Article publié la semaine dernière. Cette semaine, vous pourrez lire notre critique de Shadowrun Returns.

Cette critique pourrait tout aussi bien apparaître dans la rubrique Retro de Birganj. Heureusement ou malheureusement, la mode du rétro et des remakes font que Leisure Suit Larry est relancé dans l'actualité. Reloaded est le petit nom graveleux donné au remakes de la série. Financé avec succès sur Kickstarter, ce remake du premier Leisure Suit Larry a permis de conforter son créateur Al Lowe l'idée que son personnage fétiche était encore réclamé. Résultat : toute la série des Leisure Suit Larry est programmée pour passer à la moulinette du remake. Le second n'arrivera qu'en 2014 minimum. Al Lowe a décidé aussi de reprendre le huitième épisode, abandonné suite au démantèlement de Sierra en 1999, précédé d'un stoppage de financement.

Nous revoilà donc en 2013 et Larry revient. Si son « charme » reste intact, ses mécaniques, elles, sentent la rouille, voir la décomposition.

Coucou, tu veux voir ma bite ?

Larry Lafer est un quarantenaire, fan de disco, intimement persuadé que la mode va revenir. Avec ses cheveux dégarnis, son costume en polyester entrouvert au torse et son mètre quarante au long pif rappelant vaguement un politicien reconnu, on ne peut pas dire que Larry soit un Don Juan. Malédiction, il est de la queue. Il faut qu'il prenne son pied, il faut qu'il aguiche une jolie femme dès qu'il en voit une, rappelant vaguement un autre politicien reconnu. Larry se dit que pour aller pécho avec sa gueule de porte-bonheur, il faut aller à Las Vegas, renommé ici Lost Wages (qui veut littéralement dire « salaires perdues »). Tout l'humour de Larry est basé sur des jeux de mot ou des insinuations. Ça passe par le nom de la ville à des sous-entendus salaces comme parler de va et vient, parler de « gros pistolets » à une agent de sécurité aux mensurations... parfaites ? Hmm c'est ça, parfaites. Ces sous-entendus rentrent aussi dans les décors avec un lampadaire d'une chapelle en forme de pénis, ou des personnages caricaturant la culture populaire. Si avec 7 épisodes (6 en réalité, le n°4 n'existe pas), Larry a la réputation d'être un chaud lapin, il est encore vierge quand on débute le premier jeu. Et le but ? Trouver la femme de ses rêves. Hélas, les mœurs légères de Las Vegas ne rendent pas ces femmes complètement aveugles. Larry doit donc, entre deux bouffés de déodorant pour refouler son odeur buccal, trouver des astuces pour amener les femmes dans son pieu. Le jeu étant une caricature, un jeu totalement humoristique qui s'essaie à brosser le portrait de femmes clichés étant à peine plus reluisantes que ce baveux de Larry. On doit ainsi « séduire » une prostitué russe toute ridée dans un lit rempli de morpions, une femme avide qui aime l'argent avant tout, une agent de sécurité trop parfaite et une jolie maitre-nageuse amoureuse des animaux... Pour accéder éventuellement à LA femme qui aimera Larry pour ce qu'il est : téméraire et donc romantique. Mélange de grossièretés et de caricatures faciles, le jeu propose tout de même un bon soupçon d'ironie sur les situations qui envoient balader ce pauvre looser de Larry. Pour ne pas se sentir seul, la voix off donne des conseils au héros (et par extension au joueur, ça va de soit) décrivant les scènes et les actions. Ça donne ainsi des commentaires graveleux et moqueurs sur vos essais ridicules de mixer tel ou tel objet. On s'amuse ainsi à faire un peu n'importe quoi comme lécher le sol ou pisser sur quelqu'un pour voir les réactions et dialogues du narrateur. C'est absurde, nous incarnons un antihéros sans aucune prétention, ce qui va le rendre au fil de nos actions, extrêmement sympathique. Les voix en anglais, mais sous-titrées en français, sont caricaturales, avec des intonations de cartoon. Un peu comme les courts-métrages de Dingo avec une voix off décrivant et parlant à son personnage, sur un ton moralisateur, condescendant mais avec une petite pointe d'empathie et de complicité avec le héros/joueur. On ne se sent ainsi pas seul quand on cherche quoi faire dans le jeu... Et tout ça rend l'univers de Larry amusant, à défaut d'éclater de rire, tant les perches sont assez grossières (l'humour scabreux atteint vite ses limites) ou volontairement au ras des pâquerettes. C'est spécial, c'est un peu comme aimer les blagues pourries. On n'en rit pas parce qu'elles sont bien écrites mais parce qu'elles sont ridicules malgré elles. Larry est comme ça. Le jeu est comme ça. C'est totalement potache et c'est une appréciation personnelle où tout le monde ne trouvera pas son compte.

