Pillars of Eternity était un des jeux les plus attendus de l'année pour plusieurs raisons. Pas parce que la presse a relayé en masse une bonne com' à coup de millions. Non, non, ça n'a pas eu lieu. Parce qu'avant d'être détrôné par Torment 2, Pillars of Eternity détenait le record de donations sur Kickstarter : 3 986 929 de dollars reçus de 77 000 internautes. Rien que ça, c'est une bonne indication sur l'attente qu'a générée le titre. Ensuite, parce que c'est un jeu développé par Obsidian. Obsidian, malgré ses jeux buggés et cette situation chronique d'être considéré comme le cousin de Bioware, est le seul studio de développement indépendant à proposer de réelles réflexions sur l'évolution du RPG occidental sans se trahir par une simplification orientée action/beat'em all. Enfin, parce qu’il réutilise le célèbre moteur Infinity Engine créé pour Baldur's Gate. Pillars of Eternity voulant reprendre les mécaniques du début des années fin 90-2000. Il y a juste un petit problème quand on joue avec la nostalgie des gens, il y a de grandes chances de les décevoir. Voyons comment s'en sort Pillars of Eternity, le « Baldur's de 2015 ».

Un peu de rétro…
Pas besoin de tergiverser, nous sommes dans un Baldur's-like ou Icewind-like. Le cœur du game design est identique aux jeux d'époque. Vous créez votre personnage de A à Z, de son nom, son background, sa race, et surtout sa classe et ses capacités qui ne bougeront pas au fil de l'aventure. Le joueur a total liberté dans les nombreuses classes variées et sera vite assisté par des personnages aux classes complémentaires. Le jeu se divise en quêtes principales et quêtes secondaires, ainsi que des « tâches » qui ne rapportent pas de points d'expériences mais des objets et surtout affine votre réputation. Toutes ces quêtes, on peut les classer par grande zone, ce qui correspond ici par acte. Vous êtes amené à assurer une quête principale (en deux, voir trois parties) par acte mais effectuer les quêtes secondaires en amont permet d'emmagasiner des points d'expériences plus rapidement et ainsi avancer plus tranquillement. Contrairement aux RPG orientaux, c'est la résolution des quêtes qui offrent l'essentiel des points d'expérience et non le spam d'ennemis. Ici, de spam il n'y en a point, vous pouvez nettoyer vos maps sans problème si vous le souhaitez. Ces quêtes sont concentrées généralement sur une ville et les secondaires gravitent autour des zones sauvages (les bois dans 90% du temps) accessibles d'un clic sur une map monde après les avoir découvertes (donc après avoir nettoyé la map précédente).
Chaque quête est écrite de façon à poser un dilemme moral et sa résolution entraînera des conséquences visibles (par exemple, revanche d'un clan adverse, attaque du commanditaire ou même suicide) et/ou invisibles (vos points d'alignement qui au trois quarts du jeu vous forgeront une réputation et entraînera de nouvelles lignes de dialogue – ainsi que quelques acclamation des habitants – ces mêmes points d'alignement influenceront aussi la fin du jeu). On ne contrôle pas sa réputation, comme un Mass Effect et ses réponses « bleues » et « rouges », afin de donner les clés au rôliste qu'est le joueur, sans jugement.

Autrement dit, jouer à Pillars of Eternity, c'est avant tout une mécanique très bien huilée : découverte d'une ville > Pnj donnent quêtes et annexes > quêtes annexes pour amasser points d'exp > quête principale les doigts dans le nez > découverte d'une nouvelle zone. C'est une mécanique très prévisible et ne chamboulera pas les anciens. En revanche, elle peut déconcerter les nouveaux venus par la rigidité de sa mise en forme. Car si ce schéma de jeu est encore très largement utilisé aujourd'hui, la mise en forme plus dynamique et la souplesse de la difficulté des jeux d'aujourd'hui le rendent moins redondant qu'un Baldur's-like.

