Article écrit et publié il y a une semaine sur Birganj. Cette semaine, vous pouvez aller lire notre critique d'Alien : Isolation.

Suite au succès de la campagne de financement de Tim Schafer pour son Broken Age, diverses anciennes gloires du jeu vidéo essaient de revenir dans la course. Devant l'abandon chronique des vieilles recettes de RPG à texte et intelligence de gestion, le petit studio InXile mené par Brian Fargo se lancent dans la suite de Wasteland, un vieux RPG de 1988 qui a posé les bases de Fallout. Cette licence étant aux mains de Bethesda, l'équipe de Fargo revient donc à ses premières sources. Avec Obsidian qui travaille sur Pillars of Eternity, Wasteland 2 était probablement la plus grosse attente des projets Kickstarter. Près de 30 mois après le début de son financement, le retour du RPG « old school » est arrivé.

Dans l'apocalypse, il y a les méchants et les méchants très méchants

En 2102, le monde est toujours dans un état délabré suite à la guerre nucléaire des ancêtres. Les Rangers, les héritiers auto-proclamés des forces de l'ordre se sont reconstruits suite à leur victoire contre Cochise, l'IA maléfique du premier épisode. Les héros d'hier sont devenus les mentors d'aujourd'hui. Le Général Vargas a passé des années à solidifier la nouvelle base des Rangers, fortifiée et lourdement armée. Mais toutes ces années de précaution leur ont fait perdre de la respectabilité et du terrain face aux gangs et milices dans l'Arizona. Quand un de ses meilleurs éléments, Ace, se fait assassiné, Vargas envoie ses rookies, personnages créés par le joueur pour mener l'enquête. Le joueur va ainsi découvrir la vie post-apocalyptique en aidant les personnes dans le besoin, tout en enquêtant sur cette nouvelle menace qui s'en prend aux Rangers.

Si vous n'êtes pas très au fait des attentes du jeu, il faut surtout ne pas faire l'erreur de se croire dans un Fallout-like. Wasteland a beau avoir posé des bases pour cette série, elle n'en a pourtant pas sa richesse, sa noirceur et sa liberté de ton. Wasteland 2 est ici un jeu RPG très classique avec sa quête principale qui prend 90 % du jeu imposant au joueur la résolution de quêtes secondaire sur son chemin et des quêtes annexes plus ou moins travaillées prenant le reste. Il n'y a qu'une ligne scénaristique possible, vos personnages n'ont aucune personnalité, pas de background, bref vous êtes dans un RPG classique où les héros sont interchangeables. Wasteland a un background relativement varié où différents univers ou thématiques sont traités, basés souvent sur des dilemmes. La première mission du joueur consistera à sauver soit la ville qui s'occupe d'approvisionner la population en produits agricoles, soit celle d'approvisionner l'eau. Plus tard, vous apprendrez à résoudre une querelle de clans indiens s'occupant des voies ferrés du pays : l'un étant ingénieur quand l'autre étant plutôt conducteur, bref l'employeur et l'employé, vous croiserez des fanatiques religieux tuant au nom de Dieu, etc. Bref un aperçu des stéréotypes des univers post-apocalypses où les croyances sont absurdes, les hypocrites sont légion etc etc. Vous ne serez jamais surpris dans le jeu. Vous sourirez de temps à autre pour quelques dialogues légers et drôles bourrés de références de pop-culture ou par des comportements loufoques ou par des mensonges grossiers. Le système de dialogue est très simple où des boutons comprenant les mots-clés des laïus permettent d'en apprendre plus, voir de débloquer certains dialogues cruciaux. Certains se déverrouillent seulement sous certaines conditions, comme avoir de bonnes stats en langage « futé », « dur » ou « mielleux », c'est plutôt intéressant, même si on voit beaucoup de copiés-collés dans les discussions notamment pour en savoir plus sur telle personne ou tel lieu. Bref, vous lirez beaucoup dans Wasteland, même si ce ne sera pas toujours très intéressant pour cause de stéréotypes flagrant et de répétitivité.

Le cœur du scénario est lui même assez nanardesque, propre aux clichés des « suites » des années 80-90… Vous terminerez le jeu sans réelle satisfaction tant l'histoire est classique, sans rebondissement, sans grande élaboration, sans grande subtilité. Bref, les Rangers contre un gros méchant rancunier avec entre deux, des personnes et communautés sans cesse sur le fil de moralité, vous ne serez pas surpris.

