Sorti de nulle part, Gravity Rush (Gravity Daze, au Japon) était censé faire parti du line-up de la PS Vita. La seule création originale digne d'intérêt pour la console. Nouvelle licence, background et concept de gameplay aguichant sur le papier : bouleverser les centres de gravité.
Pas de chance, il a fallu patienter jusqu'au moins de juin, soit quatre mois après la sortie de la portable pour y gouter. Initialement développé pour Playstation 3, mais réorienté sur Vita, la licence ambitieuse de Sony Japan Studios (le réalisateur Keiichiro Toyama - Silent Hill ; Forbidden Siren - évoquait un triptyque) nous dévoile un charme évident mais sans caractère.

Pattes de velours

Gravity Rush, c'est l'histoire d'une mystérieuse inconnue amnésique accompagnée
d'un chat qu'elle appellera Poussière. Cette petite blonde naïve, qui sera baptisée Kat par
un personnage secondaire du jeu, a aussi la capacité de bouleverser les lois de la gravité. Elle peut se détacher du sol pour ainsi déplacer son centre de gravité n'importe où dans l'espace. Concrètement, elle peut donc marcher les pieds au plafond, tout comme elle peut voler attiré par un point de gravité éloignée. Où ? Quand ? Quoi ? Comment ? Tel est le but du jeu et on y reviendra un petit peu après. Car le joueur, tel son héroïne découvrant ses pouvoirs au fur et à mesure, découvrira les ficelles du gameplay.
L'atout n°1 de Gravity Rush est bien évidement cette capacité de définir des centres de gravité autour de son personnage. Vous stoppez la gravité d'un clic de R, puis vous visez à l'aide d'une réticule centrée et en ré-appuyant sur R, vous serez attirés vers l'attraction visée. Ainsi, vous avez total liberté de mouvement en jonglant avec cette visée de gravité. Visez en l'air et vous pourrez alors survoler totalement la ville. Visez un plafond, vos pieds s'y colleront et marcherez la tête en bas et ce, sur n'importe quelle surface.
La ville de Gravity Daze est justement une ville fictive très verticale avec de nombreux étages architecturales. Les bâtiments et les rues se superposent à perte de vue et vous y avez un accès total. Pour comparer, c'est comme quand vous pouvez vous accrocher partout dans inFamous ou que vous pouvez marcher sur tous les murs dans Prototype. C'est la même liberté dans Gravity Rush.
Quand vous débutez vos petits allés et venus dans cette grande ville, vous commencez un peu à vous battre avec la caméra. En effet, bien que la caméra soit manuelle à 100% avec le deuxième stick, elle a la fâcheuse tendance à se repositionner automatiquement derrière l'héroïne, même en plein mouvement. Il faut d'abord s'habituer à un petit temps d'adaptation pour explorer un véritable 360° libre au point où vous vous retrouvez la tête en bas. Mais si la caméra se repositionne automatiquement pendant que vous allez dans telle ou telle direction, elle perturbe encore plus votre sens de l'orientation. Ça, c'est un premier point. Le deuxième est qu'il faut rappeler qu'on ne vole pas, on choisit ses centres de gravité, donc nos déplacements aériens sont toujours en ligne droite. La ville ayant une architecture complexe et détaillée, vous serez alors amenés à vous diriger fluidement avec beaucoup de difficulté. Pour schématiser, là où dans un jeu classique vous tracerez votre route avec des courbes, vous tracerez des droites dans Gravity Rush. Il faut donc persévérer dans ce mode de déplacement peu commode. Le problème étant que vous pouvez rester accroché à un vulgaire lampadaire qui bloque votre chemin... En effet, si vous vous approchez trop d'un tel obstacle, plutôt que de voir sa trajectoire un peu vaciller par le choc, le personnage y sera aimanté comme sur un pan du décors... Et voir sa trajectoire coupée par un lampadaire ridicule a de quoi rager quand votre mission est en temps limité par exemple. Et même sans ça, cela ne contribue pas à prendre du plaisir à tracer son chemin. Plus tard, après une poignée d'heures, vous vous habituerez et surtout vous abuserez des « vols d'oiseau » pour aller plus vite à l'endroit désiré.

