Article publiée la semaine dernière. Cette semaine, sur PG Birganj, vous retrouverez en plus des news, notre critique de House of Cards, la série Netflix produite par David Fincher, avec Kevin Spacey.

C'était en 2009 que les français pouvaient jouer à Persona 4 sur PS2. Une année où le marché PS3 et 360 était largement implanté et avait déjà abattu leurs cartes de RPG japonais... Autrement dit, de belles déceptions. La PS2 offrait alors un ultime RPG de grand ampleur. Aujourd'hui, Persona 4 revient sur PS Vita dans un portage quasiment à l'identique de la console de salon. Et comme, nous n'avions rien écrit dessus à l'époque et que, peut être, pris dans l'engrenage du spectacle de vos PS3 et 360, vous aviez raté cette épisode : voici notre critique de Persona 4.

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Comme toujours dans la série des Persona, depuis ses débuts sur Playstation (ressorti sur PSP), les thématiques tournent principalement dans la quête de personnalité des adolescents. Vous incarnez un étudiant de 16 ans, dont vous pouvez lui attribuer le nom que vous voulez, devant rester un an dans le petit bled d'Inaba chez son oncle. Il doit ainsi s'adapter à sa nouvelle école et à sa nouvelle vie plus modeste, lui qui vient de la grande ville. Mais notre héros est invité dans ses songes par Igor, le maitre des lieux de la Velvet Room. Personnage iconique de la série, Igor vous apprend qu'un grand tournant de votre vie va bouleverser votre destinée. Et pour cause, vous allez rapidement voir que vous avez la capacité de vous rendre dans un monde parallèle en traversant votre poste de télévision ! Pendant ce temps, une légende urbaine raconte que tous les jours pluvieux à minuit, une personne allant mourir apparaît sur la chaine Midnight Channel. Tout excité par ce genre de farce, notre tout petit groupe d'étudiants incluant le héros va s'intéresser à cette histoire... Pour rapidement comprendre qu'il y a effectivement un lien avec cette « histoire de fantômes » et une série de meurtres inexpliqués dans la paisible ville d'Inaba. Tous ces évènements déboulent le jour où le héros met les pieds dans cette ville et découvre qu'il peut visiter un Monde brumeux où règne les « Ombres » qu'il peut ainsi combattre en invoquant son Persona.

C'est en essayant de poser des mots pour résumer la situation que l'on se rend compte que l'histoire de Persona 4, pourtant aisée à comprendre, fourmille de détails et de croisement d'évènements riches en rebondissements. L'ambiance de Persona est particulière puisqu'elle essaye de transposer l'univers démoniaque des Megami Tensei au monde urbain. Plus axé sur la psychologie des personnages comme en témoigne le terme « Persona » utilisé dans le monde de la Psychologie analytique définissant l'inconscience des personnalités, ainsi que l'image que l'on donne en public. Le moi « public » et le « moi intime », psychique, que l'on en vient à refouler. Dans P4, le héros va, comme dans tout RPG, se constituer une équipe et devra ainsi faire prendre conscience à ses coéquipiers la nature de leur pulsion inconsciente pour se libérer de leur rapport à autrui. Le jeu est ainsi construit de manière à ce que chaque personnage ait une histoire intime et des envies qui lui sont propres. Ceux qui recherchent un travail d'écriture autre que le pitch « allons sauver le monde » seront donc ravis puisque le cœur du jeu se retrouve ici. Le jeu prend alors l'apparence d'une enquête où vous devrez parfois aller questionner les passants pour trouver des indices, mais aussi sauver les futures victimes que vous voyez à travers la chaine Midnight. Une enquête d'un côté où le début flirte avec l'incertitude (même si n'importe quel joueur de jeu japonais comprend d'emblée qu'il y aura une histoire de destruction du monde à dormir debout) et un travail relationnel avec ses amis de l'autre, cherchant la « vérité ». Un terme repris plusieurs fois pour désigner la recherche du moi intérieur où le héros ne sera pas qu'un type invoquant un Persona, mais dont l'héroïsme sera de se rapprocher de ses amis et les aider à se trouver. Cette dernière partie est vraiment bien foutue car elle met en avant la richesse et la longueur des dialogues, où beaucoup de personnage secondaires auront leur propre histoire, leurs incertitudes, leurs peurs, leurs souhaits. Environ une petite dizaine d'histoires personnelles à découvrir où chacun va comprendre, petit à petit, à ne plus fuir la réalité, trouver sa propre voie, assumer ses goûts, etc. Derrière une forme, il est vrai, assez simplette dans le plus pur style des shônens où la musique mélancolique tourne en boucle en fond des monologues interminables, se cachent tout de même des thèmes assez importants : comme la recherche de son identité sexuelle, le féminisme, l'illusion de la gloire, l'intégration, la pression parentale, etc etc. Des thèmes qui parlent ou plutôt ont parlé à chacun d'entre nous. Des thèmes d'adolescents entre autres et c'est ce que Persona 4 est : un jeu touchant aux troubles identitaires adolescents. Sans être trop candide, le jeu réussit à véhiculer des histoires aux thèmes importants que chacun appréciera ou non de lire entre les lignes et éviter de trop se cantonner aux clichés de mise en scène de shônen/shôjo : regard baissé, monologue, questions rhétoriques, encouragement incessants, etc.

