Souvent confondu avec l'esthétique des environnements, le level design est un domaine de savoir encore mal connu de nombreux joueurs/ses, et pourtant...

Les architectes du virtuel

Inconsciemment, nous fréquentons cette notion de manière bien plus proche qu'on ne l'imagine au premier abord.
Le moindre pas que nous effectuons au sein d'un niveau aura été, autant que possible, anticipé par les level designers. Ces créateurs ne sont ni plus ni moins que les architectes des environnements de jeu que nous parcourons.
Le moindre couloir, le moindre ennemi, le moindre script (action prédéfinie)... tout cela fait partie de ce que l'on appelle level design. Plus qu'un savoir-faire, il s'agit d'un mélange hybride entre science et art, qui à lui seul peut transcender une expérience de jeu, ou au contraire, la détruire. Si un jeu s'avère ennuyeux, il est presque certain que le principal responsable de cette lassitude n'est autre qu'un level design mal pensé. A l'opposé de cela, il peut constituer le coeur d'un jeu et en être la qualité fondamentale.


Halo 3, soit un jeu au level design paresseux imposant de nombreux allers-retours au joueur, de manière parfois non justifiée.

Loin de se limiter à la mise en place d'un espace de jeu praticable et intéressant à parcourir, le level design régit le rythme de la progression du joueur, et dans le meilleur des cas porte la narration à bout de bras. Il doit tant que possible encourager le joueur à aller toujours plus loin, et l'étonner, le surprendre, quitte à le piéger. Néanmoins, jamais ne doit-il abuser de la progression par l'échec et oublier son rôle d'apprentissage envers le joueur. S'il peut volontairement oppresser le joueur à des fins scénaristiques ou narratives, il ne doit pas pour autant en devenir un ennemi impitoyable, au risque de susciter sa frustration, voire son rejet.


Tomb Raider IV, ou l'exemple d'un level design forçant trop souvent la progression par l'échec.

Le faux semblant

Nombreux sont les univers de jeu qui paraissent ouverts mais cantonnent en fin de compte le joueur à une succession de couloirs et de salles. Néanmoins, certains de ces jeux parviennent à se distinguer et ce, en trompant abilement le joueur au profit de l'expérience de jeu elle-même. Comment ? En lui donnant l'illusion d'une relative liberté, en lui permettant de faire marche-arrière, et surtout, de traverser littéralement l'environnement qui s'étend sous ses yeux. En réalité, il n'aura exploré qu'un quart de la vision d'ensemble donné par cet univers, mais le chemin lui étant imposé aura été conçu d'une telle manière qu'il en tirera au final un sentiment d'accomplissement.


Dans Mirror's Edge, le joueur est immergé au sein d'un environnement urbain massif, donnant l'illusion d'une certaine liberté, alors que l'ingénieux level design n'en exploite en fait qu'une partie modérée.

Un rôle prépondérant dans la qualité d'une expérience de jeu, essentiellement en ce qui concerne les jeux "couloirs", tels que la plupart des jeux action/aventure. L'enjeu change complètement avec les jeux à monde ouvert, où le level design doit alors inciter le joueur à envisager plusieurs chemins, plusieurs solutions pour un même résultat défini; autrement dit, le pousser à jouer en dehors des sentiers battus en le récompensant pour sa prise d'initiative. Une vision du level design de plus en plus sollicitée, car amenant à une forme émergente du gameplay, par laquelle le joueur va contourner/détourner les règles du jeu.
En somme, le level designer promène le joueur, en essayant de se mettre à sa place et d'anticiper son comportement, et parfois même, son état émotionnel.


Dans Just Cause 2, le gameplay et le level design offrent une liberté d'action conséquente au joueur, tout en motivant son inventivité.

