Critique publiée il y a plus d'une semaine sur PG Birganj. Actuellement en Une, Watch Dogs.

Wolfenstein : monument de l'histoire du jeu vidéo et symbole d'un studio en décomposition, id Software. D'un FPS nerveux bourré de second degré, nous étions passés en 2009 à un FPS couloir ridicule, avec des nazis maîtrisant la magie, rigide, froid, bref un truc qui passe au mieux inaperçu, au pire nous agace prodigieusement. Quand la licence revient, mais développé par MachineGames, les anciens hommes forts de Starbreeze, époque Riddick et The Darkness, l'espoir renaît. Mais pas trop quand même, car Bethesda veille au grain.

Troll Begins

Soyons concis, comme à chaque fois qu'un jeu n'a pas grand-chose à raconter : Wolfenstein : the New Order n'a rien de novateur. C'est un FPS narratif et dirigiste ayant pour but d'être fun sans oublier d'en mettre plein la tronche par les cut-scenes et des séquences in-games spéciales.

Quand vous lancez le jeu, vous êtes à l'assaut du célèbre château, à avancer dans des tranchés et des couloirs de pierre, tout bêtement, après s'être farci une arrivée en avion horriblement scripté nous obligeant à suivre des commandes ridicules comme « cliquer pour prendre l'objet » et « cliquer pour appuyer sur le bouton ». Ça commence très mal, c'est très ennuyeux car se prend terriblement au sérieux et bouffe le temps du joueur à attendre que les scripts d'animations se déclenche. Arrivé sur terre, le jeu est pénible car nous force à avancer dans des couloirs étroits, de terre et de pierre tellement déjà vu milles fois, on se demande ce que l'on fout là et on n'a qu'une envie : quitter le jeu.

Au moment où vous vous dites ça, tant le jeu est stéréotypé à mort, l'élément perturbateur du scénario arrive. Votre escouade tombe sous l'ennemi et le grand méchant nazi du jeu (désolé, pas de petit bonhomme à moustache) vous impose de choisir quel ami à sacrifier... Le héros, Blazkowicz est laissé pour mort et entre dans un état végétatif. Le véritable nouveau Wolfenstein débute et tel un troll, les développeurs prennent un malin plaisir à renverser les premières impressions douteuses des joueurs. The New Order est donc une uchronie où les nazis remportent la Guerre. Le monde entier a capitulé et le célèbre héros de la franchise a failli à sa tâche. 1960, il va falloir réparer tout ça en entrant dans la Résistance. A partir de là, New Order devient un FPS scénarisé, découpé en missions bien distinctes se terminant par un retour dans la base des résistants, faisant avancer le scénario. Ce découpage permet de jouer dans des décors très différents tout en étant justifiant par l'histoire. Ainsi, on s'infiltrera dans des bureaux en ville, des bases militaires (évidement), un camps de concentration et attention, même la Lune. La diversité des niveaux permet surtout de créer des maps bien définies et coupe clairement avec le début du jeu ultralinéaire qui nous avait failli lâcher. Sans cesse, il y a un renouvellement afin d'éviter l'ennui, même si ce sentiment arrivera malgré tout à cause d'un systématisme un peu ennuyeux alternant mission/base... Quand ce sentiment arrive, heureusement, les choses s'accélèrent. Ce qui fait la différence entre un bon jeu classique et un mauvais jeu classique, c'est comment le premier réussit à maintenir l'attention du joueur quand le second a un tempo trop plat. The New Order fait parti des premiers où toute sa force vient justement de cette diversité de niveaux et du bon timing de l'aventure où le héros voyagera beaucoup et traversera moult épreuves. Tout ceci concrétisé par un gameplay pratiquement au poil.

Le nez par terre, le cul en l'air

Quand vous avez la responsabilité de reprendre une licence d'id, la moindre des choses est de penser à la nervosité de votre gameplay. Pas un machin mou du genou qui vous oblige à rester planqué pendant des heures, ni un truc qui vous oblige à réajuster sans cesse votre tir lourdaud, ni même un truc où vous visez des plots. Un jeu qui bouge, qui va vite, qui est fluide, c'est ça id. Ces derniers l'avaient prouvé encore avec Rage. Et MachineGames utilise le même moteur que ce dernier, l'id tech 5. Et le studio ne s'est pas amusé à changer grand-chose, physique incluse.

