Que ce reboot de Devil May Cry fut difficile à accoucher ! Il fallait avancer après un quatrième épisode mi-figue mi-raisin, à savoir de bonnes critiques, des ventes décevantes et des fans partagés entre la richesse de son skill évolutif et son background absolument ridicule avec niveaux à répéter deux fois. Capcom décide de rebooter le tout et confie ça à Ninja Theory, responsable de Heavenly Sword, beat'm all original mais nettement pas aussi skillé que le ténor japonais et Enslaved plus orienté exploration mais bien garni de bastons. Un choix qui a surpris beaucoup de monde puisque malgré ses partis pris artistiques impressionnants, Ninja Theory a encore cette étiquette de studio ne franchissant pas le cap d'un gameplay abouti et épais. Le premier trailer de DmC daté du TGS 2010, dévoilait un Dante en mode punk voyou complètement shooté et surtout enfermé dans une sorte de cellule psychiatrique. Le mot « reboot » semblait assumé et son ténébreux pendant japonais n'avait plus rien à voir là dedans. Hélas, crise de panique chez les fans, Dante était devenu « emo »... Devil May Cry, soit la série pas assez populaire pour être poursuivie, mais encore trop pour la maltraiter. Voyons un peu ce qui en est sorti après tout ce remue-ménage, allant de la catastrophe annoncée à un réveil progressif des fans.

Confondre reboot et remake

Chouette un nouveau jeu ! On va décortiquer un nouveau gameplay, nouvelle histoire, nous serons bercés dans une aventure originale surpuissante où il y a tant de choses à écrire ! Magnifique. Vous aimeriez y croire hein ? On va casser l'illusion d'emblée, DmC n'est pas franchement un reboot, c'est à dire une relecture, une remise à zéro d'une œuvre où l'on s'affranchit de ce qui a été conçu par le passé. Il s'agirait plutôt d'un remake où l'on décide de moduler la vision d 'une œuvre existante mais avec ce souci de la respecter. Mais il y a remake où l'on sait prendre du recul pour concevoir quand même un autre film, un autre jeu. Et vous avez le remake qui est une sorte de reskin mais qui ne surprendra pas les lecteurs/joueurs/spectateurs de la création originale. Contre tout attente, DmC reprend les grandes lignes (encore plus schématique) de l'univers de Devil May Cry, à savoir Dante, Vergil, leur père Sparda et le frère de celui-ci, Mundus, le grand méchant de l'histoire. Dante va découvrir ses origines au fur et à mesure de l'aventure au travers de sa mémoire perdue illustré par son pendentif rouge et découvrir qu'il est le fils du démon Sparda et d'une humaine Eva. Ça, c'est la partie Devil May Cry 1 qui a été reprise. Dante y découvre son frère jumeau Vergil qui va l'aider à se débarrasser de Mundus à l'aide de l'humaine Kat qui a des dons (c'est un peu la Trish de l'histoire), ça c'est vaguement repris de Devil May Cry 3. Enfin, Ninja Theory a travaillé sur l'idée que le monde démoniaque se mêlait à notre réalité. Ainsi, Dante ne va pas s'aventurer dans un grand château ou autre monde parallèle, il voit le monde réel se déformer par le monde des limbes. Un monde réel régit sous la communication massive et la publicité dirigées par le démon Mundus. C'est hyper simple et n'a aucune autre prétention que d'illustrer les péchés et les démons par ces métaphores de consommation. Juste une illustration. Sauf qu'à la base, on sent que Ninja Theory avait en tête autre chose qu'un simple héros qui part casser la gueule au méchant ; quand on se remémore ce premier trailer avec un Dante que présenté comme drogué, presque fou, un peu comme le thème de la folie d'American McGee's Alice, on se dit qu'il y avait bien plus original à dire et surtout matière à s'émanciper totalement du premier jeu. Or, ici, le scénario est une schématisation de DMC 1 et 3 dans un monde contemporain. Ni plus, ni moins. C'est très dommageable et cela n'impacte pas que le background, dont on se fiche un peu mais fatalement, on voit un Dante tout aussi vantard et immature que DMC3 à prendre la pose pour un oui ou pour un non avec plus ou moins de ridicule assumé. Vergil, homme froid est la copie conforme, moralement, de son prédécesseur (cherchez pas, vous avez deviné la fin du jeu dès le début). Toute la refonte du background est finalement inexistante, elle reprend les mêmes choses avec autant de superficialité mais aussi et surtout moins de surprise, puisqu'on l'a déjà joué. La réussite proviendra surtout d'une absence de sérieux et de méchants grand guignolesques dont le 4 nous avait brutalement épaté...

