver, lisant des dialogues à l'écriture simple au scénario crescendo, Shadowrun Returns vous fera passé un bon moment. Très propre dans tous ses compartiments de jeu, c'est la représentation graphique en 2D du jeu, bien appuyé par la musique souvent hypnotique qui permet au joueur de prendre part au trip de cette enquête de « l'Éventreur » à Seattle. Les gros fans de la licence y trouveront aussi leur compte avec l'éditeur puissant mais assez accessible où chacun pourra écrire ses scénarios, les mettre en place, concevoir des combats plus tactiques que l'original ou mieux équilibrés, etc. Le problème, comme toujours, avec cette feature, c'est qu'il vous rend dépendant du rendement des fans à la qualité incertaine. Heureusement, les développeurs travaillent déjà sur d'autres scénarios. L'aventure Shadowrun Returns ne fait que débuter. En ce sens, ces dix heures sympathiques servent de très bonne introduction. A voir si le reste élèvera de niveau.

14

(Re)lire l'article, mis en page sur PG Birganj : en Une ou dans la rubrique "Critiques".