... on est là pour parler sérieusement. C'est pas aussi simple que de te troller ou de t'idolatrer. En fait, je me suis penché sur ton discours, j'ai joué à quelques uns de tes jeux et j'y ai trouvé ma perspective préférée, avec toutefois quelques nuances...

Un monde entre nous

Faut être tout à fait honnête, je ne m'étais pas beaucoup essayé aux jeux que tu as créés avant d'écrire cet article. J'ai gouté Farenheit sur Xbox, mais je suis resté coincé quand un flic vient frapper à la porte, au début. Impossible de comprendre la mécanique de cette scène et ça m'a gonflé. Pas une heure que j'étais dessus, assez intéressé par l'introduction il faut le dire, mais franchement me retrouver bloqué si tôt, alors même que le gameplay du jeu n'était pas encore assimilé, j'ai trouvé ça maladroit.

Oui parce que les classiques Game Over, j'ai vu que tu les avais quasiment virés de Heavy Rain, une vrai tendance de la première génération HD. Ce jeu d'ailleurs, j'avais vraiment envie d'y jouer mais ma gonzesse m'a pris de vitesse et je l'ai regardée faire. J'ai vécu ce début comme un film, en tant que spectateur et c'était pas mal du tout. La tristesse, la mélancolie qui tombait à grosses goutes, c'était un peu une première dans un jeu vidéo.

Nan mais j'insiste ... fonder une oeuvre vidéoludique complète sur ça, c'était totalement neuf pour les joueurs et surtout pour les joueurs neufs. La volonté de nous plonger dans un ressentiment profond était extrêmement rare alors que l'immense majorité des jeux cherchent surtout à nous apporter du plaisir immédiat, à travers le gameplay ou la construction. Moi, je trouvais juste que vous étiez allés un peu loin, avec ce père qui perd 2 gamins...l'un après l'autre. Peut être que c'était nécessaire, que ça marchait pas avec un seul...mais je me suis quand même dit que c'était trop. Plus une affaire de gout qu'une vraie critique.

D'accord... Sinon, pour l'anecdote, ce n'est pas parce que je n'ai pas été emballé que je n'ai pas continué l'expérience Heavy Rain tout seul. Lors d'une soirée avec des potes, au détour d'une conversation, on m'a spoilé la fin du genre "J'aurais jamais cru que c'était lui le tueur". Pas de bol pour moi!!! Ce n'est pas avec ce jeu que nos âmes se croiserons la manette en main, à moins que l'envie ne me reprenne plus tard.

C'est vrai, mais j'ai tellement d'oeuvres à découvrir, tellement de jeux sur mes étagères numérique comme physique, que je donne à Heavy Rain une place bien éloignée du podium de mes priorités. Par contre, je sais de source sûre que c'est une des meilleures expérience de ma moitié, au point qu'elle ait cherché à voir les meilleures et les pires fins en jouant avec le scénario, essayant de réussir là où elle avait échoué comme d'échouer là où elle avait réussi. Et dans un jeu où le gameplay n'est pas central, je t'avoue que passer autant de temps à trifouiller pour "voir" me paraissait vraiment étrange. J'avais du mal à comprendre. L'histoire était finie, on connaissait le tueur, le moyen de sauver le gosse, on avait eu notre dose d'émotions, ne restait qu'à visionner Youtube pour avoir accès à ce qu'on avait manqué. Sauf que non, il fallait que ce soit elle qui débloque tout ça. La quête des succès, la volonté de le faire par elle même, le plaisir de jouer? Aucune idée. En tout cas, cette expérience en tant que spécateur fut des plus agréables.

 Oui, enfin c'est pas un film non plus, faut pas déconner. Mais c'est vrai qu'alors que j'appréciais l'expérience, les forums s'enflammaient. Trop de QTE, pas assez d'action, c'est un film interactif. Beaucoup de critiques, fondées sur toutes sortes d'arguments, qui touchaient essentiellement le gameplay mis à mal par la création d'une oeuvre voulue "sentimentale", dramatique par certains aspects. Et si le gameplay est clairement criticable, parce que les joueurs ont l'habitude de leurs gouts et qu'ils savent apprécier ou non l'interface qu'on leur offre, la mise en scène comme l'excès de tristesse étaient des notions qui n'avaient jusqu'alors pas autant de place dans le jeu vidéo. Avec toi David, on en venait aussi à critiquer ton écriture, ta mise en scène, ton cinéma quoi.