D'ailleurs sur ce point, vous remarquerez que l'ambiance globale de P4 est beaucoup plus colorée que les autres épisodes. Avec ses menus tout de jaune vêtus, sa musique pop dès l'introduction, son ambiance musicale qui malgré certaines mélancolies chantées de qualité, appuient beaucoup plus sur les aigües que sur les graves. Les héros sourient, rient, passent leurs vacances et même si des évènements tragiques arrivent, cette multitude de couleurs et de joie de vivre (car c'est bien le but ) se ressent à chaque minute passée. Une ambiance décontractée et collégiale bien moins pesante que les autres épisodes où l'obscurité et les démons étaient plus prégnants. Peut être que certains fans seront plus décontenancés par ça... Mais chaque Persona étant aussi unique que peut l'être un Final Fantasy, on prendra P4 pour ce qu'il est. Cette ambiance à tendance joyeuse (pourtant enquêter sur une série de meurtres n'a rien de joyeux) est pourtant un ingrédient important quant à la réussite de cette recette. Car elle met en avant les liens sociaux avec vos partenaires, vous invitant alors à partager et ressentir cette compassion virtuelle. Grâce à ses musiques enjolivées, l'empathie fonctionne bien. C'est, certes, une ficelle un peu grosse mais n'oublions pas que nous avons à faire à un jeu d'origine PS2 ne travaillant pas dans la mise en scène cinématographique. Mis bout à bout par la qualité des dialogues et la diversité de ses personnages, l'ensemble est cohérent. Mais plus important, c'est comment le joueur joue à tout ça.

Midnight Express

A jouer, P4 est finalement à mi-chemin d'une simulation de vie et de visual novel, pour ce qui est de l'aspect social du jeu. Le principal attrait scénaristique est ainsi de découvrir et révéler la face cachée des protagonistes non-jouables. Histoire que tout cela ne vous semble pas redondant et surtout inutile, chaque personnage a une échelle relationnelle notée de 1 à 10 et chacune est liée à un type de Persona. Plus le niveau augmente en passant du temps avec vos camarades pour ainsi déclencher des séquences de leur histoire personnelle, plus le niveau du type de Persona associé sera puissant. En sachant qu'il faut créer des nouveaux Persona pour devenir plus efficace dans les donjons, il devient ainsi nécessaire de s'investir dans ce relationnel. Persona se joue sur une timeline d'un an. Chaque jour est composé d'une journée d'école où vous devrez parfois répondre à des questions de culture générale pour booster vos connaissances, d'une après-midi vous permettant de passer du temps avec vos camarades ou booster vos capacités individuelles et d'une soirée, là aussi pour travailler vos compétences ou passer du temps avec votre famille d'adoption, toujours dans l'optique de pouvoir créer des Personas de meilleure qualité. Pas besoin d'avoir son diplôme de psy pour comprendre le message de type shônen : « l'amitié est plus fort que tout » et vous ne serez pas trop étonnés de la façon dont se déroule le boss final... Mais bref, le lien de cause à effet et la logique de s'investir dans un gameplay très simple de visual novel où vous ferez défiler du texte d'un seul clic et déverrouillerez de nouveaux dialogues en flânant dans une dizaine d'écrans de la ville pendant le plus gros des 60H de jeu, est d'augmenter ses capacités de création de Pokémo---Personas.

