Comme d'hab, une semaine de décalage entre la diffusion blog et la diffusion site. Cette semaine, c'est la critique de God of War : Ascension qui est en ligne.

A la toute fin des années 90's, HBO donnait un coup de fouet au milieu de la télévision grâce à des projets matures et cinématographiques comme Oz, Sex and the City et évidement les Sopranos. S'engouffraient par la suite une multitude de projets aux thématiques mures, parfois dures (The Wire) avec ce même souci de liberté créative et parti pris artistique, ce qui donna naissance plus tard à un réveil des chaines du câble comme Showtime, FX ou récemment AMC. Mais, la recette et les méthodes de production deviennent habituelles désormais. Si une série comme The Walking Dead réussit encore à faire le buzz mondial, des séries comme Damages ont par exemple eu du mal à survivre, dépendant des audiences télévisuelles face aux mastodontes des chaines nationales comme CBS, Fox ou NBC pour assurer des lourds coûts de production. Voilà que pour financer les projets ambitieux dont le script nécessite une mise en place progressive de l'histoire (susceptible de faire décrocher le spectateur d'un rythme d'un épisode par semaine), la plate-forme de VOD Netflix se propose d'être le diffuseur d'une série en intégralité sur sa boutique. Le premier projet à naitre sous cette forme complète et immédiate est House of Cards, produit par David Fincher avec Kevin Spacey en vedette. Au delà de l'historique méthode de diffusion, c'est de sa qualité dont il sera question ici.

Rapports de force

Avant toute chose, House of Cards est adapté d'une série britannique de 1990 du même nom. Une fois n'est pas coutume, l'absence d'imagination des producteurs de ces années fin 2000-2010's les pousse à pomper leurs cousins. Passons outre puisque 20 ans séparent les deux séries et surtout House of Cards US fonctionne très bien tout seul. Il est intéressant de noter que la série britannique était en fait une mini-série de 4x55mn. Un format long qui est justement nécessaire pour poser de façon crédible et réaliste les bases du pouvoir politique que l'on nous narre.

Alors que le Président démocratique Garrett Walker vient d'être élu, Frank Underwood (Kevin Spacey) apprend qu'il ne sera pas nommé Secrétaire d'Etat comme le lui avait promis son candidat. Underwood est ce que l'on appelle dans la politique anglo-saxonne, un « whip ». C'est un politicien qui travaille dans l'ombre afin de dire aux représentants d'un même parti quoi voter, quoi dire, quoi penser, bref quelle ligne directive adopter. Même si officiellement, ils n'ont pas le pouvoir de décider, ces « whip » sont des charnières importantes au sein d'un parti pour rester soudé et cohérent. Or, Underwood, cet expérimenté politicien, se sentant trahi par le Président va décider de la jouer fine pour récupérer la bonne place. La soif du pouvoir de ce héros détestable va lui permettre de mettre à son profit toutes les ficelles de la face cachée de la politique américaine (et de n'importe quel pays occidental à vrai dire). La force du récit n'est pas d'être un énième show sarcastique et critique sur la politique américaine avec un fort soupçon de fiction totale, comme la saison 4 de Damages par exemple, ou A la Maison Blanche. La force de ce show est que le spectateur voit l'histoire se dérouler à travers les yeux de son héros incarné par Kevin Spacey. Et pour cause, ce dernier s'adresse directement au spectateur en brisant le quatrième mur, le scrutant et le faisant entrer dans la confidence. On se sent ainsi pénétrer dans l'envers du décors, comme si que l'on assistait en direct aux machinations rhétoriques et manipulatrices d'Underwood. Une plongée totale dans l'intimité professionnelle de son héros dans un espace habituellement « portes fermées ».

Mais ça raconte quoi en fait ? House of Cards est comme un puzzle. Au fil des épisodes, les dialogues s'enchainent, les conseils du héros à son spectateur l'alerte petit à petit. Une action qui semble anodine, une conversation semblant quelconque vont trouver des répercutions dans les épisodes suivants. Underwood va tenter d'obtenir son poste de Secrétaire d'Etat en utilisant des politiciens, des lobbyistes, des journalistes et même sa femme Claire (la ravissante et élégante Robin Wright) comme les pièces d'un échiquier vivant. Toujours anticiper le coup suivant pour faire passer une loi anti-populaire, licencier des emplois, afin de subtilement et lentement faire vaciller le pouvoir en place pour ainsi se rendre indispensable. Une balance de pouvoirs cherchant sans cesse son équilibre, où il n'est pas question du peuple mais juste d'opportunité professionnelle et intérêt personnel.