Bon, ok, j'ai compris l'humour. En tout cas, l'éloignement du jeu vidéo classique était une cause évidente de la critique. Voilà la principale pique adressée à Heavy Rain, lancée par des hordes de joueurs qui n'ont pas apprécié ou compris ta démarche: C'est ennuyeux, c'est pas un vrai jeu. Parce que passer du temps à ouvrir son frigo, boire un verre, s'occuper d'une discution "anecdotique" avec son fils virtuel, ne sont pas des mécanismes habituels... ni franchement sources d'adrénaline. Ce sont pourtant des gestes simples qui m'ont permis de rentrer dans l'histoire, de marquer la différence, d'imposer un rythme nécessaire. Heavy Rain est donc apparu aux yeux du grand public comme un film interactif attirant, auprès de la majorité des "gamers" comme une trahison aux spécificités du jeu vidéo.

Ah mais oui Hideo, on est bien d'accord... Je me souviens m'être défendu contre des "anti" quand je défendais le jeu sur tablette ou sur smartphone. A savoir si j'étais un vrai ou un faux gamer avec mes doigts glissant sur l'écran. Pourtant, quand je joue à Xcom, que ce soit sur PC, PS4 ou iPad, je vois pas trop en quoi je passe d'un bord à l'autre, que j'ai une souris, une manette ou une tablette entre les mains. De même, entre Gears of Wars, Uncharted, Shenmue et Heavy Rain, la différence de gameplay est faible. Je veux dire qu'il y a plus de points commun entre ces jeux, qu'entre n'importe lequel des 4 et Super Mario Bros ou Megaman. Alors du coup... a quel moment on bascule du côté du cinéma interactif pour le gamer? Et puis quel intérêt de polémiquer sur cette frontière du moment qu'on joue? 

Oui, bien sûr, les grandes phrases sont belles! En attendant, Heavy Rain s'est pris une charge négative incroyable A mettre sur le même plan le gameplay, la mise en scène, le jeu d'acteurs, le scénario, on s'attire les foudres venant de tous les côtés et particulièrement quand on est le premier. A croire que le changement, pour peu qu'il ne fasse pas l'unanimité, mérite le pilori. Toutes les qualités du titre mises à la trappe des forum pour ne laisser que les défauts vus à la loupe... Et du coup, la voix de ceux qui ont adoré s'est effacée sous les huées... ou presque.

.... Mais moi j'ai adoré, je le jure. Et j'ai pas honte! Alors ok, je ne peux pas me définir comme un hardcore gamer savant, du moins plus maintenant que j'ai grandi, mais j'ai fait de nombreuses expériences au fil des différentes plateformes, de Pong à la PS4. J'ai surement des dizaines de milliers d'heures au compteur et Heavy Rain, je n'y ai vu que des avantages. Un vrai film dont on peut revivre le suspens, sans avoir la certitude que le déroulement habituel puisse nous libérer de notre tension. Comme si, en regardant Alien, il y avait une chance que Riplay ne s'en sorte pas, pour de vrai, sans passer par la case classique GameOver. Je trouve qu'Heavy Rain est extraordinaire dans le sens où il adapte son déroulement à notre capacité de joueur ou à notre volonté d'humain, offrant plusieurs fins possibles, plusieurs structures formant un tout cohérent. Le tout étant de vivre au moins une fois une de ces histoires disponibles, sachant que quoi qu'il arrive, il y aura une fin, une vraie, sans qu'on puisse prédire laquelle.

