L'été, c'est toujours le moment propice pour se jouer du oldie. Il y en a qui se font leurs classiques ou leurs jeux faits mille fois encore et encore mais c'est toujours mieux d'en profiter pour voir autre chose. Faire connaître autre chose. Il y a toujours, à certaines époques, des jeux qui refont surface dans l'inconscient des joueurs. Une sorte de mémoire collective qui s'éveille en chœur et se remémore d'un ancien jeu précis. Par exemple, il y a quelques années, tout le monde se mettait à recauser de Fallout (meilleur RPG de l'histoire, maturité, blabla) jusqu'à ce que Bethesda surfe sur ces attentes avec les deux jeux 3D que l'on connait. Là en ce moment, la clique d'Obisdian, ou plutôt les anciens d'Obsidian reviennent à la mode, puisque l'on a d'un côté la ressortie en septembre du classique Baldur's Gate, de Bioware et Black Isle Studios. De l'autre, le développement grâce au financement participatif de Wasteland 2, la suite de l'ancêtre de Fallout, par Brian Fargo mais aussi Chris Avellone, actuel directeur d'Obsidian, anciennement Black Isle Studios. C'est bon, vous vous y retrouvez ? Mais vous savez, pour faire genre dans le milieu connaisseur du jeu vidéo, il ne faut jamais se satisfaire de ce que l'actualité offre. Si l'on combine Baldur's Gate et Chris Avellone, on se met à penser à... ... ... ... ... Planescape : Torment. Ouais, c'est un nom qui revient dans les discussions, le « Best RPG Ever », ce serait lui maintenant. On raye Baldur's Gate et les anciennement Fallout, maintenant, c'est Planescape qui défonce toute l'histoire du RPG occidental. Mais connaissez-vous vraiment Planescape ? Ce jeu, en dépit d'excellentes critiques, n'a pas du tout eu le même succès et le même impact que d'autres. Et parce que Chris Avellone en a causé dans la presse, le jeu revient seulement maintenant se coller à la bouche des joueurs... Mais, en 2012, Planescape ça fonctionne vraiment ?

La mort qui tue

Planescape nous narre les aventure d'un homme qui se réveille sur la table d'une morgue ayant perdu la mémoire (oui, les héros qui perdent la mémoire c'est tendance en 2012). Malgré la bouillasse pixelisée que nous laisse voir la 3D isométrique de l'époque issue du moteur de Bladur's Gate, Sans-Nom est un homme décharné, dont la peau grise est couverte de cicatrices mais aussi de tatouages, dont celui sur le dos va l'amener à chercher sa mémoire perdue. A l'aide d'un sidekick venu de nulle part comme tout bon vieux RPG qui se respecte, Morte, un crâne flottant à l'humour noir prononcé, notre héros va comprendre qu'il a perdu sa mortalité. Il est immortel. Mais ses morts successives entrainent une amnésie. Pas glop, donc. C'est partie pour la découverte d'un monde constitué de plusieurs couches dimensionnelles où la Mort est une préoccupation existentielle plus présente que la vie elle-même. Le principal point fort de Planescape est son background totalement original. Un joueur de 2012 pensera éventuellement à Lost Odyssey s'il se réfère au début du jeu (immortalité au prix de l'amnésie) mais Planescape dépeint bien plus que cela. C'est un monde qui n'a pas franchement beaucoup de points de référence. Jamais heroic-fantasy, jamais cliché dans la représentation de la mort, Planescape découpe plusieurs niveaux où la vie dans la Ruche (le monde le plus « équilibré » finalement) est fait de vols, de commerces douteux, de quelques magies, de philosophies étranges comme les Dustsmen qui pensent que la Mort n'est qu'une seconde vie et non la vraie Mort. Vous rencontrerez plus tard des mort-vivants qui parlent comme n'importe quels PNJ, des hommes-rats, des mages puissants qui ont tous des vices. Petit à petit, le monde de Planescape ressemble à une sorte de culture vaudou où le mysticisme est vraiment profond. Le joueur va se sentir perdu pendant de très longues heures, pour s'accaparer ce milieu où rôde la Mort, la folie et le désespoir. Planescape, ce n'est pas fun. Faut se le dire, ce n'est pas fun. Plus vous avancez, plus vous découvrez de nouveaux personnages, de nouveaux évènements de votre passé où rien n'est joli joli à lire, entendre ou voir. Certains alliés peuvent même se retourner contre vous si vous leur parlez mal, comme ce mage complètement fou, Ignus, qui a cramé tout un village entier... Par ses couleurs grisés, ocres, ses personnages souvent habillés en lambeaux, le jeu dépeint est maussade et rappelle la mauvaise ambiance de Fallout, en plus morne car la Mort rôde toutes les minutes de jeu. Pas une Mort ludique puisqu'en étant immortel vous ne perdrez jamais vos xp ou items (sauf vos équipiers), sans comptez que l'abus de sauvegardes rapides est bon pour la santé mais on parle d'une Mort lyrique. La trahison, la peur de la découverte, l'ignorance du monde qui vous entoure (que ce soit le héros ou le joueur) fait que vous avancez sans grande conviction. Et pour cause, le jeu est à la fois vaste et pas très clair.