Gravity Rush propose une ville vraiment très grande à parcourir avec de nombreux sous-niveaux et recoins cachés. Par exemple, une sous-quête vous demandera de retrouver 20 personnages fantômes, mais sans aucune indication. Et il va donc falloir apprendre à démultiplier son regard et prendre l'habitude de vouloir accéder à des endroits habituellement incessibles dans d'autres jeux.
Conceptuellement, aucun jeu n'avait proposé de découvrir une ville entière avec un regard aussi libre... Certes, on a cité des jeux pour leur liberté, mais quand vous vous retrouvez à marcher « sous » la ville, une ville flottante donc, la tête en bas en abusant de vos joysticks à 360°, vous comprenez que c'est du jamais vu, jamais ressenti. On a dit que la caméra pouvait se positionner automatiquement en plein mouvement. C'est vrai, mais jamais statiquement. C'est à dire que si vous flottez dans les airs, la tête en bas et à avoir un cadrage de biais, la caméra essaiera de se repositionner derrière l'héroïne mais en conservant ces cadrages libres. A plusieurs reprises dans le jeu, vous serez amené à regarder autour de vous pour repérer un item, un ennemi, un endroit, etc. C'est dans ces conditions que vous vous rendrez compte : « oh mon dieu, je joue complètement la tête en bas ! ». Ceci est de plus largement renforcé par une utilisation intelligente et efficace de la gyroscopie de la Vita.

En effet, l'astuce dans GR, c'est que le gyroscope y est relative. C'est à dire que son centre de rotation y est constamment recalibré. Vous allez réajuster la visée de votre point de gravité en bougeant la console librement mais dès que vous réutilisez le joystick droit, la gyroscopie y est remise à zéro. Dans les faits, ça veut dire que si vous jouez à la portable couchée, cet ajustement manuel restera totalement utilisable avec efficacité. Pour rappelle, cette feature dans Uncharted : Golden Abyss y était absolu. Il fallait donc obligatoirement avoir sa console droite pour y jouer, ce qui est complètement contradictoire avec le concept de portabilité. Cette gyroscopie maitrisée apporte ainsi une précision accrue de la visée mais le fait de mouvoir sa console dans l'espace se réfère exactement au gameplay du jeu qui est de se mouvoir librement autour d'un point. Point de gravité pour le gameplay, point de rotation pour la jouabilité. La main épouse le concept. Globalement, à l'inverse d'un Mario Galaxy dont le full 360° était sa spécialité, ce n'est pas le level-design qui s'impose à vous mais c'est bien vous, le joueur, qui êtres totalement libre de vos mouvements et ce peu importe le level-design. Une liberté, d'ailleurs, prônée dans le scénario du jeu.

Chat va, chat vient

Si le concept de Gravity Rush mêle à a fois un sentiment de liberté exaltant mais aussi quelques petits accros de caméra et de collision, il faut surtout qu'il soit utilisé intelligemment. Or, l'ensemble des missions de Gravity Rush vont se révéler peu intéressantes. La petite Kat va se déplacer librement dans la ville et aura accès à des défis dans lesquels il faudra battre des records : battre le plus d'ennemis en temps records ou faire une course contre la montre, ou jouer les taxis en portant des passants, etc. Ces défis sont assez importants dans le sens où ce sont eux qui vous donneront du fil à retordre et ce sont eux qui mettent surtout en exergue les problèmes de caméra, de collision, etc. Parce que ces défis sont en temps limité, vous vous rendez compte rapidement qu'il vous sera très difficile de jouer rapide, fluide tout en restant calme, à cause de ces directions rectilignes, ces lampadaires à la con qui vous bloquent le passage et autres inerties dus naturellement à la gravité.
Ces défis nombreux vous permettront aussi de gagner un maximum de cristaux qui serviront de monnaie pour augmenter les compétences de votre héroïne : augmenter sa santé, le temps d'utilisation de sa gravité, la vitesse de sa recharge (vous ne mourrez jamais à cause d'une recharge lente, de toutes façons) et autres attaques variées.
Attaques, oui, vous avez bien lu. Car les missions principales, peu nombreuses vous mèneront à vous battre. En libre accès depuis la ville, dont vous pouvez créer un repère sur la map (au tactile), les missions « story », nous amèneront à combattre les méchants Névis.
Ces ennemis de masse visqueuse noire et impalpable ont un énorme point faible en forme de boule rouge qu'il faudra taper en martelant le bouton carré. Il n'y a qu'un bouton d'attaque : carré. Vous spammez au sol, et Kat enchainera quelques combos. Mais les ennemis réagissent souvent grâce à des attaques à distance (rappelant un peu les projectiles des ennemis de Nier, des boules rouges un peu quelconques) et pour esquiver ça, un petit glissé rapide sur le tactile permettra de rester indemne. Concrètement, s'amuser à tenir sa portable des deux mains pour d'un seul coup la lâcher en plein combo et y faire un glissé au tactile n'est pas des plus limpides... Le jeu n'est heureusement pas compliqué et le combat au sol ne sera certainement pas le plus utilisée. Puisque Kat joue sur la gravité et « vole », on va pouvoir s'amuser se battre à 100% dans les airs.

