Illustration by *guen20

 Attention, ce post contient des spoilers

 

Et soudain, l'obscurité. En plein mois de juillet de l'année 2000, les salles obscures hexagonales accueillent quasiment dans l'indifférence générale un petit film américain qui n'a guère fait parler de lui jusqu'ici. Le réalisateur, David Twohy, y met pourtant en scène un petit pitch SF aux délicieux relents de survival sévèrement burné. C'est que, doté d'un budget de 23 millions de dollars, Pitch Black peut tout se permettre, loin du formatage à l'hollywoodienne que subissent depuis trop longtemps les films qui s'aventurent dans l'espace. Alors Twohy joue la carte de la pelloche jusqu'au boutiste, masque les limites budgétaires en posant les principes d'une action en clair-obscur. C'est dans le noir que se déroule une bonne partie du film, c'est dans le noir que vit et s'épanouit son héros. A l'époque, Riddick est un inconnu, tout comme l'acteur qui l'incarne. Vin Diesel n'a pas encore rencontré le succès avec Fast and Furious et xXx. Il ne tardera pas à passer de l'ombre à la lumière.

Pitch Black est conçu comme un one-shot. Un vaisseau de transport commercial, victime d'une collision avec des météorites, s'écrase sur une planète inconnue. Les quelques survivants sont à la base de la mythologie de la franchise. Au sein du groupe, il y a Riddick, d'abord, le détenu surveillé de près par Johns, son gardien. Il y a l'imam, accompagné de ses trois fils, en route pour la Nouvelle-Mecque. Il y a la petite Jack, aussi, et Paris, Fry, Shazza, Zeke... Il se croient seuls sur ce caillou gigantesque, mais ce n'est pas le cas. Tapies dans l'obscurité vivent des créatures qui n'attendent qu'une éclipse pour réclamer leur dîner. Et face à elles, il n'y aura guère qu'une chance de survivre : rendre à Riddick sa liberté. Mais le remède n'est-il pas pire que le mal ?

Pitch Black rend clairement hommage à Alien, joue de l'absence des créatures avant de déchaîner les enfers sur les pauvres protagonistes condamnés à fuir et à chercher les refuges les plus improbables, avant de se battre pour leur vie. L'urgence est omniprésente, elle sert de moteur à une histoire par ailleurs assez mince. Surtout, Twohi parvient, avec son équipe, à filmer l'obscurité sans y perdre de vue qu'il ne doit pas y égarer le spectateur. L'astuce est remarquable : Riddick est nyctalope, ses yeux deviennent, lorsque nécessaire, ceux de la caméra. Le spectateur est accroché à son fauteuil, la peut l'étreint sitôt la nuit tombée. Il ignore cependant, même à la fin du film, quelques petits détails qui changent tout à la portée de ce long métrage qui se suffit à lui-même. Car Riddick aurait dû mourir dans cette bataille, si les producteurs, séduits par le potentiel du personnage, n'avaient finalement décidé de le préserver pour lui offrir une suite. Quant aux quelques survivants de cette nuit d'horreur, ils sont le ciment avec lequel se bâtira la suite directe de cette épopée. Quatre ans plus tard surgira en effet Les chroniques de Riddick du côté des cinés. L'un des films de SF à mon goût les plus incompris et les plus injustement mésestimés.

 

Vous avez dit Furien ?

Le long métrage Les chroniques de Riddick sort sur les écrans français le 18 août 2004. Les ambitions du film, mues par le succès critique et DVD de Pitch Black mais aussi par la nouvelle notoriété de Vin Diesel, sont nettement revues à la hausse. Doté d'un budget de 110 millions de dollars, le nouveau bébé de David Twohy est caréné comme un blockbuster. Mais il a, surtout, l'âme d'un film de SF osant s'aventurer aux confins de l'ésotérique et du mysticisme, posant dans son scénario le postulat de l'arrivée dans l'univers d'un peuple de guerriers au service d'un fou mystique, les Necromongers, et dont l'objectif n'est autre que supprimer toute forme de vie pour s'ouvrir les portes de l'anteverse. L'anteverse est présenté comme un paradis, mais pour ouvrir ses portes, c'est le chaos et la désolation qui sont semés au fil des mondes. Quant à ceux qui survivent, ils sont "convertis" à la foi Necromonger. Marcher dans leurs pas, ou périr.

