Article publié il y a deux semaines sur Birganj.

Quand Rayman Origins, sous l'impulsion du moteur UBIart mettant la 2D en valeur en un minimum de temps de conception, sort, nous espérions des projets originaux. Puis vient Rayman Legends sans l'ombre d'un projet original, c'est alors qu'on se demandait comment Ubisoft allait utiliser le chouette travail d'Ubi Montpellier que le communiqué retentit : Child of Light, un « RPG d'inspiration japonaise aux décors aquarallés » et Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre un jeu d'aventure sous la 1ère Guerre Mondiale sont en développement. C'est le premier qui nous intéresse aujourd'hui pour voir un peu l'UBIart en dehors de Rayman et surtout si un occidental est capable de capturer l'esprit « Squaresoft » selon l'ambition avoué de Patrick Plourde, directeur du jeu.

La belle au royaume dormant

Child of Light est un conte. De sa douce musique mélancolique se lève l'histoire d'une jeune fille destinée à être Princesse de Lumière. De ses peintures aquarelles riches, tout en légèreté où les nuages et les différents plans sont en constante animation, nous jouons au rite initiatique de la jeune Aurora. Au fil des peintures soigneusement découpées en plans ou éléments distincts créant une animation pleine de vie calme, la brise bruissant les forêts, remuant les flots et poussant les nuages, soutenues par cette mélancolie simple, dont l'efficacité du piano et du violon pour larmoyer n'est plus à démontrer et des dialogues écrits en rime s'esquissent un univers naïf, charmant, dont l'étiquette « conte ludique » n'a pas été usurpée. Tout ceci est fort joli, certes réutilisant des visuels stéréotypes, comme la montagne qui parle, les forêts épaisses, les villages de nains, le duo d’arlequins bleu et rouge, triste et heureux, mais tout ceci prend vie d'une fort belle manière. Techniquement, la gestion des plans restent simples, mais afin d'éviter le syndrome de la platitude du dessin, les développeurs rajoutent des premiers plans créant un effet de profondeur bienvenue. Même si l'animation est rudimentaire en soit, voir les feuilles bouger en arrière plan, la pluie trancher le décors ou des poissons sautant de l'eau apporte de la vie à une aquarelle à la base fixe qui aussi soignée et colorée soit-elle n'est pas destinée à être parcouru pendant 10 heures. Grâce au moteur UBIart, cette 2D s'anime relativement simplement mais très efficacement. Le joueur plonge aisément dans l'ambiance... Enfin ce serait le cas si derrière cette très belle technique ne se cachait pas une créativité sirupeuse et ennuyeuse à mourir.

En général, bien que cette règle ne soit pas absolue, on cherche une bonne histoire dans un RPG, avec différents rythmes, un peu de tension, et évidement des surprises. Child of Light se voulant être conte, n'en reprend qu'une ossature superficielle. Jugez plutôt, la jeune Aurora est élevée par une mère et un père, duc en Autriche, aimants. Lorsque la mère meurt, le duc ne supportant pas de vivre seul se remarie... La mère tout de blanc vêtue cédant sa place à une belle-mère habillée de mauve... Oui, bon, pas besoin de vous faire un dessin, vous écrire « attention spoiler » serait une insulte à votre intelligence. Avec une héroïne appelée Aurora et une méchante violette, vous avez vite compris de quel Disney les protagonistes se sont inspirés. La jeune Aurora meurt (ou tombe dans un profond sommeil, la symbolique étant la même que le film référence) et se réveille dans le Royaume de Luméria. Elle devra rejoindre son Père avant qu'il ne meurt, noyé par le chagrin mais aussi par les flots recouvrant petit à petit son Palais et rencontrera des compagnons diverses et variés, comme le veut la coutume RPG. Chaque conte de notre enfance qu'il soit de Grimm ou d'Alphonse Daudet en passant par Perrault ou Andersen, chaque poème, ou poésie ou même Fable de la Fontaine se cache des messages, des double sens, des métaphores qui vont, toujours, au-delà de la première lecture. La force des Disney de la belle époque était de rendre cette double lecture très simple d'accès réunissant petits et grands, elle permettait aussi d'accorder de l'importance à plus d'un seul ou deux personnages à la fois. Ici, il n'en sera rien. Les backgrounds des personnages secondaires sont d'une légèreté effarante, dont la courte durée de leur quête liée n'est que le reflet de leur vacuité. Entre la souris qui veut prouver sa valeur pour se taper la mondaine Marie-Souricette (elle ne s'appelle pas comme ça hein, c'est pour l'image), le nain qui doit prouver sa valeur parce que... Bah parce que ! Ou la lézarde qui va chercher vengeance parce que... Bah parcequ'elle n'a plus de famille, tout ça est bien creux et fort inintéressant puisque ce ne sont pas les dialogues simplistes qui épaissiront ces backgrounds dont les rimes servent à garantir un vernis « poétique » sur une absence de talent d'écriture. Tel un collégien en galère devant sa feuille blanche, les rimes en -é s’enchaînent, les onomatopées utilisées sans assonance tentent d'apporter de la théâtralité et les questions rhétoriques comme pour gagner du temps ou ici, gagner une ligne sont monnaie courante.