C'est la première chose qui frappe : le jeu est bien rapide. Il n'y a jamais de tentative de rendre le feeling « réaliste », on bouge sans aucun accro comme à l'époque des doom-like, on court très vite, la visée (à la souris) est évidement très bonne. Les sensations sont là, et malgré cet enrobage cinématographique avec un peu de scripts d'animations in-game, les développeurs veulent offrir du fun et de la décontraction. C'est le point positif majeur du jeu. Sans être non plus du doom-like en arène, les développeurs harmonisent bien ce feeling avec les canons d'aujourd'hui en offrant beaucoup de covering. Ce dernier est indispensable tant les ennemis à l'artillerie lourde vous feront mal. Le level-design est relativement varié, notamment dans les confrontations directes en alternant arènes, et couloirs efficacement. On n'y voit en revanche, bien peu de verticalité malheureusement, à part quelques mini zones ici ou là. Non, ce qui est très très appréciable en revanche, c'est d'offrir des niveaux à embranchements, permettant au joueur de contourner l'ennemi en utilisant les tracés du décors. C'est un gros plus pour un FPS qui permet de dynamiser clairement l'approche du frag, évitant ainsi toute platitude, tout ennui. Ça apporte aussi une petite dose de tactique utile pour souffler un peu par exemple, sans pour autant être particulièrement exigeant ça reste du frag massif. Mais on apprécie ces maps intelligentes et ce petit geste de conception, multiplié x fois, finit par offrir un bon jeu, au-delà de l'aspect stéréotypé qu'un énième FPS couloir laisse penser.

Le jeu ressemble beaucoup à Metro aussi pour son alternance avec l'infiltration. Il y aura beaucoup de passages où se la jouer discret sera primordial. S’accroupir pour, d'un clic, trancher le couteau dans la carotide ennemie via une animation courte et ainsi pas trop redondante, sera un des petits plaisirs du jeu. Là encore, les niveaux semi ouverts à embranchements permettront de prendre à revers un ennemi vous attendant au coin de porte. Ajoutons à cela la possibilité de s'équiper d'un silencieux pour headshot en douceur, le tout accompagné d'un bon vieux lean qui n'existe plus beaucoup. Le lean est d'ailleurs possible, pas seulement de droite à gauche, mais aussi à ras du sol pour fragger les pieds, ou en hauteur pour rester cacher derrière une caisse. L'alternance de niveaux infiltration, frags sous cover, et de niveaux intérieurs, extérieurs, font que le lean est ici indispensable et un choix de game design décidément bienvenu. Le même jeu sans ce petit gimmick en voie de disparition et vous vous retrouvez à perdre une bonne partie du plaisir à fragger chirurgicalement. En revanche, à l'instar du jeu de 4A Games, l'IA ennemi est particulièrement mauvaise où la sentinelle est aveugle, fait des rondes de 5 mètres et est toujours isolé. Même en plein combat, l'ennemi n'est pas futé et reste campé sur ses postions (sauf les blindés qui vous acculent), ce qui a l'avantage de favoriser les contournements du joueur. Mais avoir le temps de prendre un screenshot d'une sentinelle immobile à 10 centimètres de lui, ça la fout mal.

Machine Studios offre un hybride entre vieilles recettes de game et level design avec recommandations pour le grand public d'aujourd'hui. L'amalgame se forme et se joue ainsi avec beaucoup de plaisir. Pour couronner le tout, on s'amuse à diversifier l'impact des armes. Les soldats blindés nécessiteront d'une larme laser ou éventuellement du shotgun et ses balles rebondissantes... Ou encore le fusil de précision pour un double ou triple headshot. Mais le bourrinage classique en mitrailleuse à la hanche, non. On force ainsi le joueur à switcher d'armes dans sa roue de sélection (sans aucune pause ou freeze de l'action mettant en avant le dynamisme du FPS), voir à changer de mode de tir pour passer au lance grenade par exemple. Les armes au laser doivent aussi se recharger sur une borne, restant à la merci de l'ennemi. Ça oblige le joueur à faire des choix rapidement. Ce même laser servant aussi à découper des grillages et des plaques pour se créer des raccourcis, ou parfois des abris, voir des meilleurs angles de tir. Certaines zones bien chaudes, nécessiteront un peu de jugeote et de survie pour économiser les balles de sa super gaitling piqué sur le corps ennemi sans pour autant devenir une cible facile à cause de la lenteur causée par l'arme. A propos de la récupération de munitions, il s'agit d'un très mauvais choix, puisqu'il faudra cliquer pour ramasser les armes. Le problème étant qu'il faut particulièrement bien viser l'item en question, au sol, avec une faible marge d'erreur, pour qu'elle soit ramassée. On passe donc beaucoup trop de temps à poser le regard vers le bas. Alors que le tempo élevé du jeu incite à fragger, recharger, switcher, straffer bref être en mouvement constant, ralentir le tempo du jeu en obligeant le joueur à délaisser ses cibles pour ramasser de bêtes munitions ruine son confort. Forcer le joueur à cliquer est comme lui demander s'il veut prendre les munitions... Ce qui est absurde dans un jeu de shoot. Évidement qu'on va les prendre ces foutues balles. Une récupération automatique aurait été souhaitable, à l'ancienne, et surtout pour conserver le focus sur l'ennemi. La gestion de la santé est aussi sympa puisqu'elle symbolise l'hybridation entre le old school et le contemporain : la santé remonte toute seule mais seulement d'un palier de 20 (la santé est sur 100 upgradable jusqu'à 130, voir plus), du coup, ça force le joueur à prendre ses medikits. Il peut aussi passer en « overcharge » c'est à dire prendre plus de santé que son maximum l'autorise. La contrepartie étant que ce surplus baisse régulièrement. Mais c'est un élément à gérer pour entrer dans une zone bondée. Idem pour la gestion de l'armure, old school, à « ramasser » des morceaux de métal sur l'ennemi. Pas réaliste pour un sou mais on s'en fout, c'est Wolfenstein. Encore et toujours cette idée de mettre dans la balance l'aspect « fun à l'ancienne » et « pseudo réalisme d'aujourd'hui ».