... et je ne peut qu'être d'accord avec l'Alien!!! Aussi, quand j'ai abordé Beyond Two Soul, je m'étais préparé à vivre une expérience similaire à celle dont j'avais été spectateur, dans un autre univers, avec une autre scénario. Pour moi, j'allais jouer à un jeu "David Cage", comme une suite de ce que j'avais déjà vécu ou fantasmé et donc avec l'apréhension de mon expérience des jeux précédents. J'ai été subjugué, pris de court et ébloui...pas uniquement par le jeu lui même, mais par ta progression dans la narration.

Oui, le scénario est moins classique, moins basé sur un secret incroyable, plus adolescent alors que je suis un adulte et j'avais bien lu à droite à gauche que les décisions ne modifiaient pas énormément le déroulement. J'avais même clairement assimilé tout ça à un défaut. Pourtant, n'étant pas vraiment, comme je te le dis plus tôt, du genre à voir toutes les fins, j'ai foncé tête baissé en espérant vivre une aventure touchante. Et j'ai été touché. D'abord parce que c'est vrai que mes choix dans le jeu n'avaient pas forcément une grande influence sur le monde que tu avais créé, mais que l'impact n'avait pas à être sur le jeu lui même...mais sur moi. Rater un QTE ne voulait pas forcément dire rater une scène. Répondre trop tard à une question se traduisait souvent par "répondre trop tard et puis c'est comme ça", comme un trait de caractère. Comme quand, dans la vraie vie, on ne trouve pas la réplique juste au moment où elle devrait sortir. De la même façon qu'on ne peut revenir totalement sur une situation et sur un acte manqué, rejouer une scène n'avait aucun sens narratif alors que j'étais emporté par l'histoire. Je devais vivre avec et j'ai bien vécu ça avec Jodie, dans les réussites comme dans les échecs.

Oui, mais ça reste une expérience vidéoludique incroyable...Et je comptais pas passer la nuit dans la rue pour tes beaux yeux.  N'empêche, n'ayant pas "réussi" à sauver certains personnages, sans même savoir s'il y avait moyen de les sauver, je me laissais emporter par ton histoire qui filait à toute vitesse. Et j'ai réalisé que l'importance des choix se trouvait ailleurs que dans l'élasticité du scénario, comme une progression après Heavy Rain. Chaque décision, réussite ou échec, ne me permettait pas forcément d'agir sur l'histoire future, ni même d'avoir conscience de ce futur, mais plutôt de toucher à ma relation avec une Jodie à la fois indépendante et très personnelle. Nos souvenirs communs, mes choix qui l'ont façonnée dans mon esprit plus que dans le jeu. J'ai en fait influencé ma perception du personnage à travers mes propres actes. Tuer ou non, m'énerver ou rester calme, me venger ou encaisser sans broncher... Jodie est devenue une image de ma personnalité dans le jeu. Voilà où est le génie. Voilà où est la bonne idée, parfaitement exploitée à coup de mises en scène cinématographiques, teintées de gameplay intelligent.

Mais noooooon! J'ai vraiment aimé cette différence entre les deux. L'un est multibranche et donne au joueur un scénario adapté à ses actions quand l'autre est quasiment dessiné en ligne droite et impacte la sensibilité du joueur à travers ses actes. Deux idées qui ne se complètent pas forcément. Là où j'avais imaginé que tu avais progressé, tu as changé de direction et exploré une nouvelle voie. Et ça, pour être honnête, j'ai beaucoup apprécié. J'entends bien ceux qui "accusent" ton jeu de ne pas être un jeu, mais j'ai tellement de mal à les comprendre tant l'expérience était rafraîchissante et agréable. Moi qui n'en peux plus des narrations expliquées, des gameplays redondants, des Gears of War Like, des Call of Duty like, des Uncharted like... j'ai trouvé en Beyond: Two Souls un renouveau inespéré, touchant autant le gameplay fait de gestes nouveaux que la narration à la fois sinueuse et bien menée. Moi l'enfant du jeu vidéo, j'y ai joué intégralement avec mon iphone, en toute simplicité. Alors que je suis devenu un snack gamer, happé par le temps nécessaire aux gestes de la vie quotidienne, je me suis posé sur ce jeu comme je peux le faire sur un bon livre et ça, c'est vraiment quelque chose de rare. De plus en plus rare.