L'histoire basique, sans approfondissement, sans message, sans émotion tant le factice respire par tous les compartiments de design, n'aide absolument pas le joueur à s'y intéresser. Plus les dialogues déroulent et plus les niveaux à enchaîner en ligne droite (agrémentés de deux ou trois écarts pour trouver des coffres) nous semblent infiniment ennuyeux.

J-RPG canadien : tout un concept

Ce décors féerique habille un gameplay de RPG japonais, soit au tour à tour avec pause entre chaque action. Comme tout bon RPG qui se respecte, chaque personnage a des capacités propres avec son arbre de compétences à compléter distribuant les PC glanés à chaque niveau. Le jeu n'ayant pas été conçu pour 50 heures de jeu, vous gagnerez un niveau à chaque combat, presqu'à chaque fois. Cet arbre de compétence permettant de booster ses compétences passives (attaque, vitesse, défense, magie) et surtout actives comme augmenter ses attaques de niveau ou en ajouter une nouvelle. L'arbre n'est pas bien compliqué, il est linéaire mais à trois voies. Chaque voie privilégiant telle ou telle attaque ou telle ou telle magie. Au joueur de choisir d'avancer dans les voies une à une ou les équilibrer. Il est recommandé néanmoins de booster à fond une capacité, les ennemis n'étant pas franchement variés... En effet, ils ont tous une faiblesse évidente : soit physique, soit magique. Si c'est magique, l’héroïne abusera de sa magie de lumière, si élémentaire, votre mage déglinguera tout les doigts dans le nez. L'équipe jouable est limité à deux mais le changement de personnage en plein combat ne mange pas de tour, permettant d'utiliser si besoin est. Même si dans les faits, les ennemis ne vous poseront aucune résistance.

Pourtant, les développeurs ont sorti tous les jobs du gameplay japonais : le mage, le bourrin, le soigneur, le spécialiste des buff, le spécialiste du debuff, et le personnage rapide. Cependant, le déroulement des rencontres et la simplicité des ennemis décrite ci-dessus n'incite pas le joueur à les utiliser en abondance. Les combats sont inspirés de Grandia où la timeline et l'ordre des tours est illustré par une barre où avancent les protagonistes au rythme de leur stat de vitesse. Arrivée au dernier segment rouge, le joueur choisit son attaque dont le temps d'action est variable. Si un personnage ou un ennemi se fait touché dans cette zone, le sort est annulé et l'ennemi recule de la timeline. Le joueur est donc incité à taper le plus vite possible ses ennemis. Plus vite et plus fort. Pas vraiment le temps de faire mumuse avec différentes techniques de buff/debuff (même si les joueurs patients pourront choisir ce style), ou d'essayer différentes choses. Le joueur débute, comprend vite les faiblesses des ennemis, enchaîne avec la bonne attaque et basta. Ajoutons à cela la possibilité de contrôler un esprit au look de slim de Dragon Quest, ou de fantôme japonais pour enfants, afin de ralentir un ennemi en plein combat grâce au joystic droit (comme dans Rayman Legends), le challenge du jeu étant la vitesse d'exécution. Une idée intéressante en soit mais dont l'absence d'équilibrage l'empêche d'être pleinement utilisé. Les combats se torchent vite car les ennemis ont des faiblesses évidentes et parce que le déroulement des combats défile rapidement. Vous ne serez jamais en galère dans Child of Light, sauf (vers la fin éventuellement) si vous ne vous inscrivez pas dans le bon tempo à gérer trois ennemis très rapides en même temps. C'est bien maigre. Le boss final étant plus impressionnant que difficile. Quant à l'exploration, elle a le mérite de s'effectuer sans temps de chargements et d'une traite dans un monde ouvert, bien qu'en scrolling horizontal. C'est à dire que tel un Metroidvania, le joueur a la la liberté de revenir sur ses pas via la même map pour boucler quelques petites quêtes annexes sans grand intérêt. Sauf que le niveau étant linéaire, l'exploration n'a rien de bien palpitant. On notera un ajout de craft de cristaux pour booster les personnages, leur ajoutant un élément, ou une meilleure défense, ou gain de temps. Classique. Mais comme expliqué plus haut, le jeu n'étant pas tactique pour un sou, ces équipements sont futiles et servent à créer l'illusion d'un gameplay abouti.

Mal équilibré, game design mal exploité, univers féerique creux et simpliste, dialogues vides, effets de style caricaturaux, Child of Light est une vulgarisation fade des contes à la Disney dont l'inspiration est évidente et du RPG japonais de l'époque 16 bits dont les mécaniques sont simplifiées. Dans un tout autre genre, Obsidian avait réussit à pondre un RPG similaire : facile, léger dans un level design semi ouvert et linéaire avec South Park. Leur force avait été de se servir de leur (riche) background pour renouveler et agrémenter leur gameplay. Ubisoft n'arrivant pas à créer de background fouillé ou même sensible, ils n'ont aucune matière (et ne cherche pas à en avoir) pour diversifier et animer des combats plan-plans. C'est signé Ubisoft, on a envie de dire : le jeu est joli, les musiques mélancoliques (bien que peu variés et originaux dus à une omniprésence répétitive du piano et d'une restriction de notes créant peu de profondeur) mais est d'un ennui ludique et scénaristique insupportable. Si pour vous, poésie se limite à rimes, mélancolie et princesse, vous serez ravis. Les autres vont s'offrir dix heures d'avancée monotone pour un intérêt inexistant.

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