Le moteur Infinity est donc là tel quel en 2015. En 3D isométrique mais mappé de décors 2D, avec les mêmes curseurs, les mêmes animations de déplacement, clic par clic dans des espaces qui apparaissent à chaque mètre carré découvert. Le même système de dialogues par gros pavés de textes à choix multiple. Le même statisme des lieux qui ne bouge pas d'un iota, les mêmes PNJ qui restent bloqués au même emplacement à quelques rares personnages inutiles se déplaçant en rond dans les grands espaces. Les mêmes temps de chargement entre chaque nouveau décors (pas bien lourds certes, le hardware de 2015 est plus avancé qu'en 2000). On est littéralement de retour quinze ans en arrière. Quand Bioware tentait de renouveler sans cesse le système avec Neverwinter Nights, Kotor, puis Dragon Age : Origins, c'est bien parce qu'ils avaient compris que la rigidité des séquences narratives, du statisme des décors, des petits bonshommes automates en guise de personnages 3D finissaient par ne plus correspondre au potentiel technique des jeux de rôle. Enchaîner différemment les quêtes par exemple avec plus de souplesse, moins de prévisibilité, ne pas se contenter de petites zones en guise d'espace jouable à nettoyer nonchalamment (rappelons tout de même que Bioware a abandonné ses expérimentations passées pour du conventionnel comme Dragon Age : Inquisition). Obsidian avait été plus loin puisqu'il s'est affranchi de ces mécaniques pour proposer autre chose, Alpha Protocol ou Fallout New Vegas par exemple, voir même South Park. Jusqu'à aujourd'hui. Certes, l'ambition n'est pas de nous gaver d'Infinity Engine, l'idée est de proposer un moment nostalgie.
Mais aujourd'hui, qui plus est avec un nouveau titre, ce schéma rigide est dépassé. Un peu comme un jeu de gestion, vous allez très vite aller au point de destination boucler votre quête, soit par la parlotte en fonction de vos statistiques (intelligence, force, détermination, etc ; voir de temps en temps en fonction de vos capacités comme Survie, Mécanique, Athlétisme, etc), soit en vous battant. Puis revenir sur vos pas, boucler votre affaire et récupérer votre récompense. C'est machinal et même si les puristes estiment qu'on n'a pas besoin de graphismes trop poussés ou autre, force est de constater que ces décors 2D tous plats, ces pavés de texte et ces deux-trois animations répétés en boucle ne font que sauter le concept dirigiste en pleine figure. Dirigiste, oui, oui. Certes, on pourra arguer que vous n'êtes pas obligé de boucler vos quêtes annexes mais de toutes façons, à aucun moment il y a une raison de ne pas les faire. Comme par exemple, si je fais telle quête, il va se passer ci ou ça ou si je fais pas la quête principale avant la durée impartie, il y aura des conséquences de scénario et gameplay, etc. Non. C’est simple : faites vos quêtes annexes, vous serez plus fort pour la quête principale. Quant à la résolution de celles ci qui seraient supposément « libres », c'est à dire les boucler pacifiquement ou bourrin ou avoir deux choix de dialogues différents qui amènent à la même résolution, on ne peut pas dire que ce soit varié… Surtout quand leurs conséquences sont majoritairement faibles. Vous ne chamboulez pas du tout la vie de votre environnement, si ce n'est dicté par le scénario. A quelques rares exceptions près, le joueur ne voit pas beaucoup de conséquences à ses choix. Sauf dans l'Acte II ou trois clans s'affrontent et il faudra avoir les faveurs de l'un. Mais étant donné que quelque soit le clan que vous choisissez, l'issue est la même, on s'en fiche, sauf pour votre plaisir personnel de rôliste. Mécaniquement, il n'y a aucune liberté dans Pillars of Eternity, parce que même si vous décidez de foncer tête baissée dans n'importe quelle direction, le niveau des ennemis viendra vous ramener à votre place. Logique. De plus, il n'y a pas trente six directions dans Pillars of Eternity, la petite map imposant un cheminement linéaire.

Si les nostalgiques de Baldur's Gate ne verront aucun inconvénient à cette problématique de mécanique désuète, leur principal souci viendra sûrement de cette petite map monde composé d'un village et deux villes, soit trois actes principaux (le quatrième étant le donjon de fin). Ça manque d'épique, d'envolée fantasy. Mais pour relativiser, Obsidian a dessiné une carte plus grande et un add-on divisé en deux parties viendra compléter le jeu de base.

On se retrouve donc avec un jeu très rigide, enfermé dans son moteur finalement très limité pour le jeu vidéo d'aujourd'hui. Et c'est ce que beaucoup de joueurs vont retenir. Maintenant, c'est délicat de juger dans l'absolu, puisque le projet se revendique dès le départ comme un Baldur's-like pour les nostalgiques de cette époque. La cible principale sera donc heureuse de cliquer à tout va. Mais il ne nous empêche pas de constater qu'ils ne vont pas récupérer beaucoup de nouveaux clients à cause d'une mécanique, dans le fond encore d'actualité, mais dans la forme pesant son âge. Et même si « les graphismes ne font pas tout », les animations, les enchaînements de zones, les variations de décors, calculer des conséquences variées, dynamiser la réception des quêtes, font beaucoup à l'évolution d'un game design.

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