Blablablablabla

Planescape souffre déjà des mêmes maux que beaucoup de jeux de rôle occidentaux d'époque. Le joueur est complètement paumé du début de sa partie. Vous concevez votre personnage en répartissant les quelques points de compétence du début dans Force, Condition, Intelligence, Charisme, Dextérité et Sagesse. Vous n'avez pas de classe à choisir, vous êtes un guerrier et vous pouvez changer en mage ou voleur plus tard. Ok, très bien, vous allez vous lancer, force, constitution pour ne pas crever comme une merde au début. On le sait tous, les débuts dans un RPG ce n'est pas toujours évident, mieux vaut se blinder en constitution, donc en PV max et en défense. Pas de chance, Planescape ne mise pas du tout sur ses combats. Pour ça, faut vous renseigner avant de lancer le jeu. Non, vous n'allez pas spammer des monstres du début à la fin. Du moins pas au début. Et non, spammer des combats ne vous fera pas grimper de niveau tous les 8 minutes de jeu. En revanche, parler... Parler, ce sera autre chose. Et pour profiter d'un maximum de possibilités de dialogues comme mentir, comprendre, convaincre, etc, il faut booster son intelligence, mais aussi sa sagesse car plus vous êtes élevés dans ces catégories, plus vous aurez de chances de récupérer votre mémoire. Et donc de rendre plus intéressant le jeu. Parler est la clé absolue du jeu. Résoudre une quête juste en dialoguant vous rapportera bien plus que de spammer des ennemis qui vous trucideront tant la difficulté du jeu est mal dosé. Mais on y reviendra.

Donc, vous débutez dans une morgue, vous savez que dalle et vous avez des pièces géantes qu'il faudra visiter de fond en comble pour comprendre quoi faire. Ainsi, vous serez amené à vous faire fouiller les intestins sans trop savoir pourquoi, vous éliminerez des ennemis sans résistance (au tout début), vous rencontrerez un fantôme, etc, plein de choses s'enchainent sans trop d'explications (pour s'assembler plus tard), pour ensuite être libre dans la ville et retrouver un certain Pharod. Voilà, le but de votre première mission... Vous avez une très grande ville avec beaucoup de PNJ avec lesquels il faudra parlementer. Vous allez donc marcher en abusant de clics et de reclics à causer à des personnes que vous ne connaissez pas, dont vous vous foutez totalement mais dont les aider vous rapportera un gros paquet de points d'expérience, absolument nécessaire pour ne pas vous faire découpé en deux. Vous traversez un écran, deux écrans, trois écrans, bref un bon 6 écrans pour votre première ville, complètement perdu à vous retrouver à récupérer un allié comme ça, l'air de rien, dans un bar... Tout le jeu blablablate de choses plus ou moins intéressantes, les heures défilent, vous tournez en rond parce que faut bien résoudre ces sous-quêtes ridicules comme aller récupérer un objet volé ou aller convaincre un type que se suicider ça craint, bref, plein de choses variées que ne vous demanderont cependant que de la lecture et que du clic...

Ludiquement, le jeu est mollasson comme tout et vous êtes plus en face d'un click'n play verbeux qu'un jeu de rôle... Car de rôle il n'y en a pas vraiment. Certaines réponses ou choix influenceront votre moralité (que vous ne voyez pas affichée, pour ne pas être tenté de tricher, ce qui est une bonne chose), mais vous ne définirez pas réellement votre personnage, ou ne prendrez part à des embranchements importants. Malgré votre grande liberté de boucler vos quêtes ou non, d'une certaine manière ou non (voler un objet au lieu de le troquer, par exemple), vous suivrez le scénario principal. Ainsi, le jeu se déroulera, environ en trois parties d'un bon 50H si vous ne rencontrez pas de problèmes, un bon 80H en tournant en rond, en levellant, bouclant toutes les sous-quêtes, etc. Trois parties où la baston montra crescendo. C'est là que le bât blesse. Plutôt que de jouer finement sur plusieurs rythmes comme le voudrait n'importe quel RPG, vous vous taperez souvent de bien longues séquences de dialogues pénibles, puis ensuite de très longues séquences d'action difficiles. La clé de ce problème de rythme est la suivant : si vous avancez vers la quête principale, vous tomberez sur de la baston. Mais vous serez faibles, donc vous vous ferez taper fortement. Si vous bouclez les sous-quêtes avant, vous serez plus forts, mais vous brisez complètement votre avancée avec des millions de lignes de texte... Pas évident donc de se trouver dans une dynamique de jeu plaisant puisqu'il s'agira d'épuiser le stock de quêtes pompeuses ou de stocker votre endurance dans des combats de plus en plus difficiles.

