Annoncé en même temps que Child of Light par Ubisoft, Soldats Inconnus, arrive deux mois après le RPG conte de fée qui nous avait laissé de marbre. Cette fois, on s'attaque à quelque chose d'un peu plus concret qu'un ersatz de Disney featuring Miyazaki : la Première Guerre Mondiale. Alors qu'il y a quelques années, les éditeurs nous pompait l'air avec des FPS sur la Seconde Guerre Mondiale à rejouer la libération des américains contre les nazis, place à une Guerre très peu exploité par les médias grand public (probablement pas assez évocateur pour le « puissant et vaillant peuple américain ») et pourtant terriblement plus déchirant : la 1ère Guerre Mondiale, où les nations européennes s'entre-tuèrent sans réelle cause, juste une lutte provoquée par des alliances politiques. Pas de bien, pas de mal dans cette guerre, que du gâchis. Ubisoft nous propose donc un cours ludique sur une Guerre qui ne doit pas être oubliée.

Simplet pour la bonne cause

Soldats Inconnus prend la forme d'un jeu de réflexion où vous dirigerez quatre personnage à différents moments de leur histoire. Un passage vous sera bloqué, il faudra avancer en activant quelques leviers, retrouver tel item pour le placer au bon endroit. Le jeu est progressif, c'est à dire qu'il est conçu pour que les mini énigmes se succèdent dans un ordre logique : récupérer l'item A vous donner accès à B et ainsi de suite jusqu'à sortir du niveau en 2D. Entre deux, pour éviter d'ennuyer le joueur (ou éviter d'écrire des énigmes un peu moins simples), vous aurez quelques séquences de jeu où vous devrez éviter les obus en scrollant de droite à gauche comme un classique jeu des 80's, ainsi que de battre quelques boss en lançant des bâtons de dynamite sur leurs points faibles. La jouabilité très simple, où la visée se gère au joystick droit avec une totale liberté dans le dessin de la courbe de lancée. Vous aurez aussi un mini jeu de rythme pour soigner les blessés. Le gameplay est très basique, facile, qui reposera vos neurones et vos doigts. Sa simplicité est très rarement bousculée ou renouvelée, se contentant d’enchaîner les mêmes mécaniques à trouver le bon objet au bon endroit dans sa zone de jeu restreinte. Certains passages inaccessibles vous feront envoyer votre chien où ses possibilités seront marquées à l'écran par les boutons à appuyer. Tout y est ainsi guidé. Le jeu n'est ainsi jamais passionnant tant son simplisme y est marqué. Cependant, s'il y a un jeu où l'on serait en droit de mettre de côté ce genre de gameplay basique, signature d'Ubisoft, c'est bien Soldats Inconnus.

Le jeu est bourré de fiches détaillées sur les principaux événements de la Grande Guerre et de certaines batailles-clés (Verdun, Somme, par exemple). Avec sa chronologie précise, le jeu se permet de devenir un véritable appoint aux cours d'histoire. Régulièrement, le joueur sera notifié à l'écran par l'ajout de nouvelles références historiques, concernant les dates, batailles ou événements divers (comme par exemple l'importance des colonies ayant soutenu la France, qu'on oublie souvent). S'ouvrira alors un résumé écrit illustré par une photo d'époque. Ajoutons à cela des objets-clés cachés à récupérer dans chaque niveau permettra d'apprendre différents anecdotes sur la vie d'époque (que les pelles françaises étaient aiguisées pour être plus efficaces qu'une baïonnette par exemple, que le service postal s'était organisé pour accomplir sa tâche nécessaire au maintien du moral des troupes, etc). Tout ça cumulé sur quatre chapitres d'environ 1H30 chacun, ça fait un paquet d'informations à lire. Le jeu devient alors plus un jeu éducatif qu'un jeu de divertissement ou de simple défi. Et en ce sens, son gameplay basique mais néanmoins rôdé à défaut de surprendre sied parfaitement à cette dimension pédagogique affirmée. Histoire de ne pas trop en mettre plein la tête au joueur, les fiches informatives sont consultables à tout moment et ne sont jamais imposées. C'est néanmoins la plus grande force du jeu, le seul simplisme de son gameplay étant ennuyeux à mourir.

