Au début, il n'était qu'un comic book à certain succès aux USA depuis 2003 édité par Image. Il a été distribué en France dès 2007 par les éditions Delcourt (après un tout premier volume chez Semic, réédité depuis). Il devient ensuite un succès mondial du petit écran, transposé sur la chaine AMC en 2010, actuellement en pleine diffusion de la troisième saison. Désormais, quand vous entendrez The Walking Dead de Robert Kirkman, il faudra de suite y accoler le nom du studio Telltale Games pour son adaptation vidéoludique époustouflante d'émotions. Découpée en cinq épisodes, la saison 1 s'est achevée le 21 novembre 2012. On va enfin pouvoir écrire pourquoi TWD est à jouer absolument.

Père Castor, raconte moi une histoire

Le jeu vidéo The Walking Dead est axé sur la narration d'une histoire, tel que peut l'être Heavy Rain de Quantic Dream. Habitué des click'n play, Telltale avait déjà réduit drastiquement les mécaniques du genre sur Retour vers le Futur et avait échoué dans sa tentative de Jurrasic Park. Quand The Walking Dead était annoncé, nous avions alors tous les droits d'avoir des doutes puisque TT a pour habitude, soit de copier-coller ses mécaniques à ses jeux (Sam & Max, Wallace & Gromit, Monkey Island), soit d'être trop fade dans ses tentatives d'adaptation Cinéma. The Walking Dead épure ici tout le gameplay que requiert le click'n play, il n'y a aucune énigme ou casse-tête, juste quelques éléments à assembler à de rares moments. La majeur partie du jeu consistera surtout à switcher entre dialogues à choix multiples et quelques scènes à régler de fausses énigmes, prétexte à faire avancer les séquences animées. Rien de plus. Pas de repompe des MPAR de Heavy Rain, ou de QTE sans cesse, si ce n'est un petit smashing button de temps à autre, ou des petites séquences de tir très facile où vous devrez pointer votre cible en mouvement. Le reste, vous avancez et soit dialoguez, soit cliquez pour déverrouiller des actions écrites à l'avance. Présenté comme ça, il est évident que ça ne fait pas envie et l'on peut même y déceler un concept complètement « anti-vidéoludique ». Et on ne vous en voudra pas d'avoir cet apriori. Même si vous avez aimé Heavy Rain (ou non), vous ne devriez pas vous laisser préjugé de la sorte. Car derrière cette simplicité ludique abordable pour absolument n'importe quelle personne (on recommande le jeu même à des non-joueurs, clairement) se cache un petit bijou d'écriture mais surtout de rythmes et mises sous tension.

Si la série TV adaptait avec une certaine liberté (relative) au comic reprenant ses grands chapitres et ses moments chocs (mais pas toujours avec les mêmes personnages), Telltale Games a décidé de ne pas copier le support d'origine. Probablement pour éviter la comparaison, déjà d'une, mais aussi pour éviter une redite avec la série et surtout pour justifier un regard neuf et accessible à toutes et à tous. L'histoire se déroule un peu avant celle de Rick. On y suit celle de Lee Everett, un détenu accusé de meurtre conduit par un shérif jusqu'à la prison. Sur le chemin, leur voiture a un accident, percutant semble t-il un humain qui se révèlera être un zombie. Blessé, Lee va vite trouver refuge dans la maison d'une petite fille qui a survécu à la catastrophe sans ses parents partis de la ville et sans sa nourrice morte et transformée. C'est le début d'une superbe histoire de tendresse dans ce monde apocalyptique où le moindre temps libre passé à se cacher et à fuir sera de réconforter cette petite Clémentine. Une histoire sur les relations humaines. Sur la vie en communauté. Peut être, éventuellement, sur la condition humaine. Reprenant les thématiques de la bande dessinée où une bande de survivants va devoir se battre pour conserver son humanité dans ce « marche ou crève » bucolique, le jeu The Walking Dead fait le choix, finalement logique, de faire reposer l'intégralité du gameplay sur les dialogues à choix multiples. Un peu comme un Mass Effect où trois tons sont proposés pour répondre la même chose, permettant au joueur de s'impliquer complètement dans les discussions virtuelles de son héros en toute fluidité, The Walking Dead propose des dialogues très subtils à choisir en temps limité. Mis à part certaines séquences sans danger, sans action, sans activité, le joueur va avoir droit à trois réponses et une option muette à choisir en temps plus ou moins limité. Plus la séquence est chaude, plus vous devrez faire vite, bien sûr. Le concept est double : la première permet tout bêtement de faire enchainer fluidement les dialogues. Vous n'aurez jamais de longs blancs de conversation comme la plupart des jeux. Mais surtout, voyant cette barre de temps défiler, le joueur va vite sentir la pression monter et va devoir jouer plus à l'instinct qu'avec une réelle réflexion. A l'instar de son héros et ses compagnons acculés par la « Mort qui rôde » à travers les zombies, la faim, les bandits, etc etc. Vous n'avez jamais le temps de réfléchir à un plan potable. La pression monte en fonction des actions mais surtout au fil des épisodes, le joueur mis ainsi dos au mur doit s'activer vite, ne pas tergiverser, ne pas réfléchir... Et par conséquent, lui évite de trop se poser de questions ou à remettre en cause les choix des développeurs.