Une histoire d'Histoire

Même le plus gros fan aveugle d'id Software est obligé de l'avouer. Raconter des histoires, c'est pas franchement l'intérêt de Carmack & co. (enfin « ex-Carmack & co. » puisque les hommes forts du studio sont partis). Le but du jeu de ce reboot de Wolfenstein est aussi d'apporter ce sens cinématographique qui sied au jeu vidéo d'aujourd'hui. Dans l'optique de créer un bon vieux divertissement sans se prendre au sérieux mais sans non plus paraître ringard, MachineGames développe cette idée d'uchronie où le monde a capitulé face aux allemands. Le héros Blazkovicz est en état végétatif et est soigné par une infirmière polonaise lesquels tombent amoureux (le Patient anglais version nazi quoi). Fuyant la Police allemande qui s'approvisionne en cobayes, le couple décide de rentrer à Berlin pour intégrer la Résistance. Rapidement, le petit groupe s'organise pour dérober le secret des armes mécaniques des nazis : une ancienne technologie juive (ironie tout ça, tout ça). Notre gros bras à la mâchoire carrée de Blazkovicz va donc éliminer des tas de nazis à lui tout seul. Nous sommes dans le stéréotype du film d'action : de la romance, de la bonne baston exagéré, des liens d'amitié et un peu de drama (le joueur doit faire un choix à la fin du prologue mais qui hélas ne chamboule en rien l'histoire principale). Tout ça est terriblement classique. Oui mais. Oui mais c'est fichtrement bien réalisé. Ce Wolfenstein évite de trop se prendre pour une sorte d'extension du « Cinéma sérieux » comme trop de jeux. L'histoire est du divertissement assumé, du style gros bras 80's, qu'un bon Schwarzy aurait pu faire. Un truc avec la pointe de dérision en quantité suffisante pour alerter le public : « attention, ceci n'est que du spectacle ». Un peu comme du Commando quoi : viril mais pas too much, mais avec des vannes bien placées. Des vannes retro qui sont plus des clins d’œil aux jeux d'époque. Voir des faux posters du IIIème Reich, voir un écran d'ordinateur qui fait tourner Wolfenstein 3D, un couple de nazi sanguinaire mémorable (aaah ce bon vieux Bubi... il était tout content de lui). C'est subtil, parfois grossier (séance de torture too much), parfois d'une finesse trippante (se faire interrogé par une folle nazie qui peut te dire si tu es « pur » au travers d'un vieux jeu de cartes en te laissant l'opportunité d'attraper un gun), il y a un melting pot très bien équilibré entre différents tons. Le jeu est aussi adulte dans ces scènes d'amour, pas voyeurisme malgré les scènes de sexe, et pas adolescent dans les scènes de baiser... Il y a une maturité dans la mise en scène et l'écriture du jeu très plaisant, notamment par un recul pudique pour éviter le cliché. L'aventure sonne juste tout en assumant son divertissement. Une vraie bonne surprise, tant on avait peur du kitsch mal maîtrisé, ou de la fadeur classique des blockbusters AAA écrits avec les pieds.

