Même si Ron Gilbert était encore présent dans l'industrie vidéoludique chez Hothead Games (Penny Arcade) dont le dernier jeu était le hack'n slash DeathSpank, le créateur de Monkey Island retrouvait son ancien compère, Tim Schafer dans son studio Double Fine que récemment. La réunion du Lucas Arts des 80-90's est célébrée finalement avec The Cave. Edité et soutenu par Sega, Gilbert a cette fois les moyens et surtout la liberté de diriger un projet humoristico-ludique totalement original. Quand on sait que Gilbert et Schafer travaillent aussi sur un click'n play à l'ancienne, financé via Kickstarter, on voit en ce The Cave, le début d'une nouvelle et on espère longue aventure pour Double Fine.

Ménage à trois

The Cave est l'histoire de... La Caverne. Une caverne qui parle. Une caverne ayant des millénaires d'existence et ayant vu passé un nombre incalculable d'hommes et femmes cherchant à réaliser leur désir le plus profond. La Caverne est effectivement capable de révéler à celle et celui qui la visite leur désir le plus secret. C'est ainsi qu'une troupe de sept personnages bien différents dont vous contrôlerez trois d'entre eux, au choix, va visiter cette Caverne trop belle pour être vraie et devront se défaire des pièges malicieux qui l'attendent. Se défaire de pièges à l'aide de son cerveau et des objets présents dans le tableau, tel est le gameplay rappelant le click'n play du jeu. Mélange de jeu stratégique à la Lost Vikings ou plus récemment Trine où chaque personnage a une capacité spéciale, qui, combiné aux actions des autres permettent de se sortir du pétrin. Par exemple : le chevalier est muni d'une aura protectrice, idéale pour résister au dragon cracheur de feu pendant qu'un autre se faufile derrière l'ennemi. Mais il y a aussi du click'n play dans The Cave car la majorité des énigmes est constituée d'objets à faire interagir entre eux, dans un ordre donné. Rajoutons à cela une coordination nécessaire entre deux ou trois personnages et vous obtenez le gameplay de The Cave. Concrètement, le jeu n'est pas bien long et franchement pas compliqué. Il est constitué d'un prologue et d'un épilogue très court, de trois tableaux généraux et un tableau unique pour chaque personnage représentant la quête de son désir, pour un total de 4-5H. Les tableaux généraux peuvent se compléter sans l'utilisation des capacités spéciales des personnages et se concentrent donc sur des énigmes à base d'objets à récupérer et à interagir dans le bon ordre. Chaque tableau est composé d'un but principal (faire déloger un monstre, faire traverser une barque sur une longue plate-forme rempli d'obstacles, etc), muni de quelques sous-quêtes comme comment atteindre tel ou tel accès. C'est super classique mais le mérite revient à la jouabilité plate-former en scrolling horizontal. On a ainsi un niveau à parcourir en sautant sur quelques plate-formes, monter à des échelles, cordes, aller sous l'eau mêlant ainsi exploration pour découvrir les objets interagissantes possibles et action pour éviter de s'ennuyer en contrôlant ses personnages dynamiquement. On découvre le niveau et on enregistre mentalement les objets mis en surbrillance que l'on saura utile pour boucler l'énigme du tableau. Jusqu'au suivant. Les tableaux uniques, eux mettent en avant le désir de chaque personnage dont sa compétence spéciale sera mis à disposition en plus de la présence des deux autres personnages, switchable facilement à la croix directionnelle. Globalement, on reprochera au jeu d'être très simple dans ses énigmes. Vous n'aurez aucune surprises ou de coups tordus à la Monkey Island, même si on notera une ou deux énigmes pas super claires mais rien de bien méchant. Mais surtout, on pensait que la complémentarité entre personnages serait bien plus poussée que cela. Hors, à aucun moment, les personnages n'ont la nécessité de combiner leurs pouvoirs spéciaux. La complémentarité se résume à généralement activer trois leviers en même temps ou activer un levier pour laisser passer le deuxième perso. C'est vraiment dommage et c'est c'est surtout ce qui rend le jeu facile, et par conséquent court. On appréciera pourtant l'intelligence du level-design puisqu'il s'agit d'un niveau unique (un tableau donc) avec multiples passages qui nécessite quelques détours et quelques allers-retours pour compléter les énigmes. On soulignera le niveau sur le voyage dans le temps où il faut jongler entre trois personnages et trois temps différents, ainsi que celui du Carnaval bourré d'attractions et par conséquent d'animations et de recoins cohérents et utiles. D'un autre côté, on comprend aussi la complexité à mettre en place des énigmes coopératifs précises puisque le joueur conçoit son équipe de trois personnages au choix. Il aurait donc fallu composer une multitude de niveaux adaptées à chaque équipe possible, ce qui aurait nécessité beaucoup de travail.

