Article publiée ce WE sur PG Birganj. Oui, oui un article partagé en temps et en heure ; faut bien surfer sur le hype du moment.

Lors de sa présentation en août 2010, Bioshock Infinite avait impressionné les foules : très beau et jouant sur l'apesanteur de son décors aérien. Une annonce effectuée en 2010 et quelques retards plus tard, ainsi qu'une lutte interne entre un éditeur voulant imposer un mode multi et un développeur le jugeant inutile risquant de perdre une partie de son équipe du solo, puis quelques départs de directeurs et chef d'équipe 5 mois avant la sortie du jeu, voilà encore un développement des plus compliquées. Encore, car c'est semble t-il une habitude quand on travaille avec Ken Levine. Rappelons qu'Irrational Games s'était scindé en deux équipes suite au développement du premier Bioshock. Une partie ne pouvant plus supporter Levine. Ça n'avait cependant pas empêcher le jeu d'être une perle, bien que ses partis-pris de gameplay n'ont pas été appréciés par les fans de FPS pur et dur. Voilà donc Bioshock Infinite qui porte le titre de Bioshock uniquement pour les besoins mercantiles de Take Two. En effet, Infinite n'a rien à voir avec Rapture. Néanmoins, si l'on nomme son jeu Bioshock, il faut s'attendre à être comparé avec son ainé.

Miroir, mon beau miroir, guide moi dans mes choix de game design

Les premières minutes de Bioshock Infinite rappellent deux autres jeux. La toute première impression est l'intro où le héros se fait conduire en barque jusqu'à sa destination, comme Dishonored. Un travail technique et graphique qui lui est aussi très proche dans le sens où à défaut de jouer la carte de l'ultra-réalisme, l'équipe d'Irrational Games offre un univers stylisé presque dessin animé, permettant ainsi de se passer de textures haute res, ou en tout cas très détaillés. Bioshock Infinite n'est pas un bijou technologique, mais on le verra plus tard, reste très beau. Puis, le héros va découvrir Columbia, tout comme le héros découvrait Rapture. L'effet de style introductif donne le ton : là où le héros tombait du ciel d'un crash d'avion pour découvrir Rapture dans une machine fort intriguant, notre héros, Booker DeWitt, lui, part de la mer pour monter aux cieux dans une machine installée dans un phare. Un effet de miroir très facile à repérer, qui s'accentuera au fil de l'aventure : Rapture est délabré, Columbia resplendit ; on est censé sauver plusieurs petites filles dans Rapture, ici, on est censé en sauver une grande ; il y a plusieurs Big Daddy, il n'y a ici qu'un seul « gardien » au design métallique, humanoïde avec un œil géant en forme de scaphandre, similaire ; etc. Cette règle prévaut aussi et surtout dans le gameplay du titre. C'est simple, c'est exactement le contraire. Bien sûr, on tire avec une arme à feu de la main droite et l'on envoie une magie (la « Plasmide » est ici appelée « Tonique ») de la main gauche. Mais, cette fois-ci, le jeu n'essaie plus de forcer le joueur à jongler entre les Plasmides pour réaliser des combos « créatifs » (même si en pratique, il était difficile de le faire), il assume un côté plus frontal, plus action, plus bourrin. Il y a encore quelques éléments de décors interactifs, comme une flaque d'huile ne demandant qu'à être enflammée par exemple, mais l'idée de combinaison est rayée de la liste. Plus action, donc ? Absolument. Là où Rapture était très économe en ennemis (5-6 maximum par zone, dans une ville presque fantôme), Columbia est riche d'ennemis. Et pour cause, le héros est catalogué comme un « faux berger », la police et même certains civils essaieront de vous matraquer et fusiller. Les ennemis sont ainsi bien plus nombreux. Si Rapture tendait plus vers l'exploration et l'immersion, Columbia est une course-poursuite. On se plaignait aussi de la lenteur des gunfights de Rapture, Columbia offre des gunfights très dynamiques, très proches d'un Doom-like dans les mouvements. On straffe, on tourne autour, on accélère pour enchainer le fusil à pompe où un coup de mêlée pour assurer, c'est très vif. Le plaisir de shoot est clairement là. On pourra regretter des sensations de tir encore un peu molles, ou du moins fades : pas beaucoup de recul, bruit un peu mou éventuellement et surtout impact sur les ennemis assez léger, muni d'une localisation des dégâts limitée (juste une tête explosée). Mais ce serait chipoter, tant ça bouge beaucoup. Pour participer à ce dynamisme, les munitions s'épuisent très vite, tout comme la santé. Pour ça, il faut alors fouiller sur les cadavres les munitions lâchés et les potions. Pendant la fusillade, il faut alors double cliquer très vite pour récupérer du stuff, tout en dansant entre les balles. Enfin, quand Elizabeth est disponible, elle fera apparaître des éléments interactifs, si on le lui demande à l'aide du bouton d'action. Certains éléments de décors : un grappin pour surplomber l'adversaire, une couverture, ou une gaitling automatisée, pour ainsi se donner l'avantage dans certaines arènes assez cotons, dont des ennemis très solides comme les Handymen. Des robots géants avec des grandes mains qu'on préféra faire sauter au lance-rocket. Si l'armement reste très classique (pistolet, shotgun, mitrailleuse, etc), elle a le mérite d'être variée très tôt. Mais le port est limité à deux armes. On conseillera alors de se garder un lance-rocket sous le coude, contre ces ennemis blindés... Des upgrades sont aussi à acheter, ainsi que pour les toniques. Ces dernières sont au nombre de huit mais on ne les utilisera pas franchement toutes... La plus utile étant celle permettant de contrôler un ennemi. Utile pour semer la pagaille et reprendre son souffle. Le reste étant grossomodo des magies élémentaires, à base de projectiles. On a aussi la possibilité d'en faire des pièges au sol. Encore faut-il avoir le temps de les placer au vu de l'agressivité des ennemis, ce qui n'arrive quasiment jamais. Booker a aussi un grappin pour s'aimanter aux rails de la ville. Ainsi, on peut fragger en « ridant » le tour de la zone. Mais on ne peut pas dire que ce soit ni pratique, ni dynamique, si ce n'est l'utilité relative de reprendre son souffle et laisser son bouclier remonter (seule le bouclier remonte seul, pas la santé). Un système de rails un peu gadget donc, vu que l'intégralité de l'action se situera au sol et à l'ancienne.