En effet, quelle est la principale différence entre TWD et Heavy Rain ? Le second prend le pli de structurer son histoire de manière plutôt linéaire, classique avec un prologue, une présentation, un élément déclencheur, une élaboration, doutes, rebondissements, etc. Thriller au timing lent où le joueur est invité à s'imprégner du quotidien des personnages et de leur donner eux-même une vie, Heavy Rain souffre d'un petit paradoxe de gameplay. Même si le joueur est actif (par opposition à la passivité d'un spectateur) en déplaçant son personnage et en l'animant selon des scripts contextualisés, cette activité est trop molle, trop lente pour réussir totalement à le plonger dedans. C'est probablement cette lenteur chronique, à la fois dans l'avancée du scénario et dans l'interactivité du jeu, qui a pu faire décrocher une certaine partie du public. The Walking Dead évite justement cet écueil en pressant le joueur... Lui ajoute une pression constamment, dans les dialogues, dans les actions où il faut éliminer des zombies, sauver tel ou tel personnage, grâce à son temps limité principalement. Mais aussi finalement en amenuisant totalement la partie « click'n play » du jeu puisqu'il suffira de cliquer une fois sur un objet pour que Lee le prenne et sache quoi en faire. Ces scènes de jeu légères sont pourtant le moyen de décompresser et de souffler après les traques virtuelles. Un choix crucial puisqu'elles permettront, si le joueur le décide, d'approfondir ses relations avec les autres personnages.

Make your choices

TWD jouit d'un gros travail d'écriture dans ses dialogues à choix multiples pour crédibiliser son univers. En effet, face aux situations d'action, aux questions embarrassantes ou autres, Lee a donc trois choix de réponses. Mais ses choix sont totalement différentes les unes des autres. Ce n'est pas un vulgaire « gentil, méchant, neutre ». Il s'agit d'un panel de réponses aux connotations très différentes dont les phrases QCM sont justement suffisamment précises pour ne pas tromper le joueur. Combien de fois dans Mass Effect, Shepard disait un truc n'ayant rien à voir avec le choix écrit ? Ici, ce n'est pas le cas. Les propositions sont limpides et coulent de source au joueur mais proposent des choix plus ou moins cornéliens. Allez vous cacher la vérité aux questions incessantes de la petite Clem ? Pour la protéger ? Allez vous êtes honnête avec elle et la traiter comme l'enfant intelligente qu'elle est ? Allez-vous esquiver certaines réponses à vos camarades ? Allez-vous laisser exploser votre colère sur un personnage antipathique ? Laisserez-vous un huit clos oppressant compromettre votre lucidité ? Comment choisir ? Le piège serait de penser qu'à l'instar de la majorité des jeux vidéo, il suffit de jouer le gentil, choisir les « bonnes » décisions et tout ira bien... Or, l'écriture de ce TWD nous décrient des personnages très humains et ainsi, imprévisibles. Certes tous un peu caricaturaux (surtout les premiers personnages) mais dont leur réaction n'est pas toujours celle que l'on espérait. De cette même façon, le joueur ne réagira pas de la même façon qu'un autre et se sentira impliqué différemment. Un joueur va aimer tel personnage et prendre sa défense tandis qu'un autre ne le fera pas, par exemple. Choix crucial : deux personnages sont attaqués en même temps : qui allez-vous choisir ? Vous n'êtes pas un super héros et malheureusement tout ne se passe pas comme prévu et cela peut affecter le moral même du joueur. Le comic écrit par Robert Kirkman ne lésine absolument pas sur les morts, les comportements à risques et les pétages de plomb. Telltale Games l'a bien compris et nous a garni de multiples rebondissements. Non, la veuve et l'orphelin ne sont pas épargnés... Et vous le comprendrez très rapidement. L'instinct du joueur est incontestablement mis à l'épreuve dans TWD et quelque soit vos choix, vous les ferez pensant à une seule chose : protéger Clémentine. Cependant, l'enfer est pavé de bonnes intentions et qui sait comment vous vous en sortirez... Le jeu se permet de totalement questionner les choix du joueur. Prendre Clem avec vous dans une opération risquée pour éviter d'être seul dans un bâtiment avec un éclopé est-il une sage décision ? Si vous ne vous posez pas cette question (sûr de votre fait), un personnage secondaire vous y confrontera... Vous vous défilerez « oui, mais... », ou vous assumerez « elle est en sécurité avec MOI, Moi le JOUEUR, je CONTRÔLE ce JEU ! » ?... Mais le contrôlez-vous vraiment ?