Mode d'emploi : ne pas ouvrir avec les dents

Ce Reloaded conserve évidement les dialogues de l'original et de son humour. En fait, à l'instar du « remake » de Monkey Island, il s'agit d'une sorte de « reskin » pour parler simplement où l'on a troqué les pâtés de pixels en faible résolution pour des dessins numériques en haute résolution. Ainsi, Larry retrouve son design accompli du septième épisode et tout son ensemble au look de dessin animé. C'est très coloré, les dessins sont fins, une bonne diversité de couleurs, des décors très détaillés, bien que pas plus interactifs qu'à l'époque de l'original, hélas. Le redessin est clairement réussi mais conserve une animation très hachée issue de 1987, son année de sortie. Ce n'est pas si gênant que ça. Le look étant assumé à 100% cartoon, les déplacements de Larry en 3 sprites maximum se fondent au grand-guignolesque du jeu. Très peu de PNJ bougent avec complexité, ce qui aide aussi à tolérer cette simple reskin. Le plus amusant est que ce Reloaded prouve qu'il est très très difficile de dessiner une belle femme avec un tel style cartooné... En effet, les sprites des conquêtes de Larry ont une dégaine et un faciès aux proportions plus réalistes (bien que simplifiés) qui tranche avec le reste. Pour couronner le tout, ce design change en fonction des plans. Les gros plans fixes où Larry discute avec elles ouvrant la boite de dialogue au joueur, nous donnent droit à des peintures plus détaillées, moins cartoonesques utilisant plus de dégradés, de touches, de subtilités dans la palette colorimétrique pour un rendu « réaliste ». Ce même rendu devient alors plus simplifié lors des animations. Ça manque un peu de cohérence artistique, et ça rappelle bien les techniques similaires de l'époque où le plan fixe apportait plus de détails. D'un côté, il fleure bon le old school. De l'autre, voir ça en 2013 est plus difficilement acceptable.

Le plus gênant étant le gameplay totalement ubuesque du jeu. Les énigmes de ce click'n play sont en général complètement à côté de la plaque sans aucune logique (même fallacieuse à la Monkey Island). Créer un parfum en utilisant les glandes d'un chat de gouttière... Vraiment ? A force d'aller loin dans le burlesque, ça finit par ne plus ressembler à rien. Mais le problème est ailleurs. Le jeu abuse de zones bloquées. Des interactions ou des lieux qui s'activent seulement après x actions. Une technique augmentant artificiellement la durée de vie (pas bien lourde : 4H environ) et la difficulté incompréhensible. Le jeu est aussi pas toujours très clair, puisqu'il est non linéaire. Vous pouvez aller dans les différents tableaux du jeu comme bon vous semble, le but étant de chopper toutes les belles filles du jeu (celles où l'on peut discuter avec). Mais à cause de ce parti-pris, on augmente nos chances de créer des paradoxes de gameplay, obligeant les développeurs à bloquer certains accès avant certaines actions... Pour celui qui aborde le click'n play avec raison, en scrutant et récupérant tous les éléments à sa portée pour résoudre son puzzle dans l'ordre logique des choses, Leisure Suit Larry sera un jeu très mal agencé. On ne prend strictement aucun plaisir à résoudre des énigmes aussi incohérentes. C'est clairement les dialogues, les dessins et cet érotisme omniprésent qui rend le jeu amusant. Le gameplay, lui, est absurde et mal conçu. Le jeu utilise aussi l'argent du héros. Pour aller à tel ou tel tableau, vous devez utiliser le taxi (car à pied, vous vous ferez tabassé par des voyous) qui coûtera cher. Le jeu étant ouvert, il vous obligera à des allers-retours vous coûtant bonbon. Il faut alors se faire de l'argent de poche en jouant aux machines à sous... Une machine à sous étant aléatoire, il faut impérativement tricher en sauvegardant à chaque mise pour avoir la paix. Là encore, une idée de gameplay lourde et artificielle. Ajoutons à cela, cette vieille mécanique de curseur où il faut choisir son action avant de cliquer entre voir, toucher, parler, lécher, montrer son zgeg et interagir avec un objet, vous avez un jeu ressortant en 2013 utilisant la même mécanique que 1987. Pour être plus exact, on fait défiler les actions avec clic droit ou on affiche l'intégralité en laissant le clic gauche appuyé. Le fait de ne pas automatiser les actions du curseur empêche l'assistanat et limite la facilité des click'n play. Mais faire défiler sans cesse les choix d'action pour essayer différentes combinaisons est vite rébarbatif.

