Article paru la semaine dernière. Cette semaine, sur Birganj est publié la critique de Danganronpa et Lightning Returns : Final Fantasy XIII.


Voici maintenant 17 ans que Trey Parker et Matt Stone dirigent le quatuor de sales gosses de South Park. Comme toute longue série, il y a des hauts et des bas, il y a aussi la nécessité de s'adapter à son environnement. C’est pourquoi certains épisodes de la série tournent à la véritable satire de société quand d'autres, plus légers, mettent en avant l'absurdité du duo créatif. Quand, en 2011, THQ annonce un jeu South Park, nos gueules sombraient se souvenant du FPS médiocre où l'on devait jeter des boules de neige sur des dindons en 99... Mais rapidement, un rayon de bonheur et d'espoir se levait : Obsidian était aux manettes. Le jeu était déjà bouclé et daté pour le printemps 2013 quand THQ fut dépecé en morceaux par la justice américaine. Ubisoft récupéra les droits et attendit un an pour le sortir... Censuré de quelques secondes sur consoles européennes.

Voyons pourquoi South Park bute sa race et qu'Obsidian déchire sa maman.

L’épisode de 12 heures

Quand ils sont directement impliqués, Parker et Stone sont capables de transcender leur série en changeant de support. Alors qu'on doutait à l'époque de son adaptation en long-métrage, le duo surprend son monde en reprenant à son compte quelques clichés de films grand public : la traditionnelle chanson de dessins animés, un grand méchant tyranique surjoué, la grande révélation Cinéma – le visage de Kenny –, dramaturgie à base de sacrifice, parodie d'espionnage et entrée dans le guiness book des records pour le plus grands nombre d'injures prononcés dans un film, histoire de marquer le coup. Le duo refait la même chose pour le jeu qu'ils ont écrit en collaboration avec Obsidian, le bâton de la vérité, parodiant les clichés de jeu vidéo entremêlant l'héroic fantasy où s'entrechoquent deux clans. Celui de Cartman, leader des hommes, et celui de Kyle, leader des elfs (coucou The Witcher) qui vont se retrouver à affronter une menace plus terrible encore : ce connard de Clyde qui s'est emparé de la sauce magique de Taco-bell, en réalité, produit chimique extra-terrestre qui transforme les hommes en zombis-nazis (coucou Wolfenstein).

L'aventure du jeu se permet de savamment mêler le style d'écriture de la série où un événement innocent va s’enchevêtrer à un autre d'importance nationale ou planétaire, tout en reprenant les schémas scénaristiques simplistes de la plupart des jeux vidéo. Ainsi, le héros, créé de toutes pièces par le joueur, sera muet, comme le voulait la tradition des jeux d'aventure des années 80-90, devenant au fil de l'aventure un gimmick comique. Ce héros est amené à se faire des nouveaux amis sur un détournement de Facebook (qui sert de menu au jeu pour gérer son inventaire, ses techniques, ses quêtes, sa map, etc) et est alors recruté par Cartman pour jouer à une espèce de donjons et dragons où luttent les hommes et elfs pour l'acquisition du puissant bâton de la vérité (un bout de bois quelconque). C'est une mise en abîme classique servant d'humour meta, où le joueur joue à une parodie de jeu. Les clichés y sont détournés en éléments de gameplay ou de scénario : à travers la ville dont on en fait librement très vite le tour, on devra récupérer des slips pour les gnomes, activer des checkpoints pour que l'option « voyage rapide » soit disponible en étant tracté par le fauteuil roulant de Timmy, il faudra chasser des animaux sauvages complètement délirant pour ce braconnier de Jimbo, etc etc. Ces quêtes annexes ont le mérite de transformer leur ennui naturel et propre aux RPG dits « sérieux » en mini-quêtes peu compliquées mais bien mis en situation les rendant drôles, captivant l'intérêt du joueur à les boucler (le 100 % est très facile). Soit pour leur référence directe à la série, soit parce que l'idée de game design s'est bien adaptée au ton de la série avec des choses incongrues où une chasse de vache se résume à un vulgaire coup de bâton... Ce qui est attendu comme long et chiant devient grâce au ton South Park, distrayant et surprenant.