Histoire pour tous

Reste un enrobage très appréciable. Dessiné à la main, dans un style légèrement enfantin et cartoonesque afin de ne pas taper dans la dramaturgie pesante, le jeu est très agréable à suivre des yeux par le grand nombre de décors détaillés, en intérieur comme sur le champs de bataille et reste le plus fidèle à l'histoire. Sa forme colorée au trait caricaturé aide à adoucir l'univers cruel de la Guerre, offrant l'accès au jeu au plus grand nombre. Cette approche tout public étant ici fondamentale compte tenu de la prédisposition éducative du titre. L'univers sonore est particulièrement réussi par des musiques mélancoliques bien senties censé représenter le déchirement des familles dont narre la partie fictive du titre. Mais notre côté chauvin appréciera surtout les dialogues ou plutôt exclamations françaises, quelque soit le pays où il sera joué. Le jeu n'a pas de dialogues à proprement parlé mais des expressions répétées en boucle le long du jeu : le nom des personnages, ou des mots-clés comme « merci » ou « tiens bon ! », « courage ! », « chargez ! », etc. Mais le jeu communique par bulles dessinés pour se faire comprendre au joueur. Là encore, le choix d'un langage universel tel que le dessin, favorise l'accès à tout public. Il faudra néanmoins avoir un sous-titre adéquat pour comprendre les propos du narrateur, puisque ce cours ludique est amené en douceur par une histoire fictive de personnages entrecroisés.

L'histoire n'est pas là pour donner du piment au jeu, tant elle est là encore simple mais permet de lui donner un fil directeur. Elle permet surtout d'amener intelligemment plusieurs points de vue sur la Guerre. En effet, on y lit l’histoire d'Emile, appelé au front pour la France… et de son gendre, Klaus, appelé sur le front allemand. Les deux étant rattachés respectivement à sa fille et femme, restée en France permettant au joueur de comprendre les difficultés du quotidien par correspondance. Ajoutons à cela l'américain Freddie engagé dans la Légion Étrangère après qu'un bombardement ait tué sa femme (oui bon là… cliché Ubi, on n'y échappe pas totalement) et l'infirmière belge, qui exerce son devoir de soignante aussi bien pour les français que les allemands. Les pays sont ainsi liés et identifiés par ces personnages illustrant le paradoxe de cette Guerre où les soldats se battaient sans réelle raison. Vous devez connaître tous l'anecdote de la Trêve de Noël où les troupes cessèrent le feu pour s'échanger cadeau et parties de football… Le jeu entier rappelle ainsi l'incongruité de cette Guerre devenant plus fratricide qu'autre chose, par l’intermédiaire de cette fiction où se mêle un français, un allemand, une belge et un américain (même si un britannique aurait été un choix plus judicieux vu l'implication de ces derniers dans la Guerre).

Si vous prenez Soldats Inconnus comme n'importe quel autre jeu, vous vous ennuierez par son gameplay, une fois n'est pas coutume, simpliste, linéaire, sans renouvellement et son histoire du même acabit. Mais sa dimension historique, pédagogique et rigoureuse (malgré les aspects fictifs qui peuvent partir en vrille avec un baron désigné comme « méchant de l'histoire » qui attaque au zepelin et au tank) confère au jeu une importance capitale. Apprendre en s'amusant sans se taper du Adibou ou Dora est exactement le bon résumé de Soldats Inconnus. Cet angle là a été très bien géré par Ubisoft Montpellier pour ainsi être éducatif mais pas professoral, émotionnel mais pas trop larmoyant dans sa fiction, coloré mais pas naïf pour autant dans sa forme. Un très bon équilibre qui est à saluer.

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(Re)lire l'article, mis en page sur PG Birganj : en Une ou dans la rubrique "critiques".