Enfin, nous apprécions la présence exclusive d'une nouvelle femme (Jasmine) à conquérir, offrant donc énigmes (ridicules) et dialogues (amusants) en plus, rallongent un peu la durée du titre.

Retro : Leisure Suit Larry 7 : Drague en haute mer

Petit encart rétro. Jouer à Larry est si attachant (peut être parce qu'il touche notre corde lubrique) que passé le premier épisode, vous pourrez vous demander s'il y a eu une évolution dans la série de sept épisodes (on ne compte pas les deux spin-off en 3D n'étant ni écrits, ni dirigés par Al Lowe). La réponse est... Non. Avant toute chose, les jeux Sierra de l'époque sont très laids. Le Larry original de 87 est vraiment moche et vide arborant un héros déformé, ne collant pas avec le sujet érotique (se devant d'aguicher un minimum l'œil tout de même). Et même pour un jeu de 87, c'est pas le pied. La série n'est réellement regardable et appréciable qu'avec l'épisode 7, de 1996. Cet épisode donne à Lary sont design définitif : rond, avec un regard de chien battu basculant au regard vitreux à la vue d'une paire de seins. Les couleurs vifs et les traits finement dessinés sont arrivés qu'avec ce dernier épisode. Les précédents conservant un amas de pixels et une représentation assise entre deux chaises : mi-réaliste, mi-coloré. Larry 7 est aussi l'unique épisode doublé en français ! Un bon français caricatural, où la traduction est globalement de qualité malgré des accrocs (il n'est pas évident de traduire les nombreux jeux de mot du titre). Ce sont les représentations des filles qui profitent de ce design ne souffrant pas de décalages graphiques comme ce remake. Que ce soit les plans fixes ou les plans animés, le design des conquêtes de Larry est identique. La force étant de conserver une belle attractivité malgré un aspect cartoon très prononcé. Un peu comme une Jessica Rabbit... Même si on ne fera jamais mieux que Jessica Rabbit, bien entendu. Bref, cette homogénéité graphique n'est pas retrouvée dans Larry Reloaded. Mais ludiquement, Larry 7 souffre autant des mêmes problèmes d'origine, avec des interactions verrouillées selon certaines conditions, ou qui nécessitent de faire des allers-retours irrationnelles, ou répéter des actions sans trop de rapport. Ça manque de fluidité ludique. Larry est une série qui doit tout à son humour et doit supporter un gameplay de plomb et une interface dépassée à tous ses épisodes. Par exemple dans ce septième épisode datant de 1996, on se farcie encore un menu textuel pour associer des objets... Il y a encore l'option « autre » qui autorise le joueur à entrer un verbe pour, peut être, débloquer une action cruciale dans la résolution d'énigme (faut donc avoir la chance de : choisir le bon objet, savoir quand est-ce le bon moment et ne pas se tromper de verbe, les synonymes n'étant pas admis). Un faux bon concept. Le gameplay de Larry est archaïque et est typiquement du Sierra. Il faudra espérer autre chose pour Larry 8, dont le développement serait repris si l'on en croit les propos du père Lowe.

Leisure Suit Larry est un vieux jeu, avec de vieilles mécaniques et des énigmes n'ayant ni queue, ni tête, avec des astuces pour doper artificiellement la durée de vie. Ludiquement, c'est un mauvais click'n play. Néanmoins, son humour potache, tantôt lourd, tantôt subtil est là, même s'il peut être plombé par la lourdeur du gameplay. Leisure Suit Larry, c'est comme le nanard dont on n'a pas honte d'aimer revoir. Du même acabit que les films français des 70's : A nous les P'tites Anglaises ou du début 80's, Les Babas Cools. C'est « franchouillard » (même si d'origine américaine), on veut voir des jolies filles, des seins, des fesses, des plans dragues vaseux tournant cet univers de loose en dérision (que ce soit du point de vue de Larry ou des donzelles qu'il convoite).

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