Manipulation totale

Au fil des 13 épisodes, le récit s'autorise des écarts en adoptant un point de vue plus reculé en délaissant son héros détestable mais pourtant le seul à nous faire entrer dans la confidence de ses plans, rendant le personnage fascinant et même pesant. Bien entendu la justesse de jeu de Kevin Spacey en homme froid et cynique portant si bien le masque du politicien chaleureux toujours prêt à aider est cruciale pour le bon déroulement de la série. Mais il n'y a pas que lui, la série se permet de dévoiler aussi une partie de l'envers du décors des milieux qui touchent directement ou indirectement la Maison Blanche. Le plus évocateur est la jeune journaliste (débutant stagiaire) Zoe Barnes (Kate Mara), qui, soif de refaire le monde et de devenir « importante » est prête à donner de son corps pour alimenter ses papiers et faire grimper ses followers sur Twitter. Un pion très important puisqu'on nous dévoile comment les rumeurs naissent et comment les bons ou les mauvais papiers influent directement sur la perception des citoyens et par extension sur la politique. Par exemple, en lançant la « fuite » d'une élection d'un politicien, ce dernier se sent obligé d'accepter, même à contre-coeur. C'est tout un jeu manipulatoire très intéressant avec en filigrane cette quête journalistique du « bon papier » au détriment de la juste et véracité des faits. Tout simplement éloquent, tout en justesse et jamais pompeux puisqu'on ne se focalisera pas sur un seul sujet à la fois. Un travail de jongleur.

On ira aussi voir comment une association à but caritative pèse dans la balance de l'échiquier politique avec Claire Underwood qui doit entretenir de bons rapports avec des lobbyistes de grosses sociétés d'énergie la plaçant en porte-à-faux quand son mari travaille sur une loi écologique... Enfin, l'autre personnage très important est Peter Russo (Corey Stoll), un jeune politicien qui du jour au lendemain se voit propulsé jeune champion du parti démocrate sous la pression d'un Underwood connaissant ses problèmes d'alcool, de drogue et de prostitués... Tout un programme. Comment créer un « politicien publique », autrement dit un type sans opinion personnelle (ou qui l'a abandonné) qui se fait mené par toute une équipe dans l'ombre pour un intérêt purement personnel... Tout ça est fascinant de crédibilité, de réalisme et on le répète de justesse. Juste car la série prend tout son temps pour mener petit à petit le plan de son héros. Pendant ce temps, la caméra se penche sur la personnalité instable de ses personnages liés au pouvoir avec beaucoup de non-dits et donc de retenu, on a aussi droit à un épisode centré sur le passé d'Underwood comprenant à quel point il a changé, tentant de l'humaniser un peu plus. Ce milieu de requins où s'entassent beaucoup de personnages est parfaitement filmé car justement il pose ses scènes et ne cherche pas à jouer dans la surenchère à la limite du docu-fiction paranoïaque comme sont souvent tentés de faire les productions de ce genre. Et ça, pas sûr qu'une diffusion hebdomadaire aurait réussi à faire captiver le grand public.

Cette première saison de House of Cards est en tout cas déjà une pièce maitresse de la télévision. Un superbe travail d'équilibriste entre sujet très sérieux, pouvant être ronflant, tournant autour de thématiques tendances comme la manipulation des masses mais jamais traitées de façon putassières avec surtout un héros où le cynisme laisse place à un humour corrosif sur fond de dramaturgie politique. Tout en justesse, tout en sensibilité avec cette utilisation du quatrième mur parfaitement justifiée nous faisant entrer à la limite du voyeurisme : on sait que c'est mal mais ça nous fascine. On se sent privilégier d'être invité dans le petit monde pourri et individualiste de Franck Underwood et rien que cette accroche permet de captiver le spectateur le long des conversations blindées de sous-entendus, de menaces et de termes de technocratiques parfois un peu lourds. A la fin de la saison 1, on sait déjà que le terrain est tout prêt pour une suite. C'est là dessus qu'il faudra faire attention afin de ne pas tomber dans la redite avec la saison 1 (elle se boucle avec une fin ouverte) puisque le scénario semble s'y prêter. Et attention de ne pas se bruler les ailes suite au succès médiatique en poussant vers le sensationnel. Mais en attendant, s'il y a une seule série qu'il vous faut regarder là et maintenant, c'est House of Cards !

(Re)lire l'article, mis en page, sur PG Birganj : en Une ou dans la rubrique "Ecrans".