Vous l'aurez compris, les gunfights de Bioshock Infinite sont très agressives se jouant dans des arènes avec un héros très souple et renverse totalement les à priori des habitués du frag depuis le premier Bioshock.

Columbia, Arlequin voudrait vous parler

Columbia est-elle à Infinite ce que Rapture est à Bioshock ? A savoir une ville symbolisant un courant de pensé, une sorte d'élite qui cache derrière ses nobles intentions, une réalité macabre ? Oui et non. En vérité, Columbia n'est pas la star du jeu. Néanmoins, on peut clairement affirmer que la ville fictive ne rate pas son entrée en scène. Les nuages se dégagent, les cieux entourés de lumière éclatante révèlent la ville aux yeux du joueur-spectateur de sa vue en première personne dans un spectacle baroque des plus radieux. Des statues géantes, dotées de dorures, un temple bercé des eaux où flotte une nuée de roses en guise d'accueil, des autels illuminés et garnis d'offrandes, un prêtre qui vous baptise avant votre entrée en ville... Pas de doute, on sait recevoir. Ce que l'on expliquait plus haut sur le design stylisée permettant de ne pas offrir une claque graphique ultra réaliste s'expose très bien dans les premières minutes. Techniquement, le jeu n'est pas une claque dans le sens où les animations des personnages sont un peu systématiques, qu'il y a énormément de copiés-collés dans les PNJ, que l'animation de fond peut sembler rigide (malgré quelques effets de vent, de poussières, etc, au fil de l'aventure), et même que toute la lumière n'est pas dynamique. Mais, conceptuellement, réussir à reproduire un brassage de cultures entre l'architecture d'époque (l'action se déroule en 1912 et Columbia est fondé fin 1890), de style néo-colonialiste : bois peint, formes rectilignes, fenêtres espacés, associé à du baroque à base de dorures, de statues, de rivières et de fleures pour tout l'aspect religieux. Enfin, l'industrialisation à base de rails et de machines de cuivre rappellent le steampunk. L'ensemble final est saisissant de cohérence, malgré de grosses coupures visuelles propices au symbolisme des scènes (rien que l'introduction est un parfait exemple). Le jeu jouit aussi d'un gros travail sonore avec beaucoup de discussions de PNJs, des émissions de radios, des tourne-disques, etc. Columbia est visuellement superbe. Comme pour magnifier ce travail, tout comme pour illustrer l'adage « trop beau pour être vrai » les premières minutes sont remplies de lumières éblouissantes, de reflets d'eau, des pétales de rose en guise de particule, des nuages d'un blanc éclatant, l'ensemble est tellement poli, tellement « glossé » pourrait-on dire qu'elle cache quelque chose. Et effectivement, même si objectivement cette ville « too much » est très belle, sa beauté colorée masque une technique un peu vieillotte. Mais le plus intéressant est que scénaristiquement, cette beauté cache évidement des choses. Le joueur n'est pas dupe et d'emblée toute cette religion nous collant aux basques est évidement le sujet critique du titre. Pas simplement la religion, il y a tout un travail autour de la politique fanatiquee, quand le patriotisme américain devient une passion dangereusement incontrôlable. L'action se déroule en 1912 suite à la Guerre Sécession et la mentalité de Columbia se situe bien plus du côté des esclavagistes que des abolitionnistes, tout ça saupoudré de doctrine religieuse. Un sacré cocktail qui, hélas, existe toujours au XXIème siècle.