Absence de sérieux donc. Si on remarque ça, c'est surtout parce que même si Dante est toujours un sale gosse à prendre des poses improbables et peut enfiler son maillot en plongeant dans les airs pour éviter un ennemi comme le veut la coutume un peu trop excentrique hérité du troisième épisode (aaah le ride sur sa guitare électrique...), au moins on a une direction artistique plus réaliste et surtout non inspiré des canons shonen sous ecsta du Capcom japonais. Dante est un jeune homme qui aime passer ses nuits dans les clubs de strip-tease et qui, bon, voilà, est parfois invité dans les limbes et ça ne lui fait ni chaud, ni froid, on s'en fout. L'intro du jeu est justement complètement avare sur le pourquoi du comment ce Dante n'est pas plus intrigué que ça par ces démons tend justement à nous montrer que Ninja Theory avait quelque chose d'un peu plus épais pour leur personnage... Mais dont la ré-écriture a accouché de quelque chose de très court, superficiel mais qui n'est pas plus con qu'un autre DMC. En revanche, là où Ninja Theory a pu assurer c'est le gros travail artistique sur les niveaux. Pour le coup, les anglais se sont lâchés en se basant sur des mondes réalistes mais complètement déstructurés : fini le gothique de l'époque ; bonjour les exercices de style bariolés tendant vers le surréalisme. Des couleurs vives, des couleurs chaudes, presque brulantes où les murs se déforment sous vos passages, où un lampadaire s'écrabouille à votre approche, où les âmes des humains laissent leur traces animer le décors, le ciel tantôt bleu cru mais nuageux, tantôt rouge vive forment un très bel univers pictural tentant d'illustrer la thématique de la folie, des hallucinations, des points de perspective, etc. Un vrai exercice de style aussi puisque certains niveaux sont plus spécifiques, comme un entrepôt où est créée une boisson énergisante, ainsi tout en verticalité et profondeur, vous verrez des mots sonner comme accroches marketing en guise de décors ; ou encore un night club stylisé fluorescent qui vous fait surchauffer les yeux. Toute cette déstructuration est le point fort identitaire du jeu. Non pas que ce soit subjectivement « beau » mais plutôt une forme intéressante de l'angoisse, des limbes inspirant une crainte tout en style, comme le veut la série : une représentation stylistique - presque « fashion » - de la fiction des enfers. Ninja Theory s'est très bien réapproprié les fondamentaux de la série d'origine et de ce côté on ne peut qu'être déçu de voir que Capcom a préféré écouter les pleurs des fans en prenant le moins de risques possibles sur le scénario et le background des personnages. Ainsi, on est sûr et certain que le jeu aurait pu s'affranchir sans aucune crainte de ses origines. Dommage.

On reeeeeeeefait le beat !

Quant au gameplay... On se souvient du feeling un peu lourd d'Enslaved (normal le héros était massif) et du timing de jeu déroutant de Nariko (où il ne fallait toucher à rien pour bloquer). La surprise, dès les premières secondes, c'est qu'on a exactement le même feeling que le jeu japonais. Ce déplacement élancé, très souple au temps de réaction millimétré, Dante slashe avec la même légèreté, tire avec les mêmes rafales, réutilisant même les bruitages identiques des jeux précédents. Les plans de caméras fixes (mais modifiables au joystick droit) qui englobent la scène avec un léger plongé pour bien voir l'arène et ses ennemis, les mêmes orbes avec les mêmes caractéristiques (rouge servant de monnaie pour des upgrades ou des items ; jaune pour la résurrection et vert pour la santé), la même façon d'utiliser un item de santé e appuyant sur la touche « start », quel jeu contemporain utilise encore ce système archaïque ? Et pourtant, on a le même tempo et des habitudes très proches du tout premier épisode. Tout premier épisode seulement car on voit que la diversité des combos n'est pas franchement présente. En effet, il y a le combo 4 slash, le combo deux slash, légère pause, deux slash, un coup concentré et le coup stinger (un coup fort droit devant). Il y a évident l'utilisation de vos guns, en tir concentré où en dégâts de zone et un bouton launcher (alors qu'avant il fallait décomposer le coup en braquant votre joystick à l'arrière) pour gérer dans les airs comme à votre habitude. Ce faible combo est multiplié par cinq : en plus de votre épée, vous aurez une faux lourde, une faux légère, un boomerang et vos poings répartis en deux camps : les armes bleues (légères) et armes rouges (lourdes). Chacun aura exactement le même combo mais leur efficacité sera différente selon les ennemis, souvent matérialisés par la couleur dont l'arme est efficace. D'une simple pression de gâchette droite ou gauche, Dante va utiliser l'arme rouge ou l'arme bleue, en un claquement de doigt. Pas de chargement, pas obligé de finir un combo pour changer d'arme, tout ça est d'une fluidité exemplaire et incite le joueur à diversifier au maximum son style de jeu. Non seulement il y est obligé par des ennemis résistants à certains types d'armes mais aussi une arme légère pourra toucher plus d'ennemis et couper leurs attaques. Et comme d'habitude, il faut aussi avoir du style.

