Yop tous,

Quand mon frangin m'a demandé ça, devant un nan bien baveux de vache qui rit et parfait pour mon cholestérol, un mets d'ailleurs idéal pour accompagner l'agneau tikka tout gras qui me servait de plat de résistance, j'ai failli avaler de travers. Non, pas parce que je bouffais n'importe quoi n'importe comment, ça c'est mon lot quotidien. En fait, j'ai respiré un grand coup, rigolé un grand coup, et j'ai dit oui en recrachant le bout de viande qui s'était coincé au fond de ma gorge sous l'effet de la surprise. Parrain, moi ? D'une petite fille ? Je pouvais pas laisser passer ça.

J'imagine que ça a dû discuter longtemps, en haut lieu. Parce que ma belle soeur, elle, elle est du genre méfiant. Alors, quand on se retrouve flanquée d'un beauf qui a fait de son bureau une salle de jeu - et pas que le bureau, en fait - et qu'on  nourrit une aversion franche et profonde pour la chose vidéoludique, je veux croire qu'on a du mal à se dire un truc du genre: "Tiens, je vais confier à ce type-là la vie de ma fille, au cas où tout ne se passerait pas comme prévu". C'en est encore plus délectable. Parce que moi, ma filleule, je sens que je vais l'adorer. Et c'est bien connu, quand j'aime, j'aime partager. Autant dire que je vais faire de la schtroumpfette une authentique et minuscule geekette assumée. Je prie pour que sa maman ne voie pas cette petite bafouille avant que le mal ne soit fait : parce que c'est dit, bientôt, on sera assez nombreux dans la famille pour tenir une équipe complète à Fifa, vu le nombre de givrés qu'on réunit autour du sapin chaque année.

Maintenant que j'y pense, mon frangin avait un petit sourire sadique quand on en a causé. J'imaginais qu'il devait se douter, lui aussi, de ce qu'il allait arriver. C'est une cabale dont je suis le bras armé, j'y mettrais ma main à couper. Une offensive version Battlefield pour forcer madame à capituler face à la Force - version LucasArts, restons puristes - qui est puissante, dans ma famille - mes parents, qui ont autrefois désespérément tenté de nous forcer, mon frangin et moi, à rejoindre nos lits alors que nous étions en pleine partie de PES ou de FF7 à 4h30 du matin, peuvent en témoigner. J'ai déjà tâté le terrain, tiens, il y a quelques jours. Devant les brochettes du barbecue, j'y suis allé des premières insinuations subtilement distillées... "Tu pourrais amener une gourmette", qu'on m'avait dit. Je me suis exécuté. Et en tendant le cadeau à ma belle-soeur, j'ai glissé un petit "Dans le prochain, y'aura des piles". Regard noir et furibard à la clé. Sourire amusé du frangin, aussi, mais qui a su rester discret. J'ai un allié dans la place, j'en suis sûr. La bataille est déjà presque gagnée.

Après tout, c'est une question de principe. Aux jeux vidéo comme dans la vie, j'aime gagner. Le premier bébé me fut honteusement soustrait et je n'ai pu exercer ma terrible influence comme je le souhaitais. Le résultat est mitigé : la demoiselle joue, certes, mais de manière très modérée. Je garde espoir, cependant, l'adolescence devrait, la concernant, m'offrir une nouvelle opportunité. Et puis je vais vite pouvoir compter sur sa petite soeur pour l'attirer du côté obscur. J'entends d'ici les "Diiiiis, tu viens jouer avec moi ?" auxquels il lui sera difficile de résister. Ayez confiance : d'ici peu, j'aurais fait en sorte de convertir toute la petite famille aux joies de Bomberman en multitap PC-Engine. J'ai déjà tout prévu, je suis ma-chia-vé-lique...