Dans « old school » il y a « old »

Wasteland reprend les mécaniques de gameplay à l'ancienne qui nécessitent au joueur de savoir équilibrer son équipe dans son élaboration : de bonnes stats en intelligence pour favoriser le gain d'expérience, charisme non pas hélas pour débloquer des dialogues (comme Torment) mais pour augmenter le leadership, force, vitesse, coordination pour augmenter les points d'action en plein combat, etc. Bref, avoir la tchatche et savoir se bastonner. Vous aurez ensuite des compétences à augmenter au fil de l'expérience gagnée pour réussir à couvrir un maximum d'aptitudes, tout en sachant que vous aurez obligatoirement des manques car vous ne pouvez tout apprendre. Il faudra alors recruter de nouveaux Rangers au fil de l'aventure pour ainsi former un groupe de 6 personnages maximum, le reste vous attendant à la base. Le jeu a un bon équilibre entre parlotte et combats. Si certains lieux peuvent se boucler sans se battre sans arrêt (la ville des indiens par exemple et Hollywood), d'autres seront remplis d'ennemis. Vous pourrez aussi choisir de faire ami-ami avec les milices, voir même jouer sur tous les tableaux pour arriver à votre fin. Hélas, jouer à ce double-jeu peut vous amener à une pelleté de bugs injustes. La plus grosse majorité d'incohérences intervient dans la deuxième partie du jeu, à Los Angeles où le jeu ne prendra pas en compte tous vos choix. Par exemple, si vous avez anticipé la revanche d'un personnage à venir en l'éliminant avant (preuve du scénario prévisible), le jeu ne le prendra pas en compte et lancera la mission comme si le personnage était vivant. Lorsque vous allez vérifier cette mission fantôme, l'ennemi est effectivement mort mais le jeu considère que vous l'avez éliminé pendant la mission, entraînant alors des dommages collatéraux imaginaires et vous empêchant de boucler des missions secondaires liés. Vous verrez à la fin du jeu que vos choix et réussites n'auront pas été pris en compte… Très frustrant, bien que cela ne vous apportera rien de plus qu'un écran fixe en fin de partie.

Le jeu a une rigidité très handicapante dans l'accès aux missions. Quand vous bouclez une mission, les autres missions qui y sont liées peuvent être effacées (exemple : vous sauvez le Maire d'une ville, il vous reprochera de ne pas avoir soigner la population alors que vous aviez juste prévu de le faire après)… Quand vous parlez à un personnage, certains dialogues se déclenchent une seule et unique fois à ne pas rater. Hélas, si vous êtes du genre à jouer prudemment à conserver des points de compétence en rab pour les allouer au bon moment au bon endroit, vous serez alors pris au dépourvu plus d'une fois à cause de ces cas uniques. Wasteland 2 est un jeu où l’échec est monnaie courante : ouvrir un coffre va demander à la fois de désamorcer la bombe liée et crocheter la serrure, tous deux ayant une forte probabilité d’échec cuisant selon votre niveau. Vous serez ainsi amené à spammer votre sauvegarde/chargement rapide sans cesse (inutile d'essayer de la jouer hardcore avec une seule sauvegarde, ça ne vous apportera rien, ce sera injustement difficile ou passerait à côté d'une tonne de choses – ce qui rend caduque les promesses des développeurs sur les les parties dynamiques). Ce qui n'est pas une mauvaise chose en soit, mais témoigne d'un très mauvais équilibrage et d'une fluidité inexistante. Si le joueur est avide de roleplay, assumant ses choix, il peut oublier Wasteland 2, il n'y a aucun choix influent, scénaristique ou sur l’univers du jeu. Le but sera de boucler un maximum de quêtes pour essayer d'aider un maximum de personnes et pour ça, le joueur est amené à éviter des scripts incohérents ou des probabilités d'échecs trop élevés. Parfois des bugs trop importants empêchent de boucler certaines missions… (exemple : pour une mission A, vous avez besoin d'un microscope, vous le récupérez à l'endroit B et vous bouclez votre mission A. Problème, il s'avère que vous en aviez besoin pour une mission à l'endroit B… ben il est impossible d'aller le rechercher – mission bloquée de manière injuste). Jouer à Wasteland, c'est apprendre à avancer à tâtons et contre une rigidité d'un autre âge.

