Article paru la semaine dernière. Cette semaine, Birganj publie sa critique de la PS4 et du jeu Knack.

Il était une fois quatre employés de Lionhead qui décidèrent de quitter leur société au bord du rachat par l'ogre Microsoft. Déduisant, peut être, l'avenir funeste de leur entreprise, ou éventuellement lassés de travailler pour un créateur du passé au cerveau si enflé qu'il pensa avoir inventer le RPG, les quatre compères fondèrent Media Molecule. Prototypant un jeu déployant l'inventivité des joueurs comme concept majeur et pérenne, MM trouva en la personne de Phil Harrison, l'employé d'un éditeur fort impressionné par le projet. Une autre tête d'une société de plomberie des années 80 se dit bien plus tard intéressé mais n'a semble t-il pas été très loin dans le démarchage. Ce fut donc ce cher Philou, affublé d'un canard en plastique jaune, qui embaucha nos chers développeurs.

Le succès fut triomphal et des milliers de joueurs créent, partagent, communiquent et jouent encore entre eux dans le monde merveilleux de Little Big Planet.
Ce premier chapitre festif accompli, le studio Media Molecule décida qu'il était temps d'exploiter les puissantes capacités tactiles et de réalité augmentée de la petite PS Vita auquel personne ne daignait s'intéresser. Tearaway était né.

Au doigt et à l’œil

Tearaway est un jeu d'aventure, plate-former dans un univers construit de papiers pliés. Le joueur a un rôle dans l'histoire en guidant son personnage de sexe masculin ou féminin en interagissant sur le décors avec ses doigts. Si les mécaniques du jeu sont un peu lentes à se mettre en place, via une progression pour un public enfantin, une heure ou deux ensuite, le concept est clairement affiché. Il s'agit de concevoir un jeu de plate-formes où la dextérité du joueur passe à la fois par le timing du bouton de saut (croix) et dans l'utilisation des deux pavés tactiles, ainsi que la gyroscopie, de la Vita permettant de bouger les plate-formes. Les niveaux mettront progressivement le joueur en situation d'interagir sur le décors, comme surélever un bloc pour faire passer son personnage, les décaler, c'est aussi en tapotant le pavé tactile arrière qu'il activera les trampolines en guise de plate-forme, ou en créant des surélévations avec le doigt qui sort du décors fictif, voir même servir d'arme pour éliminer les « scraps », ennemis du jeu.
L'écran tactile supérieur va permettre d'ouvrir des papiers cadeaux contenant de la monnaie pour acheter divers accessoires cosmétiques, mais aussi pour dérouler des papiers, nécessaires pour avancer de plate-forme en plate-forme.

Le joueur investit ainsi pleinement sa console en bougeant ses doigts de toutes parts. Le bouton croix s'active pour sauter, pendant qu'un doigt arrière, s'ajustant parfaitement à la prise en main de sa console, est prêt à l'emploi. Puisque les doigts arrières nécessitent que très rarement un emplacement précis, ou alors quand c'est le cas, le héros est immobile, la prise en main est parfaitement ergonomique. Quand c'est le doigt supérieur qui est requis, là le joueur est invité à lâcher son bouton de saut pour activer rapidement ses plate-formes. Beaucoup de jeux Vita ou même 3DS ne gèrent pas bien le combo boutons/tactile obligeant le joueur à lâcher prise (l'exemple des grenades tactiles des FPS est le plus flagrant) mais Media Molecule fait preuve ici d'intelligence dans l'ergonomie de son titre et sait ainsi concevoir son level-design pour ne jamais contraindre le joueur. C’est ainsi que ce dernier ne se sent pas coupé dans son élan lorsqu'il doit lâcher le bouton pour le tactile puisque ce n'est pas la difficulté d'accession qui le restreint mais l'enchainement de plate-formes alternant tactile/bouton qui le réclame.

Tearaway est ludiquement un superbe exemple de réappropriation des fonctions Vita et justifie pleinement son exclusivité. Il est littéralement impossible de reproduire le jeu autre part, au vu de la trop grande importance de son pavé tactile arrière, mais aussi subtilement de l'importance des deux caméras de la machine afin de créer une fusion entre le monde fictif et la réalité.