Et le style c'est d'enchainer les airs combos sans toucher le sol. Pour ça, Dante a un grappin, décliné en deux couleurs : l'un pour attirer l'ennemi vers soit, l'autre pour s'en rapprocher. A vous de combiner les effets de votre grappin pour multiplier les ennemis en air combo. Et surtout, si on vous touche, votre note baissera. Le but étant d'avoir la classe avec un rank SSS, soit un enchainement de coups non-stop. Pour ça, il falloir gérer vos armes secondaires. C'est le point fort du gameplay de cet épisode. Elle offre du dynamisme, du style mais aussi une certaine physique puisque le joueur se sentira particulièrement concentré et concerné en martelant ses gâchettes pour assurer. Il y a un peu de Bayonetta dans cette recherche du bon tempo, du bon rythme, du bon combo. Vous allez dire, normal Bayonetta est le successeur de DMC, mais justement DMC4 n'était pas aussi souple dans sa gestion des armes et n'insistait pas autant sur l'obligation de bien les utiliser. De plus, d'un clic de votre croix directionnelle, vous rechangez d'arme bleue ou rouge. Vous pouvez ainsi pendant un même combo, lancer un boomerang qui va tenir éloigné un ennemi, pendant que vous repassez en mode faucheuse pour déblayer le terrain, lancer un launcher et terminer pour un atterrissage au poing... Vous aurez utilisé 5 armes en quelques clics, et tout ça dynamiquement, sans aucune coupure, sans aucune hachure. Vos gâchettes vont enfin servir à autre chose que « viser/tirer » sur les shoot et être pleinement opérationnelles. Comment enchainer un maximum d'actions en un minimum de manipulations, sans pour autant être contextualisé. A l'aide d'une belle ergonomie basée sur la combinaison de touches à l'ancienne (enfin, comme n'importe quel beat'm all qui se respecte en théorie), vous maitriserez votre personnage sur le bout des doigts. On reprochera cependant, si l'on veut être tatillon, une esquive qui n'est pas franchement très efficace pouvant être un peu lente à la détente en mode de difficulté élevée contre des ennemis assaillants. Des petits problèmes de collision, très légers, pouvant être décelables lors des attaques à large rayon par exemple. On a aussi vu un ennemi qui n'arrivait pas à avancer, bloqué par un élément du décors... Ce n'est pas régulier, mais ça s'est vu.