Donjons, dragons et combats à la con

Le jeu reprend le système de combat à la Donjons et Dragons. Donc avec le même système de statistiques que le célèbre jeu de plateau avec les chiffres TAC0 et Classe d'Armure. Le premier est une statistique qui influence les chances de toucher l'adversaire, la deuxième influence sur les chances d'éviter l'attaque. Tout ça dicté par la règle de l'aléatoire simulée par un dé de vingt faces. Tout ça, in-game ça ne se traduit pas vraiment correctement. Ça se traduit seulement par la mollesse et le sentiment d'injustice quand votre super guerrier et sa super hache n'est pas foutu de toucher un ennemi... Pas évident donc, vous ne vous sortirez pas en combats uniquement par vos statistiques qui d'ailleurs ne montent pas bien vite, mais aussi par un peu de chances mais surtout par l'importance des alliés. Plus vous en aurez, mieux ce sera. Le problème étant que le jeu emploie la technique foireuse de 90% des RPGs occidentaux. Plutôt que d'apprendre à gérer des combats tactiques avec des ennemis plus ou moins puissants, les level-designers s'estiment malins en spammant la map d'ennemis en surnombre... Un problème récurrent dans beaucoup de jeux du genre mais qui prend ici des proportions ridicules puisque le cœur du gameplay vous incite à causer et non vous battre. Nous sommes déchirés entre la volonté du jeu à se rendre très littéraire et son canon baldur's gatien dont il ne se défait que dans les menus en épurant les inventaires (bien peu nombreux) et les équipements (pas de lourdes armures ou 36 armes, vous aurez les mêmes choses équipements pratiquement le long de l'aventure). A partir de là, on passe d'un extrême à l'autre avec un système de combat très handicapant et ne collant pas du tout au rythme de l'aventure. Le jeu souffre, de plus, d'une ergonomie médiocre. Même si tout est jouable à la souris facilement à base de clic droit et clic gauche dans le menu, les combats vont souvent se résumer à foncer dans le tas avec ses guerriers, les mages eux lançant leurs attaques à distance. Mages dont leur magie est très limitée d'ailleurs, non pas régulés par une barre de mana mais un nombre de magies prédéfinies (rarement plus de trois par magie). Vous vous régénérerez qu'après avoir dormi... Il existe fort heureusement une pause active pour lancer certaines grosses magies si besoin est mais leur nombre limitée nous les fait retenir un maximum.

L'autre problème, en plus d'avoir des ennemis en surnombre est que petit à petit, on vous empêchera de vous ravitailler dans les longs donjons. Impossible de revenir en ville par exemple. Et comme vous allez énormément bouffer d'items de soin, le dernier tiers du jeu sera un supplice si vous ne le prévoyez pas (et à moins de lire un article ou une soluce, vous vous faites avoir, vive les multiples sauvegardes). Encore un exemple du manque d'équilibre, on vous enfermera carrément dans les donjons où la survie y sera souvent compliquée. Une difficulté mal dosée qui ne fait que prôner le bon gros levelling en règle, ainsi que la centaine - que dis-je ?- « Les » centaines d'items de soin à emmagasiner... Bref, du bourrin pénible. D'un côté, le ludisme mollasson des dialogues pendant des heures et des heures, de l'autre de la survie intempestive redondant à cliquer sans arrêt sur les ennemis ou sur les items... Sans compter les problèmes récurrents de pathfinding où les personnages n'arrivent pas à interagir avec la cible. On pourrait pardonner ce genre de bugs à un tel jeu, mais quand l'absence de précision et de maitrise du level-design vous tape sur le système pendant de longues heures, la tare s'alourdit.