Cétropinjuste

Wasteland 2 a droit à un système de combat au tour à tour lui aussi classique mais tout de même avec un jeu plus ou moins intéressant sur la précision des armes à feu. Un principe qu'avait déjà utilisé le bon Shadowrun Returns. Les rencontres peuvent être provoquées en tirant le premier sur l'ennemi mais la plupart du temps, vous serez repérés avant. S'ensuit un combat sur une grille où chaque déplacement vaudra une perte de point d'action et surtout où chaque tir est calculé par un pourcentage de réussite (tout comme chaque action contextuelle comme crocheter une serrure, détruire un mur, ouvrir un coffre fort, pirater, etc). La distance idéale étant différente en fonction de l'arme, le joueur sera donc amené à trouver sa position idéale pour maximiser ses chances de réussite. Néanmoins, beaucoup de tirs manqués vous feront vous arracher les cheveux, tout comme les chances de voir son arme s'enrayer anormalement hauts. Pour beaucoup, vous verrez que malgré des grandes chances d'action réussite indiquées au compteur, les échecs seront importants. Wasteland fait aussi parti de ces RPGs plus difficiles au début qu'en fin de jeu car justement plus vous engrangez d'expérience dans votre maniement des armes, plus votre taux de réussite sera proche du 100 %. Même si l'utilisation du décors aurait pu être largement plus poussé, il est possible et même indiqué de se planquer contre des caisses pour augmenter de 50 % ses chances d'esquives et de 20 % vos chances de tir réussis. Dans de trop rares cas, vous pourrez aussi surplomber l'ennemi en montant sur une plate-forme facilitant le tir au pigeon. Poussant la logique du « try again », certains combats trop difficiles (car trop nombreux) peuvent aussi se préparer en plaçant ses personnages, un par un, en amont de façon à prendre le groupe d'ennemi en tenaille par exemple. Parceque le jeu étant résolument old school avec un pathfinding rigide, vous pourrez vous amuser à bloquer le passage à une porte pour canarder les ennemis un à un évitant des tours de jeu douloureux. Plutôt sympa et un semblant tactique même si pour y arriver, ce sera la croix et la bannière à cause de bugs de collision ou de la bonne vue des ennemis. Si vous êtes attaqués par des animaux, la compétence non létale pour converser avec ceux-ci vous permettra d'éliminer quelques ennemis sans les combattre (autrement, ça sert de buff). Enfin, sur la fin, votre compétence en hacking sera élémentaire pour retourner des ennemis robotiques en alliés. Là encore une pointe de tactique très utile, bien que peu impressionnant.

On pourrait essayer de parler de la technique bien pauvre du jeu et de sa direction artistique aussi stéréotypé que son scénario à base de carcasses de voitures dans le désert ou de végétation reprenant ses droits sur les buildings, de ses musiques assez intéressantes faisant son job d'ambiance sans trop de zèle, sans audace ou de son doublage quelconque, mais on a vit compris que ce n'était pas le but du jeu. On notera quelques jolies illustrations de peinture numérique en guise de portraits de personnages, même s'ils se répètent beaucoup trop le long du jeu. Tout a été misé sur l'écriture et le gameplay, hélas pas bien audacieux, ni même aussi riche que les nostalgiques se l'étaient imaginés.

Wasteland 2 est un jeu finalement pas bien passionant à jouer. Il va rappeler par ses mécaniques terre à terre les bons côtés du game design rôdé d'antan, par sa résolution d'énigmes grâce au dialogue un sentiment d'intelligence chez le joueur… Mais au final, rien de tout ça n'est maîtrisé. Blindé de bugs, mais surtout d'une rigidité des missions nous rappelant bel et bien pourquoi on a essayé d'évoluer vers une narration plus fluide et un level-design plus ouvert (cf. Fallout New Vegas), d'une absence totale de roleplay dûe à une absence de dialogues ouverts et variés ou de conséquences immédiats de chaque décision, des incohérences de réaction de PNJ, des contradictions dans les missions, bref, tout ça est brouillon. Les intentions sont là mais on se retrouve face à un RPG vieillot et pas dans le bon sens du terme. L'absence de fluidité, de choix francs avec multiples conséquences (ça se résume généralement à « t'es avec moi ou contre moi » où les conséquences ne dépassent pas les frontières du lieu de la mission et quelques babioles gagnées en récompense), d'un game design aussi classique bien qu'une pointe de stratégie bienvenue… Rien n’impressionne là dedans, on a l’impression de jouer à un oldie. Ce qui est injuste de se plaindre de ça, puisque c'était le but avoué des développeurs. Seulement, on aurait préféré qu'on s'approche d'un oldie de grande qualité et non d'un oldie quelconque… On aurait aimé éviter les bugs d'antan aussi. On aurait aimé une traduction français complète le jour J (à l'heure actuelle, l'absence de dialogues fr peut bloquer certaines missions), on aurait aimé ne pas avoir la deuxième partie du jeu bâclée où les quêtes fedex abondent (seule la première partie était en beta)… Bref, un jeu pouvant être appréciable à jouer 50-60 heures pour son pragmatisme nostalgique jusqu'au boutisme mais à composer avec une multitude de mauvais choix, d'injustices, d’échecs étranges, de « déjà vu » bref, tout ce qui rappelle un jeu « moyen ». Un jeu que tu peux boucler en évitant de battre le boss de fin grâce à un bug, ça résume un peu le malaise.

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