Même si Kat ne peut pas enchainer de combos dans les airs, se contenant d'un coup de pied puissant, ce sera pourtant la posture la plus efficace au combat et la plus logique vis à vis du titre. Sauf que quand les missions vous imposeront plein d'ennemis aériens, vous en aurez plein la tête et votre fameux sens de l'orientation en prendra un sacré coup. Entre les ennemis attaquant hors de votre vue et ceux qui effectuent un léger décalage ruinant vos attaques rectilignes (souvenez-vous, Kat ne se déplace qu'en ligne droite), votre plaisir de jeu ne sera pas réellement présent. Parce que Kat n'a aucune possibilité de fluidifier ses mouvements (ou au moins ses attaques) aériens, vous allez passer votre temps à aller d'un point à un autre en plein combat.
Et pas de chance, 90% des missions principales se contentent de combats entrecoupés de quelques vagues exploration en ligne droite... Là où on attendait un jeu misant beaucoup sur l'exploration : des mondes variés, des levels-designs étranges, labyrinthiques, jouant sur nos sens, on se retrouve finalement avec un jeu très classique dans sa conception : éliminer des ennemis par zones.
Certes, vous êtes libres de vos mouvements, c'est original de flotter la tête en bas mais si c'est pour juste enchainer des ennemis, c'est plutôt du gâchis. Des ennemis sans cesse en mouvement, avec des boss assez gros mais dont vous passerez votre temps à taper là, là ou là pour ensuite limiter son exploration à aller là, là ou là marqué sur l'écran. C'est vraiment dommage de s'être contenté d'un schéma de jeu aussi simpliste. Du coup, passé le plaisir de se balader dans la ville ou de découvrir quelques mondes un peu différents (pas trop non plus), Gravity Rush n'impressionne et ne se renouvèle pas du tout, se payant le luxe d'être répétitif malgré son concept renversant.

Cat-aracte

Un concept original et surtout audacieux mis en valeur par une modélisation d'une grande ville riche en relief utilisé comme vulgaire jeu d'action lambda... Heureusement Gravity Rush a pour lui un background onirique où le joueur cultive sa curiosité au fil des chapitres et des dialogues entamés. Il est en effet possible de parler avec une pincée d'habitants et vous y apprenez des bribes d'informations. Une ville bâtie autour d'un pilier gigantesque qui surplombe l'infini, le néant, appelé aussi « tourbillon gravitationnel », tel est le décors principal du jeu. Kat, amnésique, apprendra avec le joueur à comprendre où elle est et éventuellement qui elle est. Ses pouvoirs lui permettront d'aider les gens qui subissent de plus en plus l'attaque de Névis ainsi que des tempêtes de gravité. Le flou entour cette ville bucolique. Une ville au design légèrement crayonnée et surtout très colorée. D'inspiration un peu européenne, ces architectures (on parle de beffroi, de trains, de vieux métros) de pierre où se mêle aussi une technologie streampunk s'enchevêtrent les uns aux autres dans les airs où le ciel d'un jaune, vert ou rose pur éclaire ce paysage morose. On pourrait comparer cet univers visuel à du Ghibli, un petit peu comme le Château dans le Ciel par exemple, le ton y est identique malgré un trait assez éloigné de l'animation japonaise. On y voit un mélange de cultures : une héroïne très japonisante : grands yeux rouges, petite frimousse et épaule rehaussée craquante, chevelure blonde sur teint mat et enfin costume légèrement dénudé et improbable ; mais un trait légèrement tremblotant rappelant le naturel de la main. Les cut-scenes, rarement animées, sont surtout présentées sous forme de bande dessinée interactive où l'on fait défiler les vignettes au doigté.
Le visuel a ainsi un cachet unique où se mêle de multiples sources d'inspirations, renforcé par la présence de musiques très hétéroclites : parfois douces et mélancoliques, parfois rythmés tel un théâtre de boulevard français, parfois la tonalité y sera militaire, selon le décors et les circonstances. Ce pot-pourri pourrait paraître incohérent mais finalement, l'ensemble se marie assez bien où la ville y est séparée en quatre quartiers différents. En revanche, même si l'ensemble graphico-musical est très attachant telle son héroïne innocente adepte de liberté parlant une langue inconnue (un peu comme Ico), il est difficile d'y voir un sens.