Cependant, rien à voir avec Rapture qui traitait de l'objectivisme, grossomodo, une élévation de la raison en long, en large et en travers où le héros/joueur apprenait à comprendre la déchéance de cette cité au fil de l'exploration et des enregistrements trouvés, permettant de craqueler petit à petit le mystère du monde. La critique de Columbia n'est pas le plus important et nous nous retrouverons devant un scénario plus classique où le mystère n'entoure pas la ville mais les personnages principaux, à commencer par Elizabeth. Ce personnage non jouable est scénaristiquement crucial, en plus d'être très bien intégré au gameplay puisqu'elle assistera le joueur avec une réactivité exemplaire. C'est elle le plus important de l'histoire. Fort heureusement, on peut compter sur un très bon doublage réaliste et très énergique rendant le personnage complice au joueur, bien aidé par des mimiques faciales spécifiquement conçues pour elles, absent de n'importe quel autre PNJ. Pas du genre à se plaindre ou à saouler, elle commentera avec maturité et recul la situation. Un recul bien étrange d'ailleurs au vu des aventures, m'enfin c'est titiller pour pas grand chose. Contrairement à Rapture, le héros a plus de personnalité, il a un nom, prénom et un background et s'intègrera dans l'histoire comme n'importe quelle autre histoire. L'aventure entre Booker et Elizabeth sera donc joué intégralement par le joueur, sans coupure, sans cut-scenes ou scripts lourds à la Call of Duty. Et ça ne l'empêche pas d'être prenant, grâce notamment à cette mise en avant de Columbia, via ses décors ainsi que des musiques très prenantes, accentuant les scènes de tension à base de gros sons graves et résonants. Très grandiloquent, voir théâtral. On sent bien que la culture visuelle du studio n'est pas le Cinéma mais bien ces jeux old school où l'histoire se narrait par des composantes sobres : textes, musiques, symboliques mais jamais de cut-scenes illustratives et terre à terre. En cela, Irrational Games et Arkane cette culture en commun. C'est probablement pourquoi le début nous a rappelé Dishonored. Ainsi l'ambiance de Bioshock Infinite et sa mise en scène in-game accroche le joueur, est dynamique, toujours en temps réel, favorisant l'intégration du joueur, même s'il contrôle un personnage indépendant (contrairement à Rapture où il y avait ce double jeu entre personnage fictif et joueur réel).

Une histoire de timing... ou de timeline...