En effet, depuis ses débuts, la gestion de Personas ressemble beaucoup à des Pokémons. Des invocations ayant chacun leur élément (feu, glace, etc), leurs statistiques de vitesse, attaque, magie... Et chacun leur limite d'attaques. De plus, ils montent de niveau et peuvent même évoluer. Contrairement aux premiers Persona, seul le héros a la capacité de changer d'invocation et d'en fusionner. Les autres ont leur ego matérialisé par un seul Persona qui évoluera au fil des niveaux. Mais le héros, récupère des cartes au fil des rencontres. En allant dans la Velvet Room accessible depuis la ville ou l'entrée de la Midnight Channel, il peut créer de nouveaux Personas dont le niveau ne dépasse pas le sien (sauf si vous avez boosté vos liens sociaux). Plus votre Persona est fort et mieux ce sera, bien entendu. Le principe est toujours aussi simple puisqu'une liste de possibilités vous est présentée selon les cartes en votre possession. Vous cliquez, vous choisissez des attaques optionnelles issues des cartes que vous sacrifiez, afin de concevoir une sorte de héritage et d'assurer une invocation complète et conforme à vos besoins. Par exemple, si vous trouvez qu'une magie de debuff vous est tactiquement indispensable, faites en sorte de conserver cette magie dans vos fusions. C'est très facile à effectuer et demandera un tout petit peu de réflexion pour être sûr de son coup. Même si vous pouvez changer de Persona en plein match pour palier à certains besoins, il reste tout de même plus aisé d'avoir un Persona solide lié le long de votre donjon. Comme d'habitude, ça prend la forme d'un D-RPG où vous enchainez les couloirs labyrinthiques, avec plusieurs étages où il faudra débusquer un demi-boss et un boss. Vous pouvez refaire intégralement les donjons pour ainsi trouver des objets remplissant des quêtes secondaires de type fedex et aussi pour trouver les armes secondaires de chaque personnage. Enfin, ça permet de renforcer le levelling et mettre toute l'équipe sur un même pied d'égalité, bien que du temps se dégagera votre équipe-type.

Les combats que l'on engagent (ou que l'on esquivent) en attaquant les ennemis dans le donjon se déroulent au tour à tour classiquement dont l'ordre est déterminé par l'agilité. Vous pouvez attaquer, dont l'efficacité est liée à votre arme mais aussi à la force de votre Persona, lancer une magie consommatrice de MP et bloquer. On a une dose tactique très classique pour le genre, c'est à dire basé sur le buff-debuff sur l'attaque, la défense et les faiblesses ennemies. Ces mêmes ennemis pouvant contre-attaquer, ou bloquer certains éléments, etc. Vous devrez trouver les défauts de chaque ennemi en essayant vos attaques pour ensuite avoir sa fiche au grand complet. En fait, les combats sont vraiment d'une efficacité pure mais ils se déroulent très rapidement et surtout sont justes. Entendez par là qu'il ne s'agit pas de ce genre de RPGs où les magies mentales fonctionnent une fois sur trois. Même si, tradition Persona oblige, le jeu a cette faculté d'augmenter le taux de « miss » pour augmenter artificiellement la difficulté, surtout quand vous commencez à être à l'aise dans le donjon. A part ce léger défaut, vous pouvez élaborer sans aucun problème vos tactiques pour torcher le menu fretin le plus rapidement possible. Une efficacité nécessaire étant donné que chaque donjon vous prendra au minimum 1H30 de votre temps à enchainer les mêmes combats contre un noyau d'ennemis identiques mais décliné au fil du temps. C'est répétitif, certes, comme le veut le genre du dungeon crawler, mais c'est contre-balancé par l'autre partie du jeu : le gameplay social assez inactif. Un parfait miroir où ce sera tout ou rien. Heureusement, aucun donjon n'est inutile ou lassant puisqu'il est lié au Persona d'un personnage important à sauver. Donc d'une façon ou d'une autre, vous serez récompensés par l'avancée de l'enquête. Il y a toujours une carotte dans Persona 4, ce qui permet aisément d'apprécier la répétitivité des donjons ou la simplicité de l'aspect social.