Gravity Rush a donc son cachet graphique très attachant techniquement bien optimisé. Pour afficher une grande profondeur de champs lié à la grandeur de la ville, les contours de l'arrière plan n'y sont seulement crayonnées. Plus on avance, plus les couleurs apparaissent, puis les textures finales s'affichent. Ça empêche le clipping moche des anciennes générations de console et permet d'assumer le style graphique au trait légèrement incertain.
Mais l'histoire peine à se montrer convaincante. Le background du titre manque cruellement de précisions et pose plus de questions auxquelles il n'y répond. Quel est ce monde ? Qui est Kat ? Pourquoi on est la seule (ou presque) à inverser la gravité ? Sont des simples questions qui ne trouveront aucune réponse. L'idée semble surtout de nous plonger dans un monde onirique, fictive et impalpable, impossible à saisir. Ce qui est légèrement gênant dans la mesure où on sent et on sait que l'histoire ne finit pas (surtout en voyant cette fin abrupte et mal narrée tel un jeu de seconde zone) au bout des petites 6H de jeu (hors défis). Bien sûr, le scénario tente de donner des pistes et on ne se permettra pas de spoiler ici mais le fait est que ce background est bien énigmatique malgré un plot principal assez terre à terre. Ce qui laisse supposer deux choses : soit Gravity Rush n'est pas très abouti et a été « rushé » sans mauvais jeu de mot. Soit, et c'est plus probable, Sony compte bien exploiter la licence avec des suites comme l'a évoqué le réalisateur, Toyama. Mais d'une manière ou d'une autre, Gravity Rush laisse un goût d'inachevé et de manque d'ambition. Comme si que l'élaboration du concept principal avait ponctionné toute la créativité de l'équipe de développement.

Gravity Rush pose les bases d'un gameplay audacieux et surtout original, ainsi qu'un background bien mystérieux mais attachant par son explosion de couleurs mélancoliques et son architecture en suspension, ainsi que par son héroïne un peu naïve accompagnée de son chat tout aussi spécial.
Malheureusement, avec des couacs de caméra ici et là, mais surtout un schéma de jeu aux missions répétitives à la baston linéaire, Gravity Rush ne fait pas rêver pad en main, il ne lâche pas de plaisir qu'aurait dû inciter ce 360 degrés et n'invite pas au « rêve » comme semble vouloir nous interpeller le scénario... Nous sommes en présence d'une originalité formelle, de part son ludisme et son univers visuel et sonore, mais au fond de jeu mille fois vus et sans ambition... C'est vraiment dommage en l'état et on peut espérer que tout cela sera approfondi dans une suite.
Possesseurs de PS Vita, vous vous retrouverez tout de même en face d'un jeu original pour votre console muni d'un certain attachement. Mais vous ne serez pas en face de la grosse claque qu'il aurait pu être.

14/20

(Re)lire l'article, mis en page sur PG Birganj : en Une ou archivé dans la rubrique "Critiques".

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Note : J'espère sincèrement que Sony ne va pas saloper le boulot et bien engager une suite... Pour ainsi affiner le gameplay car y a du potentiel là dedans !