Chris Avellone déclarait sur GameIndustry, le 24 juillet 2012 que Planescape Torment serait bien mieux exploité sans les règles de D&D. Un aveu douze ans plus tard qui se confirme toujours plus fort, clavier sous les doigts, que Planescape : Torment est un esprit riche coincé dans un corps limité. Autrement dit, le canon de l'époque : moteur Baldur's Gate et gameplay D&D ne colle pas du tout avec le fondement du jeu. Planescape regorgeant de détails sur la vie après la Mort, sur la Nature d'un homme, sur la multiplicité des personnalités, sur l'importance de ses actes (importance ludique nulle in-game mais qui dévoile sa puissance à la fin du jeu), dans un background original aux décors sableux, osseux, poisseux, où la magie est dangereuse et où la diversité des religions basées tournant autour de la Mort (directement comme la vie après la Mort ou indirectement comme le châtiment de la Justice). Si le design de certains monstres et personnages semblent un peu dépassés, probablement à cause d'un moteur 3D usé, l'ensemble reste diablement cohérent et instaure cette ambiance malsaine où le malêtre de chacun prédomine : un mage psychotique en feu, une succube qui refuse l'appel de la chair, un être de savoir qui a passé sa vie à être esclave, etc etc. A ce petit jeu là, l'originalité de Torment reste unique et jamais égalé dans cet univers fouillé mais paradoxalement pas aussi exploré qu'il aurait dû. Si la multitude de dialogues décrit bien les multiples évènements et multiples cultures de l'univers, jamais celles-ci ne seront exploités puisque tout tourne autour de la quête du passé et de la mortalité du héros sans nom. Ainsi, le background garde toujours sa grande part de mysticisme car détaillé donc crédible mais jamais exploré donc aux contours flous. En cela, le jeu mérite d'être exploité d'une bien meilleure façon plutôt que de suivre le canon d'un RPG Baldur's Gatien avec un seul fil rouge classique. Ajoutons à cela, la pénibilité à prendre le jeu en main pour cause de déséquilibre profond : sur-importance de l'investigation au détriment des combats cependant difficiles car rigoureux. Et un jeu au rythme trop haché entre parlottes et combats acharnés très difficiles (surtout en fin de jeu).

Il n'en reste ainsi qu'un excellent background, de belles trouvailles scénaristiques dont le sujet traité avec largesse d'esprit trouvera encore bon nombre d'amateurs. Mais ludiquement, le jeu souffre d'un manque de cohérence flagrant accouplé d'une ergonomie dépassée. Si l'ensemble passait il y a 12 ans, c'est surtout parcequ'on sortait d'une génération de RPGs édités par Interplay aux qualités similaires dont les joueurs étaient rodés. Elles n'empêchent cependant pas l'incohérence entre le fond littéraire de Planescape et son gameplay. Elles sont surtout moins tolérables avec du recul, aujourd'hui. L'expérience qui en ressort est frustrante car témoignant d'un jeu aux qualités en avance sur son temps (grande importance de l'écriture), on joue surtout à un jeu qui manque de choix tranchés dans le gameplay. Un peu comme si « on joue à un RPG pour son scénario » (fameuse phrase typique des joueurs contemporains) en mettant de côté son gameplay... Ce qui n'a pas gêné à l'époque puisqu'il était assez proche des canons (avec certaines subtilités certes mais la forme est la même). Mais aujourd'hui, ça ne fonctionne pas de la même façon. Si vous voulez jouer à Torment, vous le ferez pour son scénario, ses dialogues, son background. Son gameplay lourd, peu intuitif et injustifié vous rebutera probablement.

65%

(Re)lisez cet article, mis en page, sur PG Birganj : en Une ou dans a rubrique "Oldies".

Note : C'est le premier article "Oldie" publié sur le blog. Sachez que les articles "Oldies" n'ont rien de nostalgique. Il ne s'agit pas de causer du jeu d'un air rêveur et contemplatif "aaaah ouais c'tait bien, pourquoi y a que d'la merde maintenant ?". C'est pourquoi, vous trouverez dans la rubrique "Oldies" du site des critiques plus sévères sur des jeux parfois considerés comme cultes. Il s'agit de savoir si aujourd'hui, le jeu fonctionne encore et apporte autant de plaisir et de percution qu'à l'époque.
Ce qui m'amène à l'espèce de note qu'on appelle "pérénité". C'est à dire à quel degré le jeu est encore potable... C'est une note encore plus floue que le barème écolier puisqu'il en pourcentage. Petite référence à l'époque Consoles+ des 90's (oldie toussa). Considérez qu'une note de 100% est un jeu qui a gardé toute sa saveur d'époque. Plus ça baisse, plus les qualités ont fondu ou ne sont plus compatibles avec notre époque. Bonne lecture.