Vita vie d'étudiant

Sur Playstation Vita, P4 en ressort légèrement plus fin que sa version PS2, avec un aliasing moins prononcé, des couleurs un peu plus piquantes avec de très très courts temps de chargement. Les cinématiques japanim' sont de la partie, fluides, en haute résolution. Même si techniquement, on reste dans de la technique PS2, donc avec des animations un peu rigides, des couloirs prédéfinis, avec une ville assez petite, l'ensemble est suffisamment décliné (au fil des saisons) avec des décors à thème dans les donjons pour y trouver une bonne qualité visuelle, non redondante et ne gâche pas les yeux. De plus avec ce rythme suivant le calendrier, jour par jour, l'ensemble convient très bien au jeu portable que l'on peut mettre en veille à tout moment et ressortir n'importe où. Même si un jeu aussi long (60H minimum, incluant la vraie fin) demandera bien plus que quelques sessions portables dans le train... Le portage Vita offre aussi un nouveau personnage, celui de Marie, amnésique et vivant dans la Velvet Room qu'il faudra aider à retrouver la mémoire. Ainsi que la possibilité d'inviter des joueurs dans sa partie pour avoir un coup de main. Une idée d'entre-aide sympathique bien que largement dispensable. Le tactile ne sert ici à rien et nous avons une transposition parfaite de la version PS2 avec un léger glaçage en bonus. Inutile de vous préciser que le rachat du jeu est dispensable.

Ce que l'on retient de Persona 4 est sa jovialité. Étonnant pour un jeu sur une enquête de serial-killer mêlé à un monde démoniaque et psychologiquement dérangé mais pas tant que cela si l'on reprend des thématiques de l'adolescent, mêlés aux canons des shônen/shôjo habituels, le tout saupoudré de couleurs éclatantes. L'ambiance de départ a beau être glauque, la fascinante quête à révéler les états d'âme de tous les personnages prend la tournure d'une aventure humaine très rafraichissante. Jamais niais malgré des éléments flirtant dangereusement dans la zone (la nana timide, le gros dur au cœur tendre, les questions existentielles clichées, etc), P4 a cette faculté de bien doser ses humeurs : parfois triste, parfois lugubre, il est vite contré par l'humour graveleux de Teddy, un nounours french-lover. D'une ambiance maussade, il passe à la joie en fonction des dialogues que vous choisissez pour remonter le morale des équipiers. Le héros, et par extension, le joueur souffre finalement du complexe du messie et ça fait un bien fou. Tel un Jésus virtuel vous répandez la joie et la bonne humeur chez vos camarades. Et jamais, ou alors très rare, on a connu une telle relation avec ses partenaires de RPG japonais, se contenant souvent de suivre le script par les cut-scenes passives. En fait, on ressent une sensation similaire de sympathie pour son équipe comme dans Mass Effect... Une culture et une génération les sépare mais Persona 4, grâce à son excellent travail d'écriture (intégralement doublé en anglais, d'une qualité que l'on qualifierait d'enthousiaste mais pas trop personnelle) et de ce level-design poussant le dialogue à devenir un élément-clé de gameplay, offre au joueur une vive expérience émotionnelle. Pas novateur dans ses mécaniques de combats RPG mais très juste dans sa cohérence et son application.

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