Un formidable outil narratif 

Etant au coeur de la mise en place de la progression du jeu, le level design est intimement lié au game design, soit aux piliers soutenant le gameplay, le scénario ainsi que les bases de la direction esthétique et sonore. Certains développeurs l'ont bien compris, il est possible de relier narration et level design, ce qui donne parfois lieu à des phases de gameplay majeures là où la plupart des jeux se contenteraient d'une séquence cinématique. Le level design devient alors malgré lui un facteur émotionnel non négligeable, capable d'offrir un nouveau degré de profondeur à l'univers et à ses personnages. Ultimement, l'immersion en est décuplée, et le joueur, plus que jamais, se sent concerné et impliqué par les ambitions du personnage qu'il incarne.


Dans Uncharted Drake's Fortune, le level design a dû être pensé dans l'ensemble, le joueur voyageant en continu sur une île, sans temps de chargement apparent.
Le concept de voyage et la variété de situations contribuent grandement à la narration.

Toutefois, il demeure difficile de développer une narration lorsque le jeu accapare l'attention du joueur pour des séquences d'action, et des séquences intenses de manière générale. Il est important de le laisser souffler, et c'est pourquoi la plupart des jeux action/aventure s'évertuent à temporiser les phases d'action en les connectant par des phases dites de repos. Ces séquences de jeu, en plus de réconforter le joueur, offrent une opportunité narrative intéressante : une mise en introspection du joueur et du personnage, destinée à renforcer le phénomène d'identification.


Dans Silent Hill 2, l'équilibre entre intensité et repos est parfaitement maîtrisée, et amplifie l'identification en jouant sur le malaise permanent du personnage.

Quand level design rime avec évolutivité

Autre vision d'avenir pour le level design, l'évolutivité. En effet, de plus en plus de développeurs s'intéressent à cet aspect, et pour cause : un level design évolutif est souvent synonyme d'une plus grande liberté d'action pour le joueur. Toutefois, cette approche du level design représente un challenge délicat pour les développeurs, à savoir trouver le bon équilibre entre la part imposée au joueur, et la part de liberté. Autrement dit, le laisser s'approprier le level design sans que cela ne nuise à ses fondations même, et ne mette à mal les éléments y étant rattachés (ex: la narration).


Portal réussit l'exploit de laisser le joueur maîtriser l'évolutivité de son level design en lui donnant le pouvoir de se téléporter par des points d'entrée/sortie qu'il aura créés.

Bien entendu, cette approche n'est pas applicable à n'importe quel genre de jeu, et dépend également de la volonté première des développeurs. Dans certains cas, un level design évolutif peut s'avérer inapproprié et briser certaines bases du game design, c'est pourquoi il doit être considéré dès les premices de la création d'un jeu, et non comme un ajout de bonne fortune. Un level design mal pensé par défaut restera inefficient, qu'on lui greffe une dose d'évolutivité ou non. A la base du game design, il peut en revanche faire des merveilles et offrir un sentiment de nouveauté et de fraîcheur au joueur, même si le concept est au demeurant classique.


Battlefield : Bad Company a pour particularité son moteur de jeu (Frostbite), capable de gérer la destruction des décors et le morphing du terrain au sein d'environnements + ou - vastes.
Le level design évolue au fil de la partie, offrant au joueur une liberté d'action inégalée dans le genre FPS.

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En somme, vous l'aurez compris, il s'agit d'un élément majeur au sein de la création d'un jeu vidéo, et sur lequel repose de nombreuses responsabilités. Si les consoles de nouvelle génération ont permis une avancée considérable en terme de réalisation graphique et sonore, il en va de même pour les possibilités de level design. Malheureusement, peu de développeurs en réalisent le potentiel, ce qui n'empêche pas pour autant certains blockbusters de se vendre par millions, alors qu'à leurs pieds s'étend un level design d'une rare pauvreté.

J'espère que cet article vous aura intéressé, et vous aura permis de considérer le level design sous un autre regard. 

N-B : Les jeux cités au sein de cet article tiennent uniquement lieu d'exemples dont j'exploite un point particulier; mes propos ne se veulent donc aucunement être des critiques dévalorisantes pour les oeuvres dans leur ensemble.