Voilà un des défauts que l'on pourrait reprocher à The Walking Dead. A chaque lancement de partie, on vous annonce « le jeu s'adapte en fonction de vos choix » mais en vérité, le scénario principal ne change pas. Ce qui change, ce seront les relations avec vos personnages, c'est l'état physique de quelques uns éventuellement, des sacrifices à faire, peut être, mais si Telltale Games a décidé de faire tué ou partir tel ou tel personnage, vous ne pourrez rien y faire. A l'instar de Heavy Rain, vous ne pouvez pas modifier l'issu du scénario. Si ça semblait logique chez Quantic Dream étant donné que l'équipe avait soigneusement établi son scénario et que le joueur avait la direction d'acteurs entre les mains, ça peut gêner dans The Walking Dead dans le sens où le joueur est persuadé de pouvoir faire des choix qui influencent réellement le déroulement des choses. Cependant, ce n'est pas le cas et ce sera votre ressentiment personnel et les relations tissées avec les personnages qui changeront. En fait, vos choix modifieront le comportement des personnages qui graviteront autour de vous. Exemple, si vous mentez sur votre situation à un personnage, ce dernier est capable d'en parler à un autre qui connait le secret de Lee, ce qui va créer des scripts d'animations et de dialogues spécifiques à ce comportement. Mais au final, comme dans la vie, qu'importe ce que les gens pensent de vous, non ? L'important est d'assumer vos choix. Et sur ce point, grâce à une grande souplesse dans les choix de dialogues et grâce à des réactions émotives franches de la part des protagonistes, le joueur va influencer sur sa propre expérience émotionnelle. Si vous commencez à pester à voix haute sur un personnage, c'est gagné. Le contrat est rempli. Plus important, si votre première instant de liberté est d'aller vérifier si Clem va bien, c'est gagné.

La BD ce n'est pas pour les enfants

The Walking Dead est une expérience très personnelle dans le sens où elle fera touché la corde sensible : protéger l'enfant, choisir qui doit vivre, faire son deuil, ne pas devenir fou, essayer de « faire le bien » dans ce monde mort-vivant, un concept propre au comic. Mais pour que ça marche, il y a certes ces ficelles de gameplay très épurés, à base de timing serré et de rythmes contrastés entre la pression de l'action et les rares moments de calme où l'on dirige Lee manuellement. Mais le travail artistique est évidement une pierre angulaire à cette réussite. Les créateurs ont réussi, sans plagier le style graphique de Tony Moore (premier épisode) ou Charlie Adlard (le reste), à trouver un style en cell shading cartoonesque et caricaturé sans paraître grossier. Ses couleurs vives et l'imagerie dessinée permettent à la fois d'effectuer un rappel vis à vis du support d'origine et de ne pas embourber le modeste studio de Telltale Games dans un moteur graphique couteux et complexe. Mais à dire vrai, elle permet indirectement d'adoucir les à priori. En effet, quand on se réfère à Heavy Rain plus haut dans l'article en parlant de son rythme diesel de thriller classique pouvant empêcher le joueur de s'y plonger, le rendu réaliste du jeu le rend aussi beaucoup plus austère et plus sérieux. Le jeu transpire de son ambition et l'attente du joueur se fait plus grande (encore plus s'il n'accroche pas du départ). Ici, dans TWD, le jeu sent moins la prétention avec ce traité graphique pas franchement impressionnant mais cohérent avec son sujet. Paradoxalement, un joueur ne connaissant pas ou peu TWD peut aussi être tenté d'approcher le jeu la fleur au fusil, la surprise en sera plus grande... C'est d'ailleurs une des forces du lancement du jeu auquel peu de gens croyaient réellement. Or, le jeu a surpris dans son épisode 1 en ce sens : ne payant pas de mine, joli certes mais gentillet tel un Retour vers le Futur, pour ensuite être confronté à une sauvagerie scénaristique sans aucun complexes. L'épisode 2, ayant achevé le travail de conquérir le cœur des premiers joueurs pour ensuite lancer le merveilleux bouche à oreille du titre. Même si la mise en scène n'a rien de franchement cinématographique, elle fonctionne in-game en s'amusant des premiers-plans, arrières-plans et surtout beaucoup de vue à la première personne ou à l'épaule permettant au joueur de s'imprégner encore plus du personnage qu'il contrôle. Les scènes filmées à la caméra à l'épaule sont aussi légions renforçant le stress palpable des situations renforçant la pression sur l'utilisateur. La multiplication des plans est aussi très importante afin de ne pas rendre les conversation ennuyeuses, les personnages sont souvent en pleine mobilité, des plans décentrés rappellent les menaces aux alentours, des gros plans sur les visages caricaturés mais au faciès extrêmement expressif facilitent grandement le partage des sentiments. Sur ce point, le travail visuel de Telltale Games est très important et surtout réussit sans pour autant se prendre pour un long-métrage de Cinéma... La caméra joue beaucoup et reste toujours près du point de vue de Lee, permettant de rappeler au joueur son importance dans le jeu. Le joueur aura même toujours un doigt sur ses raccourcis clavier pour lancer ses choix de dialogue rapidement puisqu'il n'y a pas de « cut-scenes » à proprement parlé, tout étant in-game. On conseillera même pour ne pas se couper (malgré des sauvegardes et checkpoints à intervalles réguliers) d'enchainer un épisode d'une seule traite (environ trois heures). Il y en a cinq, faites le calcul, vous en avez largement pour votre argent (25 euros tarif plein et est déjà en tarif réduit sur Steam).