Mais alors : visuel éblouissant ? Personnages attachants ? Gunfights du feu de dieu ? Mais c'est une merveille ?! Comme toujours, tout est question de dosage. Le problème de Bioshock Infinite est que c'est un Bioshock. C'est à dire que lorsque l'on connait la méthode scénaristique de Ken Levine et sa propension à vouloir nous retourner en une révélation, ça ne fonctionne plus si bien la seconde fois. Le joueur consciencieux va d'emblée se poser les bonnes questions et il y a des chances que vous vous doutez de la fin du jeu. D'autant que la timeline d'Infinite est très proche de Rapture c'est à dire que vous serez rythmés de séquences liées à un personnage emblématique de la ville. Ça inclut ainsi des séquences qui font avancer le déroulement de l'histoire (on l'a dit néanmoins, plus actif et classique), ainsi que des enregistrements qui épaississent l'histoire de Columbia et ont donc un lien avec l'histoire global. Tout comme Rapture où l'on enchainait des enregistrements du passé qui dans un premier temps intriguaient pour finir être des réponses à toute l'histoire. Or, quand on connait ce fonctionnement, le joueur fait ses recoupements d'information et sera moins étonné par l'avancée. De plus, la critique du fanatisme politique (on va l'appeler comme ça) montre très vite ses limites tant elle est bien plus commune (et existante) que l'objectivisme malsain de Rapture. Du coup, si on n'a plus grand chose à dire, on bascule sur l'histoire des personnages aux mécanismes plus conventionnelles. Sauf que pour expliquer en quoi le scénario d'Infinite est moins maitrisé, il faudrait spoiler. Et on ne peut même pas esquisser l'idée car vous comprendriez très très vite de quoi il en retourne... Disons que par un procédé scénaristique très connu et déjà très utilisé dans l'histoire de la narration, le jeu se permet de sauter du coq à l'âne dans ses évènements. D'ailleurs, elle incite probablement à l'inclusion d'un DLC à venir (un peu comme Assassin's Creed et Deus Ex 3 qui avaient coupé un chapitre volontairement). Et par ce procédé que l'on ne peut pas définir (car on sait que vous êtes des malins et que ça vous tuera le suspens), la cohérence du récit s'autorise des zones de flou, voir des omissions et même contradictions pour ainsi forcer un des effets de surprise final. Comprenons nous bien, l'histoire tient globalement la route et vous la comprendrez sans aucun problème. Et on peut dire que c'est une belle histoire, plutôt triste, plutôt glauque dans le fond. Cependant, la façon dont elle s'installe dans l'univers ne tient pas beaucoup la route et incite au joueur à chercher une cohérence quasi parfaite des évènements qu'il a entendu ou vu durant le jeu. C'est là que le bât blesse car le jeu s'autorise donc un peu de flou, un peu de silence pour conserver une sorte de mysticisme illusoire. Un petit peu comme le phénomène Inception et son côté « c'est trop compliqué, j'y comprends rien, c'est trop cool », mais en moins prononcé. Ainsi, le récit d'Infinite est moins maitrisé que la célèbre révélation du premier Bioshock, est plus conventionnelle avec une utilisation maladroite d'un certain mécanisme narratif, pourtant réputé complexe (et que l'on peut pas nommer pour ne pas spoiler). Cependant, et c'est bien le paradoxe de ce jeu, il reste encore très rare de nos jours de pondre un script pareil pour le jeu vidéo... Son seul souci est de devoir rivaliser avec le premier Bisohock. Il y a d'ailleurs fort à parier que les joueurs seront divisés : l'un pour Rapture, les autres pour Columbia. Grossomodo, le premier est plus subtil et progressif, là où le second est un peu plus classique mais impactant.

Bioshock Infinite : premier grand jeu de l'année 2013. C'est ce que l'on peut en retenir à la fin de cette critique. L'antithèse parfaite de Rapture avec une priorité au gameplay nerveux, aux antipodes des tentatives (pas toujours heureuses) de jouer des plasmides du premier. Un scénario lui aussi qui n'a rien à voir, en fait ce n'est pas un Bioshock. Pour rester dans la tradition des « Shock » d'Irrational Games, il aurait été préférable de changer de nom. M'enfin, si accepter de nommer le jeu Bioshock a permis au studio d'avoir à peu près la paix avec son éditeur (qui voulait lui imposer un multi qui aurait gâché la finition du solo), c'est tout à fait acceptable. Il faut juste que le joueur ne se sente pas berné quand il pense que c'est lié à Rapture car ça ne l'est pas. Si ce n'est d'en être un miroir déformant. Un effet de style voulu probablement pour justifier un minimum l'utilisation de ce nom. Cependant, l'effet pervers est que par sa structure proche de son prédécesseur, la surprise est moins présente ; le sujet de base plus classique et les ficelles de twists ne sont pas très fines, bien que toujours moins épaisses que 90% de la production vidéoludique. De plus, il faut aussi avouer qu'entre le début éclatant et la fin prenant, il se dévoile un trou au milieu un peu redondant lié à la répétitivité des sessions combats/temps morts sur le même tempo, mais aussi lié au scénario qui demandera de passer et repasser à certains endroits. Du coup, il reste un petit truc en travers la gorge de cet Infinite : moins de maitrise rythmique et moins de surprise surtout... Mais est-on en droit d'être aussi sévère quand le jeu est objectivement supérieur à bon nombre de productions actuelles ? Quand on réussit à réunir une direction artistique unique, scénario osé sur un gameplay nerveux et jouissif se faisant rare... A t-on le droit de se plaindre d'un léger manque de surprise par rapport à une pièce maitresse antérieure, à savoir Bioshock ?

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