Subtilement, le jeu reprend les grandes lignes du RPG traditionnel : deux camps, trahison, unification, big boss, alliance extraordinaire, quêtes annexes osef, pour servir de prétexte à de l'humour South Park et varier au maximum les situations. Pêle-mêle : le meilleur niveau où le héros transformé en gnome assiste au forniquage de ses parents, le jeu s'y déroule normalement, les combats s’enchaînent avec en arrière plan un coït assourdissant sans fioritures, faire un avortement sur Randy, rencontrer des vaches nazis, se faire implanter une sonde anale, buter un fœtus géant... Tout ça servant non pas de simple fanservice plat mais servant l'histoire parodique RPG-esque où un niveau 16-bits de RPG japonais servant à représenter les canadiens retardés étant à plier de rire. Ceci grâce à la parfaite harmonie entre la culture RPG d'Obsidian qui n'est plus à présenter et l'humour moqueur, parfois critique, souvent absurde de la série.

Difficile de mieux expliquer le fonctionnement de cet humour référentiel sans tomber dans la succession d'exemples, le concept étant le mariage entre le fanservice de South Park et la parodie du RPG. Les codes des deux univers étant repris et digérés pour former un jeu entièrement cohérent dont les créateurs de la série et les créateurs d'Obsidian se renvoient la balle. Ça pourrait même fonctionner sans avoir regardé la série South Park... Bien que l'avoir vu (et accessoirement l'apprécier) reste un gros plus au vu de ses multiples références que le fan s'empressera de remarquer. Il ne rira pas forcément aux éclats de voir sur une borne d'impression photo Kodak, la photo de Butters avec un tampon dans la bouche (Saison 11 Épisode 2) mais cumulé à très haute dose, l'immersion dans l'univers de la série y est totale. Cette abondance de références crédibilise l'histoire et renforce cette impression d'épisode géant interactif. Au point où l'impression n'est plus. Le mariage fonctionne si bien que The Stick of Truth peut être intégré à l'univers de la série, comme l'était le film.

Obsidian, critique du RPG

Le gameplay proposé par Obsidian se fait vite remarqué pour son compromis entre une accessibilité vraiment aisée et des subtilités habituelles aux production du studio. Le joueur joue dans un premier temps seul, puis rapidement accompagné à choisir parmi six personnages. Il déclenche les combats quand il aperçoit des ennemis sur la map. Les combats sont au tour à tour, chaque personnage a droit à une barre de HP, de PP (pour lancer des capacités) et du mana (pour envoyer des magies aka des pets). Le héros a le choix entre attaque frontale, attaque à distance et attaque spéciale, consommant des PP, ainsi que magie. Il a la chance, contrairement à la plupart des autres jeux du genre, de pouvoir utiliser un objet ou une habilité spéciale (le héros a des invocations utilisables une fois par jour, les autres ont un spécial unique) sans gaspiller de tour, facilitant grandement la tactique du jeu. On peut donc se soigner avant d'attaquer. Plus on avance dans le jeu, plus on aura débloqué de niveaux d'attaques spéciales au point où on finira rien qu'en les enchaînant. Ces attaques sont inarrêtables, alors que les attaques simples le sont. Les ennemis peuvent renvoyer vos attaques en fonction de leur position, nous obligeant à faire attention à nos choix.