Par conséquent, avec son gameplay bien rôdé sans être extravagant bien coupé par des cut scenes bien senties, Wolfenstein donne de l'allant au joueur. Techniquement, le jeu est à l'image du reste : hybride. Le moteur id tech 5 tourne exactement comme sur Rage. A un point où on pourrait croire un mod... Même les noms des personnages s'affichent quand on les vise, comme dans le dernier jeu d'id, alors que ceci n'a rien d'utile. L'id tech 5 a les qualités de ses défauts : très beau de loin, en sub resolution affreux de près... La gestion dynamique de ses textures implique de ne pas chercher à créer de l'ultra réalisme. Le moteur est excellent pour laisser transparaître des ambiances, des décors fouillés, avec une très bonne profondeur de champs. Mais les technophiles feront grise mine quand ils verront les textures basse résolution. Pour autant, le jeu est beau. Il créé de belles ambiances, et MachineGames a assuré en diversifiant les décors, alternant vieux égouts (rappelant Rage encore), ou mieux, bâtisses de luxe ou encore décors à moitié futuristes. Le jeu n'est pas gourmand (on capte pas comment le jeu nécessite 50go sur son disque dur mais soit) et est clairement conçu pour favoriser la fluidité (ce qui explique les basses textures, même en niveau high). On a de jolis effets, des décors bien modélisés même si on tombera parfois par une vieille texture moche où se dessinent des ustensiles sur une table... C'est spécial. Et de nos jours, où on cherche de l'ultra réalisme jusqu'aux poils de cul des personnages, certains pourront être déçus. On souligne néanmoins la qualité du moteur dans sa globalité et offre de belles choses bien variées. Même si quand vous regarderez vos screenshots, c'est la douche froide... Point noir incompréhensible, on ne peut pas modifier l'anti-aliasing dans les options. Il faut passer par un tweak des fichiers système. Autre point moins grave, puisqu'il n'impacte pas les gunfights, ne pas pouvoir supprimer l'effet « DOF » qui rend flou le fond de l'écran selon la position du joueur. Mais ça ne concerne que les moments sans gameplay.

Le design uchronique 60's est très sobre dans l'ensemble, on ne se tape pas des trips n'importe comment. Juste des mechas spéciales en forme de « chiens » (ou comme les ennemis dans les Tortues Ninja si vous voulez...), ainsi qu'un mecha géant qu'on devra battre avec des armes traditionnelles. Le reste étant parfaitement homogène. Sans aller dans l'excentricité, les développeurs ont soigné ce classicisme par la diversité des décors et leur finesse : on aime la richesse du mobilier des généraux nazis, on est choqué par la fosse des camps de concentration, l'inquiétude des salles d'opérations, le rouge vif des conduits d'aération. Tout ça, c'est très propre et subtilement abordé. Certes, il n'y a pas de parti pris fort, artistiquement parlant, mais un choix d’homogénéisation et de diversité très efficace.

La bande son est juste parfaite. De la vraie VO où les Allemands parlent allemand (pas comme dans le reboot de 2009), les Polonais parlent polonais et les Américains parlent anglais. Pour aller à fond dans le trip, on aurait aimer entendre les français mais on se contentera des (fausses) coupures de presse disséminées dans le jeu, dans leur langue d'origine. Le petit plus immersif qui sait s'attirer les faveurs des joueurs. La musique s'inscrit dans ce challenge de rénovation de la licence. Elle alterne la musique cinématographique, servant d'ambiance pour les cut scenes, pour ensuite être capable, dans un élan d’héroïsme sous excès de testostérones, de nous sortir la sonorité hard rock. On est en plein dedans, le joueur se laisse guidé naturellement par la musique suivant l'image. Là encore, un travail d'équilibriste entre fun et sérieux.

Wolfenstein : the New Order a une côte de sympathie monstrueuse. MachineGames joue les équilibristes pour réunir feeling old school digne d'id software tout en apportant du spectacle vendeur, à base de scénario cinématographique et de level-design pas trop compliqué. Après un début d'une médiocrité et d'une fadeur incroyable, MachineGames lance un message de dérision : « haha vous pensiez encore vous taper de la daube hein ? » pour renverser la vapeur avec une uchronie parfaite, tant le scénario que dans le game design. Ça se joue tranquillement, ça a une fluidité folle, ça joue un peu d'infiltration, ça a des niveaux incitant au contournement, la mise en scène est bien dosée, les méchants ont du charisme, l'aventure offre une bonne dizaine d'heures de jeu (et 5 niveaux de difficulté pour profiter du gameplay), il y a la dose de dérision ultra violente qui caractérise la série... En d'autres termes, c'est d'une efficacité classieuse. C'est à dire que ça n'a strictement rien de nouveau ou de surprenant mais c'est développé avec une justesse rare. Dommage que le bilan soit terni par une IA aux fraises et d'un moteur basé sur des textures basse résolution. Wolfenstein ne réinvente pas la roue (d'ailleurs c'est Wolfenstein lui même qui l'a inventé cette roue), mais la façon dont il la fabrique est très bonne. Un très bel exemple de production AAA qui n'oublie pas quelques fondamentaux ancestraux.

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