Succès de niche en Occident, la série Danganronpa continue d'être distribuée sur nos terres avec le deuxième épisode sorti initialement en 2012 sur les PSP japonaises. Toujours sur Vita sur lequel il est porté, le « visual-novel jeu d'enquête » mettant en branle le système d'éducation japonaise et de l'absence de futur rayonnant de sa société revient pour nous faire goûter encore plus de « désespoir ». Vous devez obligatoirement avoir joué au premier épisode sous peine d'être largué et de vous ennuyer. Si vous avez terminé le premier épisode, il n'y a pas grand-chose à dire de plus concernant le principe du titre. Mais il est nécessaire d'expliquer pourquoi cette suite n'est pas très indispensable…

Plus dur, plus vicieux

Avant d'attaquer le cœur d'un tel jeu, c'est à dire le scénario, parlons du gameplay. En plus de faire défiler des tonnes de dialogues pour faire avancer l'histoire, Danganronpa vous demandera de résoudre des affaires de meurtre. Comme pour le premier épisode, la phase de jeu est découpée en deux : récolte d'indices à cliquer sur tous les éléments interactifs de chaque tableau 2D (possibilité d'encercler les zones en question par pression de la touche triangle). Si le joueur a oublié un élément, le jeu vous empêchera de quitter la zone pour finir la fouille. Plus important, la deuxième partie étant le moment où il faut découvrir l'identité du tueur. Pour ça, les personnages s'échangent leurs réflexions, pas à pas, pour établir ce qu'il s'est passé. Lors de ces séquences, le texte défile tout en mobilité prenant la largeur et hauteur de l'écran pour donner un coup de stress et capter toute l'attention du joueur sous pression (enfin supposément sous pression car le temps limite est large et même si vous vous trompez, vous reprenez la séquence là où vous avez terminé). Il faut contredire les propos de l'individu en choisissant le bon indice récolté (bullet truth) et la caser sur le bon élément de la phrase défilante. Maintenant, dans le deuxième épisode, on peut aussi utiliser une bullet truth pour non pas contredire un propos (de couleur orange) mais le confirmer et sera de couleur bleue. Évidement, plus on avance, plus les phrases de couleur orange (contradictions), mauves (parasites) et bleues (corroborations) se confondront. Le premier épisode avait aussi des petits défis pour dynamiser le gameplay : un jeu du pendu pour donner une réponse et un duel d'arguments qui était un jeu de rythme.

Les choses se sont un peu corsées. Le jeu du pendu devient plus difficile car il faut maintenant déblayer l'écran des mauvaises lettres en plus de choisir les bons. En effet, des lettres se baladent en scrollant à la verticale ou l'horizontale, quand deux lettres identiques se rencontrent, la lettre peut être sélectionnée pour le jeu du pendu, ou être éliminée de l'écran. En revanche, quand deux lettres différentes se percutent, le joueur perd de la vie. Étant donné que le jeu est en anglais et que le vocabulaire est un peu plus riche que les jeux vidéo habituels, ce mini-jeu sera un peu plus difficile et plus stressant à cause de l'augmentation des manipulations. Les duels d'arguments ont été grandement modifiés. Ils sont divisés en deux désormais. Les duels où il faudra avec l'écran tactile (plus précis pour cet exercice que les boutons) découper les arguments illustrés par du texte défilant (comme un Fruit Ninja). Mais en plus de ça, il faudra envoyer le bon contre argument via une bullet truth au bon moment. Ce mini exercice est le plus difficile du jeu car il demande à la fois de lire le texte qui va très vite, tout en essayant de le découpant en posant son doigt dessus… De plus, les coups sont limités et il faudra apprendre la patience pour découper deux ou trois arguments (textes de ligne donc) d'un seul coup. Plus on avancera, plus il sera difficile de nettoyer l'écran et plus on avancera plus il sera compliqué de choisir la bonne « bullet truth ». Le premier épisode était effectivement très facile car il y avait une pré-sélection de réponses à donner. Même si c'est toujours le cas, le jeu vous donne un choix bien plus large de contre-arguments, ce qui dans la confusion des exercices de lecture renforce la difficulté du jeu. Un autre duel d'arguments est aussi disponible reprenant celui du premier épisode via son jeu de rythme, ce dernier étant bien plus rapide que le premier épisode, donc plus pénible. Enfin, il y a un nouveau mini-jeu au travers d'une sorte de jeu de surf futuriste où il faudra éviter des obstacles ou sauter des espaces vides tout en répondant à un maximum de trois questions de type QCM. Le joueur donne la réponse en choisissant le bon chemin sur son surf virtuel. Les mini-jeux sont toujours autant hors sujet avec le genre mais on n'est plus surpris. Le fait est qu'au lieu de passer sont temps à cliquer sur croix pour défiler du texte, on joue, on s'exerce à lire très vite et à réfléchir vite. Et pour en profiter, il faut de bonnes enquêtes.

Les meurtres de cette suite sont largement plus alambiqués et invraisemblables que le premier épisode. On a un mélange de plans foireux, chanceux, opportunistes et d'armes du crime tellement originales qui mettrait en échec Columbo. Mais surtout, toute l'écriture des chapitres, des enquêtes sont faites pour pointer du doigt un protagoniste évident pour finir irrévocablement par un twist invraisemblable nous amenant à un autre tueur. Ce schéma répétitif devient presque parodique tellement rien ne semble crédible. Ces enquêtes rendent ainsi le jeu un plus difficile puisqu'il arrivera plus d'une fois se demander vers quelle direction on se dirige (l'enquête du chapitre 4 est de ce point de vue la plus absurde). Vous ne prendrez pas beaucoup de plaisir à enquêter sur ces meurtres à cause du quinzième degré de l'histoire et à cause du schéma scénaristique répétitif. En sachant pertinemment que les indices récoltées ne font que semer la zizanie, le joueur devient immunisé au faux suspens des scénaristes. Pour justifier cette absurdité, ces meurtres à coup de brochette de viande ou de hamsters (ouais ouais), les scénaristes s'en remettent au principe de la farce et de la mise en abîme.