Chaque attaque normale est déclinée en deux formes : attaque légère (plusieurs coups) ou attaque lourde. La décision du joueur dépendra de la protection ennemie. S'il est armé de bouclier, il faudra le casser de divers coups rapides. S'il a une armure, il faudra la forcer avec une attaque forte. Du coup, le jeu reste bien fourni en subtilités. Ajoutons à cela que pour réussir chaque attaque, le joueur sera amené à effectuer une manip (simple : appuyer sur le bouton désigné au bon moment) pour optimiser l'attaque mais devra aussi appuyer au bon moment pour effectuer sa parade. Une parade évitant de subir des debuffs importants comme vomir, être en feu ou saigner. Si le jeu en normal, se torche rapidement (passé le niveau 3-4, les combats deviennent très faciles), il suffira d'augmenter la difficulté pour apprécier la finesse de gameplay d'Obsidian. L'avantage étant que derrière une simplicité enfantine (les menus de combats ont la forme de roue grandement illustré et expliqué) se cache des règles de combat intéressantes. Le plaisir augmentera quand on sera accompagné, puisque outre leur diversité (Jimmy le barde qui buff-debuff en boucle ; Cartman qui enflamme ses pets en zone, ou Butters qui se transforme en Professeur Chaos), c'est la mise en scène grandiloquente des attaques spéciales qu'est fun. Parodiant les scènes d'héroic fantasy (Stan), sortir l’attaque du « bruit marron » (les ennemis se chient dessus), Kenny envoyant une armée de rats, bref, on est dans la démesure totale. Le joueur prend un plaisir fou à découvrir les nouvelles attaques. Précisons que le joueur peut choisir d'être combattant, mage, voleur... ou juif (qui est spécialiste des debuffs). Ce dernier sera capable d'envoyer, entre autres, une attaque appelée les plaies d’Égypte. Il n'y en a pas dix mais quatre où on envoie des crapauds, sauterelles, la maladie et des météorites... Même un Final Fantasy ne propose pas autant de spectacle.

Certains « donjons » seront rythmés par quelques énigmes rapides que le joueur devra régler avec ses actions spéciales : se téléporter grâce à sa sonde rectale, se miniaturiser grâce au pouvoir du gnome, envoyer le pote adéquat pour débloquer le chemin ou envoyer un projectile. Il sera aussi capable d'enflammer ses pets pour faire exploser des passages grâce à une manipulation du joystick droit. Les tutoriels pour envoyer des pets (magies) ne sont d'ailleurs pas très clairs, on comprend un peu tard qu'il ne faut pas être pressé et laisser longtemps appuyer sur les joysticks jusqu'à ce que le tuto vous indique quand lâcher. C'est tout bête mais il y a un décalage entre la rapide démonstration faite à l'écran et le temps que met le didacticiel pour valider la commande.

Obsidian pond en réalité un RPG tout public mais suffisamment équilibré et fin pour ne pas être défini comme simpliste. Le loot en pagaille permet aussi de personnaliser son héros à sa convenance tout en utilisant l'univers loufoque au service du levelling (chaque équipement ayant en plus un emplacement pour une rune boostant les capacités du héros, permettant de pousser le jeu de statistiques propre au genre). Et comme l'humour reste omniprésent, que les moyens sont là pour mettre en scène de jolies attaques, ou séquences drôles, on n'y s'ennuie jamais.
Inutile de revenir sur la technique du jeu, c'est propre, c'est une copie parfaite de South Park, voix anglaises inclus (sous titrage ang/fr dispo évidement) : une vraie extension à la série.

South Park : le bâton de la vérité est un petit bijou de parodie vidéoludique : passant les clichés scénaristiques au crible, les habitudes de gameplay titillés (un peu de QTE taclés notamment), des références de jeux plus ou moins implicites mais jamais grossières, il donne un coup de fouet à notre train-train habituel tournant en dérision des années de jeux se prenant inutilement au sérieux. Super accessible mais pas basique, super drôle mais jamais lourd, super fourni mais jamais chiant, on frôle la perfection... C'est juste qu'en réalité, on en veut encore ! Etant donné que le joueur est libre d’errer dans South Park après le générique de fin, et Ubisoft oblige, on devrait avoir des DLC à venir... En espérant qu'il n'y ait pas d'abus. Plus qu'un jeu South Park, Le bâton de la vérité est une parodie ludiquement très très très réussie. Et ce n'est pas tous les jours qu'on joue à ça.

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