La morale de cette histoire est la suivante

The Cave, n'étant pas franchement compliqué, ni long, est surtout à voir comme une sorte de fable de la Fontaine. C'est à dire que derrière sa forme enfantine, peu sérieux et dans le cas du jeu de Double Fine, cartoonesque, se cache un fond moral très important pouvant aller jusqu'à une certaine cruauté. Chaque personnage a un désir secret : l'aventurière cherche la gloire au travers d'un artefact égyptien, pendant que le fermier cherche l'amour de sa vie ou encore le faux chevalier en quête de reconnaissance. En traversant la Caverne, vous devrez traverser ludiquement le tableau de chaque personnage et découvrirez au fur et à mesure des énigmes réussies, en temps réel, les conséquences du désir égoïste et aveugle du héros. Des conséquences bien souvent funestes que la Caverne commentera d'un air amusé et moqueuse. Une Caverne qui narre toute l'aventure en anglais d'une jolie voix profonde au léger accent britannique tel le narrateur d'un conte. Un conte, c'est bel et bien ce qu'est The Cave. Ou plutôt une fable, terminant toujours par une morale due aux conséquences malheureusement de l'envie des sept héros. The Cave, par sa petite durée de vie, sa facilité mais surtout sa direction artistique cartoonesque et colorée est clairement une fable ludique. Vous découvrez, au fil de vos énigmes, l'élaboration d'une petite histoire de jalousie, de gloire ou d'égoïsme ponctuée régulièrement par les commentaires de ce narrateur amusé de vos prouesses. Pas d'une très grande ambition mais très très rafraichissant, amusant, une relecture des fables enfantines à l'humour macabre.

Même si vous ne pouvez pas mourir dans la Caverne, l'histoire de chacun trouvera la mort sur son passage à chaque fois, déclenchant un humour noir pratiqué avec délicatesse par le narrateur ayant un recul maximal sur l'aventure. Les imbroglios sont monnaie courante où l'on peut voir le cliché du preux chevalier et la princesse tourné en ridicule sanglant ou comment éliminer son rival à son boulot en se téléportant dans la préhistoire... L'humour absurde est très largement repris des Monkey Island, où l'on sent Ron Gilbert nostalgique de ses pirates (dont on peut en voir dans le décors), de ses singes, et même du célèbre grog de Guybrush. Ça titille le nostalgique bien entendu mais de manière générale, elle permet aussi d'inclure The Cave dans l'univers cohérent de Gilbert et ainsi de la crédibiliser. Ainsi, cette Caverne, avec peu de moyens et seulement par la finesse de ses décors réussit à nous montrer qu'elle a eu un vécu comme en témoignent ces squelettes, des anciens « visiteurs » nous dit-on. Et surtout, le chara design déformé, cartoonesque, multicolor à l'animation élancée est typiquement du Lucas Arts de l'ancienne époque. La lune pas parfaitement ronde et ces nuages aux contours parfaits rappellent beaucoup le style visuel des Monkey Island, ce qui n'est pas pour nous déplaire. On sent la légèreté dans The Cave, on sent l'histoire marrante, sans prétention qui se veut à la fois classique (de l'humour, de l'action, de l'amour, de la morale) mais pourtant bien ancré dans l'originalité de la team des ex-Lucas Arts. Et ça marche. Jamais trop lourd, jamais redondant (comme le Monkey Island de Telltale par exemple), c'est peut être court et trop facile mais le joueur avance fluidement, sans aucune assistance, se laisse bercé par cette histoire qui se déroule sous ses yeux, sans aucune cut-scene, que par les énigmes in-game : à l'ancienne. De la maitrise, donc, même si ludiquement n'est pas assez poussé. Même si le jeu est court, il faut finir le jeu trois fois pour compléter l'histoire des sept personnages. D'ailleurs, le fait d'avoir sept persos oblige le joueur à se farcir l'histoire de deux personnages deux fois... On aurait aimé avoir deux personnages de plus, surtout que grâce à la construction du jeu à base d'un niveau unique par personnage, c'était possible.

Astuce : avoir la bonne fin

Petite astuce très facile pour obtenir la bonne fin du premier coup. A la fin du jeu, au moment où le standardiste vous donne l'objet de votre convoitise, plutôt que de quitter la grotte directement, redonnez l'objet. Il faut cliquer sur le bouton « interagir » trois fois sur le standardiste pour abandonner votre désir égoïste montrant que vous avez compris la leçon de la Caverne.

On se doutait que le jeu n'allait pas nous retourner complètement. Après tout, ce n'est qu'un modeste jeu dématérialisé. Mais The Cave jouit d'un gameplay très propre, cohérent accompagné d'un level-design uni (en fait la Caverne abrite l'ensemble des niveaux des personnages, selon votre équipe vous ne la traversez pas de la même façon) et surtout d'une jolie histoire moralisatrice à l'humour cynique pétillant. Certes, c'est court (3x4H environ dont la moitié à refaire à l'identique), c'est facile, on reprochera un gameplay coopératif pas aussi poussé qu'espéré... Mais on se laisse guidé avec humour et ludisme. Vous ne ne vous ennuierez jamais, vous aurez toujours la découverte d'un nouveau décors, de nouvelles énigmes, la courte durée des histoires permet d'aller à l'essentiel et d'enchainer, c'est un condensé d'actions saupoudré d'humour noir agréable à écouter. Une chouette aventure que l'on aurait aimé plus consistante.

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