La bande-son n'est pas en reste puisqu'un jeu pareil se doit d'être entièrement doublé. C'est forcément fait avec justesse en anglais permettant de faire véhiculer le flot d'émotions intenses que parcourent ce petit groupe de survivants qui passera de durs moments. La musique n'est pas présente pour permette surtout de garder l'ambiance sonore à base de bruitages de zombies tapis dans l'ombre faisant parti du décors, mais aussi des bruits de pistolet, carreaux brisés et autres sons chocs qui vous fera réagir au quart de tour. En revanche, si le jeu est sous-titré en anglais, il n'y rien en français. Si vous y jouez sur PC, il existe des patchs officieux de bonne qualité. Sur consoles, il faudra croiser les doigts pour qu'un éditeur prenne en charge les versions packaging attendues en Amérique du Nord le 4 décembre, avec éventuellement un financement pour un sous-titrage européen... Le jeu n'étant pas gourmand, privilégiez le PC si vous pouvez, d'autant que l'on a noté des ralentissements sur consoles.

Pour comprendre pourquoi The Walking Dead nous fait un effet monstre, pourquoi il nous fait flipper, pourquoi il nous fait tripper, pourquoi il nous inquiète, pourquoi il nous crispe, pourquoi il nous met en alerte, pourquoi il nous fait soucier tant de cette petite fille abandonnée et pourquoi il finit par nous foutre la larme à l'œil, c'est déjà avant tout parce qu'il y a un gros travail avec peu de moyens. Ces moyens sont le choix d'un gameplay épuré nous faisant suivre une ligne directrice unique. Une ligne qui vibrera telle une corde musicale selon les choix de son joueur, impliqué dans la protection et la survie de Clémentine. C'est ça le gameplay de TWD. Oui, c'est minimaliste, l'interaction y est physiquement limitée mais malgré tout elle est suffisamment coordonnée, suffisamment mise en scène, suffisamment rythmée, muni de quelques variations qu'elle réussit à toucher le joueur se liant avec un personnage virtuel. L'intelligence de TWD n'a pas été de simplement dire « faisons une histoire interactive ». Ça a été « comment peut-on faire ressentir via le jeu vidéo l'oppression décrite dans le comic ? ». Et là, on comprend toutes ces petites mécaniques de jeu très fines comme pousser le joueur à répondre dans le temps imparti ou faire intervenir des personnages au caractère complexe soumis aux mêmes pressions de cette folle survie, tout ça inspiré de quelques scènes-clés de la BD sans les copier intégralement. Exemple tout bête, Lee va comprendre comment passer sous le nez des zombies en étant éclaboussé de leurs entrailles (comme Rick donc). La différence est que cette fois, vous jouez cette scène... Vous déplacez le personnage... Et dans un contexte encore plus différent, stressant et dramatique que le sujet de base... C'est une adaptation très intelligente se permettant même par certaines séquences de surpasser l'original. Vu de loin, on pourrait critiquer que TT ne fait que jouer la corde sensible tel un vieux drama éculé (sauver la petite fille, faire pleurer les chaumières sur les morts, s'essayer à une charge héroïque perdue d'avance, etc)... Et ce ne serait pas totalement faux. Mais la façon dont on a été impliqué lentement mais surement dans cette folle aventure avec un ultime épisode de feu à faire chialer un bucheron est tellement bien amenée grâce à tous les ingrédients détaillés dans cet article que... Ça fait un pincement au cœur. C'est totalement passionnel et irrationnel et c'est sans doute pourquoi il est compliqué de prendre beaucoup de recul sur cette aventure. Elle tape là où ça fait mal... Et ça fait du bien.

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(Re)lire l'article, mis en page, sur PG Birganj : en Une ou dans la rubrique "Critiques".