Hello tous,

Aujourd'hui, je vous cause de Mud, sur les rives du Mississipi. Si vous ne l'avez pas encore vu, c'est un crime. Mais vous pouvez vous rattraper dès le 4 septembre, date du sortie du blu-ray et du dvd. Oui, c'est incontournable. Non, je ne vous parle plus si vous n'allez pas voir cette merveille. Ceci était un préambule nécessaire.

 

A hauteur d'enfant, c'est un immense trésor. Quelque part au fin fond de l'Arkansas, au coeur des bayous du Mississipi, Ellis et Neckbone, 14 ans mais vrais petits gars élevés à la dure, lèvent le nez vers les arbres. Là-haut, il y a la promesse d'une folle aventure. Car, incongru, un navire s'est échoué ici entre les branches, à la faveur des crues de l'indolent fleuve américain. Les deux adolescents rêvent de pouvoir le remettre à l'eau. Mais l'esquif est déjà revendiqué. Un homme étrange y a installé les fragments de sa vie spartiate et dissimulée. Presque un Robinson Crusoé. Pêcheur à ses heures, étrangement fascinant, Mud a les yeux rivés sur le lointain mais les pieds enfouis dans la boue du Mississipi. Et il rêve, oui, il rêve. A sa belle dont il attend des nouvelles, qu'il veut sauver, encore et encore, des autres mais aussi d'elle-même. Pour elle, il se raconte qu'il a déjà tué. Mud est un romantique désespéré. 

Mud, c'est le troisième film de Jeff Nichols après les passionnants Shotgun Stories (2007) et Take Shelter (2011) - deux oeuvres hautement recommandables d'ailleurs. Et à 35 ans, Nichols cotoie déjà les plus grands au firmament du cinéma américain. Attention, pas celui, très hollywoodien, où l'on expose les grands sentiments, où chaque scène un peu rythmée doit se solder par un déluge de feu, de tôle froissée et/ou de sang bien éclaboussé. Non, ici, les grandes histoires flirtent avec la retenue, et l'on explore un scénario bien ficelé sans jamais oublier la complexité de l'âme humaine, sans omettre ce monde réel dans lequel tout un chacun est embourbé. Titrer son film Mud - "la boue" en français -, c'est déjà donner au spectateur un indice de ce fil directeur qu'il faudra suivre deux heures durant. Il y a cette "boue" dans laquelle vivent les adolescents, celle dans laquelle ils doivent se débattre pour trouver leur chemin, construire un avenir hésitant. Il y a cette boue dans laquelle évoluent leurs parents, complexe mécanique des sentiments, du désamour parfois, qui peut en arriver à forcer des hommes et des femmes attachés à leur vie au bord du Mississipi à tout quitter pour un ailleurs aseptisé. Il y a cette boue, enfin, qui force Mud, l'homme, à rester loin de la civilisation, caché des regards. Son crime se dévoile peu à peu, à mesure que le soleil sèche les terres, craquelle l'illusion, le mensonge, pour finalement révéler une vérité plus émouvante encore qu'on l'avait espérée - redoutée ?

La grande force du film de Jeff Nichols, c'est de dévoiler cette histoire passionnée, passionnelle, inquiétante parfois, du haut d'un regard d'enfant. Ellis et Neckbone sont les catalyseurs de l'histoire, ceux qui la font avancer dans les méandres du Mississipi, ceux par qui le dénouement enfin peut arriver. Et leur regard se pose sans concession sur le monde des adultes, celui des illusions perdues, des sentiments fourbus, des hommes qui ont appris à incliner la tête pour survivre, plutôt que de vivre en accord avec ce qu'ils sont. Nichols filme l'intransigeance du regard de l'adolescence, s'émeut de sa capacité innée à choisir entre le bien et le mal, là où les adultes ne verraient que des nuances de gris. Ce faisant, il met en images un monde qui nous apparaît familier, mais dont les codes semblent toujours nous échapper. Le spectateur, finalement, se perd comme Ellis et Neckbone dans cette ville voulue labyrinthique, pour au contraire se retrouver sitôt embarqué dans le petit canot avec lequel les deux adolescents renouent avec le regard de figures littéraires imaginées voici plus d'un siècle par Mark Twain... Tom Sawyer et Huckleberry Finn.

C'est là, au fin fond des bayous, que survient leur passage à l'âge adulte. Récit initiatique douloureux. Les histoires d'amour finissent mal, en général. Celle de Mud n'échappe pas à la règle. La vérité, également, peut blesser, dit Nichols, mais elle permet d'ouvrir les yeux sur le monde tel qu'il est. Libre à chacun, après, d'en faire son deuil ou de vouloir le changer. Car tout change, dit aussi le réalisateur. Jusqu'à cette nature majestueuse, immuable, jusqu'à ce délicat équilibre qui autorisait la coexistence entre elle et les hommes qui en vivent. Le Mississipi est filmé tel un personnage, se dévoile d'abord dans ce qu'il a de plus sauvage. Puis, petit à petit, se révèle colonisé par l'homme, parfois menacé dans son immémorial tracé. Mais la nature reste fidèle à ce qu'elle est. Immuable, elle regarde avec indulgence le drame qui se joue entre ses lianes. Puis reprend sa route, sans rien changer de sa nature. A l'image de tous ces personnages rencontrés, qui sont, chacun à leur manière, de beaux exemples d'humanité debout sur ses pieds. 

Et puis il y a ce personnage, central, par qui tout arrive. Mud (Matthew McConaughey) est un mystère, l'un de ces hommes empreints de profondeur qui dévoilent autant leur part d'ombre que de lumière. Mud est prêt à tout pour que vive son histoire d'amour, enrôle les deux adolescents dans sa quête insensée, tire le film de la gentille bluette vers des recoins, plus obscurs, où l'on joue de la violence pour se venger, parfois pour tuer. Mud est un film empli de colère, celle ressentie par Mud, celle que ses actes font naître autour de lui. Refus de la simplicité : on parle de trahison, de mensonge, de haine, de douleur. L'on montre aussi la vertu, le courage, la bonté. Mud est à la croisée de tout cela. Capable du pire comme du meilleur. Et le film de s'employer à montrer, sans complaisance, quelle facette de sa nature s'en vient à l'emporter.

Mud a la beauté des récits classiques du grand cinéma américain. Limpide, passionnant, sans jamais verser dans la simplicité, il vient consacrer le talent d'un réalisateur que l'on sait désormais devoir suivre de près. Il met aussi en lumière le talent fou de deux gamins, Tye Sheridan et Jacob Lofland, et vient confirmer tout le bien que l'on pouvait déjà penser de Sam Shepard, Michael Shannon et, surtout, de Matthew McConaughey, qui pourrait bien rejoindre les plus grands au firmament hollywoodien ces prochaines années. Mud avait ce qu'il fallait de bonne terre pour permettre à tous ces talents de se retrouver et de s'épanouir sous le ciel de l'Arkansas, qui n'a jamais été aussi bien filmé. Terre fertile, s'il en est...