Heal the world, make a better place

Avec ce gameplay futé, Tearaway est aussi un univers jovial bourré d'optimisme. Fidèle à leur credo de LBP, Media Molecule crée une ode à l'imagination humaine. L'histoire étant celle de Iota, une enveloppe avec des bras fait de papier coloré qui doit traverser son monde pour remettre sa lettre à son Vou. Ce Vou, c'est vous. La caméra de la Vita capte votre tête pendant votre partie servant à illustrer le soleil (oui comme Teletubbies mais non pas comme Teletubbies...). Vos yeux sont rivés sur Iota et vos mains aidant, vous le guiderez vers sa destinée : sa rencontre avec « Vou », son dieu, son créateur qui va altérer sur son monde au travers de phases de plate-formes... Mais pas que. Le joueur sera invité à compléter ce monde de papier en dessinant lui même de nouveaux motifs, ou en en achetant grâce aux confettis disséminés abondement le long de son aventure. Pour cela le pavé tactile servira à couper des formes. On dessinera au doigt les contours et d'un clic, le papier se découpera. En superposant plusieurs motifs, de couleurs différentes, le joueur peut créer des choses assez fouillées. Cependant, à cause du dessin au doigt, il est difficile de créer des choses subtiles, même si rien ne vous empêche d'essayer. Peu importe que votre couronne ne soit pas droite, cela n'altère pas le scénario du jeu ou autre. Mon roi écureuil s'est d’ailleurs retrouvé avec un zob su la tête (ben quoi, on peut plus rigoler ?). Vous serez donc amené régulièrement à dessiner des nouveaux éléments dans le monde Tearaway mais aussi capturer avec l'appareil photo des textures pour certains personnages, vous pourrez même dessiner les particules de neige qui tomberont sur tout un niveau. Une intégration et immersion du joueur bluffant.

Pas que cosmétique, le fin du jeu délivre un message très optimiste sur l'importance de l'imagination en chacun d'entre nous. La fin de l'histoire incite à créer, conter, imager, ne pas perdre cette avidité de création, comme l'était lui aussi LBP dans une mécanique plus complexe. C'est en cela que Tearaway fonctionne, l'intégration même du joueur, par la caméra et le tactile au sein de ce monde fictif rend l'ensemble parfaitement cohérent, tant dans le fond que dans la forme. L'univers papier, matériau existant qui se plie et se déplie à chaque passage du personnage sifflant d'un doux son réaliste de papier froissé, renforce cette proximité avec l'existant. Histoire d'enfoncer le clou dans cette frontière entre la réalité et la fiction, le joueur est invité à collectionner des patrons de papier pour recréer le monde de Tearaway de vos propres mains. En effet, vous rencontrerez des éléments du jeu vierge de couleur. Photographiez le et vous pourrez télécharger le patron de cet élément (un arbre, un personnage, une bâtisse, etc) pour l'imprimer et recréer en quelques plis et une pointe de colle, le petit monde de Iota et compagnie. Intelligemment, le jeu exploite dans tous ses compartiments de jeu l'échange même entre deux mondes différents rendant à la fois cet univers coloré comme réel, et le monde réel comme propice à la création. Lorsque l'on comprend ça, lorsque l'on comprend que le jeu va au delà du « plate-former aux graphismes originaux », on est obligé d'applaudir la partition qu'a joué le développeur sur ces petits 4-5 heures de jeu.

C'est un peu le problème. D'un point de vue pragmatique, on se dit que le jeu avait matière à être bien plus long. Car les niveaux les plus funs, à savoir les décors qui se plient au contact du doigt ou les plate-formes utilisant la gyroscopie avec le personnage la tête en bas et les pieds collés n'arrivent surtout que vers la fin. C'est vraiment dommage. Et comme les décors dessinés du joueur ne change en rien le gameplay ou l'histoire, nous ne sommes pas pleinement incités à recommencer. Si seulement, le jeu était composé de plusieurs niveaux aléatoires (car les narrateurs s'amusent à modifier l'histoire prévue, hélas ce n'est qu'une ligne de scénario, pas un concept ludique) par exemple, ou d'éventuels DLC (gratuits...), pourquoi pas ? Mais non. Du coup, ce concentré d'excellentes idées, d'excellentes mises en pratique de plate-former qui font un bien fou dans un genre qui stagne demandent à être plus nombreux. C'est la limite de Tearawy qui au lieu d'être une très jolie expérience visuelle, sonore et ludique, aurait pu être aussi un grand jeu plus complet et plus exploité sur la longueur.

Tearaway nous laisse un sentiment partagé. Après un début bien plat et calme en dépit d'une beauté artistique à tomber, avec une musique entrainante et joyeuse rappelant l'imagination des jeux Nintendo pré-Wii, le gameplay si unique (pour de vrai, « unique ») émerveille les joueurs aux doigts rivés sur sa machine... Avant de se rendre compte que le jeu se termine déjà. C'est vraiment dommage car en étirant un peu plus la durée de vie, basé sur la qualité du dernier tiers du jeu, on aurait eu une plus grosse gifle. Superbe mais hélas, beaucoup beaucoup trop court, malgré le condensé d'idées.

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