Le jeu est aussi découpé à l'ancienne : des arènes d'ennemis à éliminer, puis passages faciles de plate-formes à utiliser le grappin, permettant de souffler ou admirer la qualité des décors. Ça aide, il faut se reposer dans un beat'm all aussi dynamique. Les puristes préféreront sans doute des bastons plus longues, il est vrai que ce DmC joue la carte du « court mais intense », d'ailleurs votre premier run sera bouclé d'une seule traite en une petite journée (6H environ), les suivants pas plus longs non plus, surtout que vous connaissez l'histoire et que vous zapperez les nombreuses cut-scenes, prétextes à afficher la « classe » du héros et ses nombreux « fuck ». C'est un rythme qui manque, il est vrai, d'exploration plus longue. Nous sommes dans un jeu contemporain où on est souvent coupé par des mini cut-scenes pour présenter le portrait d'un nouvel ennemi par exemple ou même tout bêtement pour montrer Dante découvrant son passé en scrutant un tableau... Mais au moins, on n'a pas une cut-scene après trois pas. On l'a toujours après la baston. Petite récompense ou petit moment de relaxation, prenez-le comme vous voulez. Il était parfaitement logique qu'on ne retrouverait pas un jeu old school comme le 1er où il fallait se farcir des demi-boss avant de rencontrer le boss de fin de niveau sans grand tralala cinématique. Les boss, parlons-en. Ils sont nuls. Oui, oui, ce n'est pas très objectif d'utiliser un tel vocabulaire mais ils sont très impersonnels visuellement, ressemblant à des monstres assez génériques aux grands doigts visqueux et dents pointues... Ça manque de personnalité, ça manque de suspens, d'oppression (aaah la première fois où vous aviez croisé Nero Angelo...). Ceux de DmC sont quand même amusants car ils sont tous tournés volontairement en ridicule (là où DMC 2, 3 et 4 se prenaient beaucoup trop au sérieux). Leur gameplay est, en revanche, un peu trop assisté et fonctionne comme les gros boss de Castlevania : Lords of Shadow par exemple : toucher un point faible pour le calmer et enchainer des combos est la seule technique à utiliser. La surbrillance des points d'attache du grappin aide aussi beaucoup dans l'affaire. Ce sont tous aussi des boss dits « géants » prenant quasiment tout l'écran, ce qui fait que vous ne les raterez jamais. Le bestiaire est sympathique puisqu'on passe des marionnettes d'origine à des masques de tueur un peu fou complètement décharnés. Vous voyez d'ailleurs les monstres passer à la télévision dans une cut-scene se faire passer pour des terroristes. Malheureusement, ça ne dépasse pas une seconde et on pestera une fois de plus que Ninja Theory n'ait pas poussé son idée de plan parallèle jusqu'au bout.

Ce DmC est à la fois une excellente production puisqu'il reprend les fondamentaux du gameplay de la série : fluidité, combo, launcher, style mais aussi décevant puisqu'il ne fait que reprendre vulgairement la même histoire que la série japonaise sans une once de surprise et d'originalité. Bridé par les désirs des fans, Ninja Theory n'a semble t-il pas pu pousser au bout son idée de folie, de monde parallèle déstructuré où il y avait peut être autre chose à faire que de reprendre un petit Dante prétentieux. Néanmoins, si le jeu ressemble trop au premier épisode, il réajuste des petites choses ici et là comme une bonne gestion des armes obligeant le joueur à jouer dynamiquement et varié, tout en style sur un fond musical du tonnerre mélangeant le metal (très) bruyant de CombiChrist et les ambiances plus dubstep et electro de Noisia dans un fond plus subtilement entrainant. Poussé par une dir.artistique très colorée et surréaliste, une musique qui crache de vos enceintes, vos doigts en feux maltraitant les gâchettes du pad, on se sent totalement électrisé par ce DmC. Pas super surpris, certes, mais carrément poussé par ce gameplay juste et un relooking plus bruyant, plus frappant, plus parlant aussi puisque le p'tit Nero commençait à faire honte sur la série partant sur un délire un peu trop sérieux hors-sujet. Le jeu est très fluide (surtout sur PC mais ça vous vous en doutez), pas un pet de ralentissement, un regard visuel neuf, on ressent les mêmes sensations lorsque l'on découvrait Devil May Cry en 2001. Bien sûr, on sent que ce reboot n'en est pas un et que ça ressemble à un remake un peu « facile » au vu d'une prise de risque bridée sous la pression des fans, mais peut être que selon le succès, ça inaugure un jeu avec de toutes nouvelles bases toutes propres pour un beat'em all avec encore plus de combos, de possibilités, des meilleurs boss, exploration moins linéaire tant qu'à faire (même si on a toujours les salles spéciales facultatives à débloquer), des petits trucs ici et là pour que ce DmC ne reparte pas en vrille et surtout retrouve un vrai nouveau chemin. On a dépoussiéré les bases avec un certain doigté, il sera temps de pousser l'ensemble au maximum. En attendant, foncez les yeux fermés si vous voulez un bon beat'm all. Un skill moins varié et moins complexe que DMC4 mais plus juste et plus dynamique... Comme l'original.

15,5

(Re)lire l'article, mis en page, sur PG Birganj : en Une ou dans la rubrique "Critiques".