Bien sûr qu'il en faut pour tous les gouts, bien sûr que Call Of Duty et Titan Fall ont leur place dans l'histoire des jeux vidéo Je suis le premier à aimer faire un tour de bagnole à grande vitesse ou un voyage dans l'espace pour dézinguer des zombies... mais s'il faut que le jeu vidéo murisse, et c'est un de mes souhaits, ce sera aussi grâce à des initiatives comme la tienne ou comme celle de Kojima. Ne pas suivre aveuglément les codes du jeu vidéo offre bien plus d'opportunités que l'amélioration de la copie du voisin. Le problème reste la pérénité d'une telle philosophie. Car en prenant des risques, tu te mets forcément à l'écart de la voie principale, de celle qui rapporte. Et d'autres en ont fait les frais avant toi.

 En même temps, l'histoire nous donne énormément d'exemples et de contre-exemples, comme le multi millionaire Grand Theft Auto qui, jouant à la fois sur une histoire extrêmement travaillée et des personnages athypiques, avec un gameplay nerveux et violent, réussi à me toucher en tant que gamer autant qu'il me secoue et me choque en tant qu'humain. Et tout ça avec un succès commercial incroyable. Alors OK, on tire, on tue, on saute. Tout ça c'est assez classique, mais enrobé d'une vraie histoire et d'un vrai attachement aux personnages. Moins ancré dans cette idée que tes propres expériences, certes, mais pas dénué de profondeur.

Merci Trevor d'appuyer mon propos ... Mais que dis tu de Spec Ops - the line qui, avec un fond intéressant et bien plus mature que n'importe quel Call Of Duty, n'arrive pas à toucher son public et reste dans les profondeurs assassines des charts mondiaux, condamnant de ce fait toute possibilité de voir les FPS guerriers se teinter d'un minimum de conscience. Comme Beyond: Two Souls, qui me semble être un des tous meilleurs jeux de la génération alors que la plupart des notes et des commentaires n'en font qu'un vulgaire film interactif. Or, si je veux que ces expériences se multiplient, je sais aussi qu'elles doivent trouver le succès commercial...Et ce n'est malheureusement pas gagné à chaque fois...

Et bien je ne sais pas. Je vois vos enfants naitre et grandir, ainsi que ceux qui grandissent à leurs côtés. Je vois l'influence que tu as eu sur The Witcher 3, sur le studio Telltale, et sur tellement d'autres depuis Heavy Rain. Je vois la façon dont ils magnifient à leur idée la voie qu'ils partagent avec toi, avec vos influences communes, qu'elles soient ludiques, cinématographiques, culturelles. Je vois aussi les moqueries et les déconsidérations de ceux qui n'y trouvent pas leur intérêt, souhaitant écarter tour à tour le cinéma interactif ou le jeu tactile, comme le casual gaming. Je vois ceux qui hurlent au scandale quand Julo ose avouer qu'il est touché par ta grâce. Du coup, je ne peux que t'apporter mon vote, à toi comme à tous ceux qui me racontent des histoires qui me plaisent, cherchant parfois à me bousculer dans mes habitudes de joueur...parce qu'il ne peut pas y avoir qu'une seule voie pour le jeu vidéo.

Et parce que le jeu ne nous définit pas. Comme je l'espère pour mes collègues, nous avons une culture musicale, cinématographique, littéraire, artistique et que cette culture n'est vivante que parce qu'elle est multiple. Parce que nous avons tous des valeurs différentes, des principes de vies parfois opposés sans qu'ils soient forcément opposables. Alors clairement, la voie que tu as choisie est une voie saine, prometteuse et enivrante. Elle est une voie parmi tant d'autres et d'ailleurs pas forcément celle qui percera le mieux, mais c'est une voie que je suivrai avec attention parce qu'elle me donne envie de jouer, de...

Oui, David... tu as raison! 

Olive Roi du Bocal