Le jeu dans le jeu

Dès le début du jeu, le joueur comprend qu'il va revivre à l'identique les événements du premier épisode malgré le décors différent (un complexe de cinq îles). En effet, nous jouons au travers des yeux de Hajime, un jeune étudiant idolâtrant la Hope's Peak Academy fraîchement accepté parmi l'élite de la nation japonaise. Au moment de franchir les portes de sa nouvelle école, il s'évanouit. Si ça vous rappelle la première histoire, c'est normal. La seule différence c'est qu'à son réveil, Hajime découvre avec quinze autres étudiants qu'ils sont en voyage scolaire organisé par leur « prof » Usami. Une lapine blanche et rose reprenant le style de l'antagoniste Monokumi en bienveillant. Évidement, le nounours machiavélique arrive, met une tannée au lapin et prend le contrôle du voyage scolaire. Ce qui devait être le moment idéal pour apprendre à se connaître en récoltant des « fragments d'espoir » (en passant son temps libre à discuter avec ses potes – élément de gameplay du premier et donc du deuxième épisode par intermittence) finit en jeu de massacre. Monokuma pousse nos étudiants à s'entretuer puisque celui qui assassine sans se faire prendre peut sortir de l'île. Très très rapidement, le joueur comprend que non seulement il rejoue au même jeu, mais l'allure des personnages ressemblent beaucoup au premier (on a les deux sportives, on a le rebelle gangster, on a le petit gros pervers, on a la chanteuse, la geek, etc). L'ordre des meurtres ressemble aussi vite au premier épisode, chose qui sera confirmée au fil des chapitres. Le sentiment de déjà vu est poussé au maximum en renforçant les bris du quatrième mur par l'ours Monokuma. Ce dernier est avec le joueur le seul à avoir connu les deux épisodes, l'ours se permet ainsi un nombre incalculables de blagues complices avec le joueur au travers de lignes dialogues cruellement cyniques. Il reprend aussi le langage des jeux vidéo et des mangas, en lançant des météores de pégase au lapin Usami, ou mimant Hokuto no Ken… Bref, pas besoin de se spoiler, le jeu nous rappelle très vite en gros caractère que nous jouons à un jeu vidéo. Cette astuce scénaristique (dont l'exemple le plus connu est Metal Gear Solid 2) permet franchement de ne pas se mouiller et de masquer des lacunes d'écriture par un humour et un décalage très accentué. Si le premier épisode était très angoissant car rythmé pour casser le moral du joueur (qui sympathisait avec les personnages avant de les voir découper en morceaux) et distillait petit à petit des révélations via ses « motivations » pour lancer les tueries, le deuxième est très léger.

Le fait de jouer dans un décors aussi dépareillé n'aide pas à prendre le jeu au sérieux (chaque île a un univers bien distinct très stéréotypé) mais surtout les « motivations » de Monokuma ne servent plus à épaissir le scénario et donc intriguer le joueur mais elles servent juste à maltraiter les personnages gratuitement. Il faut en effet attendre le sixième et dernier chapitre pour que l'histoire se révèle enfin ! A part ça, vous avez juste des scènes complètement absurdes, décalées qui mènent au meurtre, d'une façon d'ailleurs tirée par les cheveux. Attendre donc la fin du jeu pour apprendre tout d'un coup est très dommageable et témoigne d'une faiblesse d'écriture très handicapant pour un jeu si verbeux… On pourra cacher ça avec des vannes par paquet de douze, le joueur n'a pas d'indices sur quoi que ce soit le long de l'aventure. Les développeurs se sont d'ailleurs amusés à se moquer des clichés « fan service » des jeux vidéo soit au travers de remarques désobligeantes, soit au travers de leurs multiples fausses pistes (notamment le personnage « Ultimate Lucky » qui fait référence au héros du premier) et le retour de certains personnages. Choisir la voie de l'ironie permet ainsi de sauver la face mais empêche un univers sur le fond, comme toujours intéressant, de prendre vie. Dès que le joueur s'intéresse aux personnages secondaires par l'intermédiaire des séquences de jeu « temps libres », il peut en apprendre plus sur eux au travers des dialogues. On remarquera que les personnages ont curieusement un passé assez difficile avec beaucoup de manques ou de maltraitance (contrairement au premier épisode où on mettait en exergue les formidables capacités des personnages par dessus leurs quelques regrets). La chose est expliquée avec le scénario, plus sombre que l'original en vérité mais qui hélas à cause du manque total de sérieux de la mise en forme décrédibilise entièrement le background de ces personnages brisés. Le fond sur la critique de l'évolution de la société japonaise était pourtant bien là mais elle a du mal à trouver de la crédibilité quand on la traite avec des histoires de science-fiction casse gueule et d'humour meta.

Toujours accrocheur car dynamique dans ses phases de jeu avec sa musique entraînante, Danganronpa 2 hélas se fatigue déjà en jouant la carte de l'auto-dérision pour justifier un copié-collé et des invraisemblables situations. Ça a beau être justifié par le scénario, on sent trop de facilité dans cette écriture qui ne devient réellement intéressante qu'en fin de jeu, tout en ayant l'impression de passer à côté de quelque chose de plus angoissant.

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