Le scénario, rédigé par David Twohy lui-même, est une allégorie, pas toujours très fine certes mais efficace, du nouveau Testament. Face au peuple Necromonger - comprendre les Romains et leur hégémonie méditerranéenne voici 2000 ans -, un seul être peut en effet faire face. Car Riddick est un Furien, le dernier héritier d'une espèce éteinte, détruite par le Haut commandeur, le chef suprême de l'armée Necromonger (Herode dans le texte). Une dimension christique du héros contrebalancée heureusement par sa nature profonde, celle d'un anti-héros total, rebelle jusqu'au bout des ongles. Mais c'est bel et bien la religion, une guerre de religions même, que dépeint Les chroniques de Riddick. C'est l'imam qui force le Furien à sortir de sa retraite en mettant (indirectement) sa tête à prix afin de donner une chance à l'humanité. C'est une conversion que tente le peuple Necromonger sur Riddick, avant de devoir admettre que sa foi en lui et sa nature même sont trop fortes pour être domptées. C'est la religion encore qui amène les Necromongers à déclencher une guerre sainte contre l'humanité, puis à prononcer une fatwa contre celui qui menace leur équilibre et leurs desseins.

Le film offre une esthétique particulièrement léchée, sublimée par une réalisation de première classe, alternant visions inspirées de mondes lointains et aventures spatiales. Il ne perd pas pour autant de vue l'ADN de Pitch Black, ce goût assumé pour l'obscurité. Le personnage de Riddick, plus pince-sans-rire que dans le premier volet, manque parfois un peu de justesse, mais il démontre un sens de l'épique qui fait plaisir à voir. Diesel croit en son personnage, et rend crédible la cause qu'il en vient un peu malgré lui à défendre. La relation entre la jeune Kira  (la petite Jack de Pitch Black) et Riddick est également l'une des forces du film, amenant son héros, plutôt froid, à montrer une autre facette de sa personnalité - et à prendre la décision d'assumer sa destinée. Un petit versant intimiste qui vient agréablement contrebalancer les ambitions visuelles du long métrage, pour le coup techniquement très ambitieux.

On a beaucoup reproché aux Chroniques de Riddick d'ouvrir des pistes scénaristiques sans réellement les exploiter. C'est sans doute ce qui a coûté cher à l'oeuvre, tant sur le plan critique qu'en termes de nombre d'entrées. Avec 115 millions de dollars de recettes mondiales au cinéma, le film fut de fait un échec assez retentissant. Injuste cependant, car l'oeuvre n'était pas à concevoir comme une fin en soi. Twohi et Diesel envisageaient en effet d'en faire une trilogie, la suite devant initialement permettre à Riddick de se confronter à l'anteverse. Il faut également noter que le long métrage existe en deux versions, la première, diffusée au cinéma, étant amputée d'une bonne quinzaine de minutes explicitant, entre autres, la mythologie furienne et la prophétie annonçant la venue de Riddick face aux Necromongers. Moins fluide, cette version étendue gagne en clarté et précise certains aspects obscurs du scénario, à commencer par la personnalité du Purificateur, si radicalement surprenant dans le métrage initial.

 

Riddick revient

L'échec commercial du film aura évidemment durablement mis un terme à l'ambition de constituer la franchise en véritable saga du septième art. Mais pour une fois, la logique comptable a pu être contournée. Les Chroniques de Riddick, qui ont valu à Diesel d'être nominé aux Razzie Awards pour sa prestation, ont peu à peu conquis un public de fidèles au gré des éditions DVD, puis blu-ray. Les adpatations de l'univers Riddick, que ce soit en dessin animé (Dark Fury en 2004) ou en jeux vidéo (Escape from Butcher Bay en 2004 puis Assault on dark Athena en 2009) ont également redoré le blason de la saga tant par leur qualité que par leur succès public. Quant à Vin Diesel, sa récente renaissance dans la franchise Fast and Furious a refait de lui un acteur résolument "bankable".

Au point mort pendant plusieurs années, l'idée d'une suite a donc peu à peu émergé. Ce qui a malgré tout un prix: Riddick (c'est le nom du troisième film de la franchise) revient à une dimension plus modeste, le budget étant revu nettement à la baisse comparé au précédent volet. Mais ceci lui permet de renouer plus radicalement avec le premier opus, tout en s'affranchissant des contraintes d'un blockbuster qui fut en son temps astreint à nombre de coupes pour s'octroyer un PG-13 plutôt qu'un classement R (déconseillé aux moins de 17 ans). Riddick sera donc sec comme un coup de trique, et devrait constituer une expérience visuelle de tout premier ordre pour ceux qui cherchent la tension devant un écran de cinéma.

Riddick se fera à nouveau expérience survival, sans pour autant oublier de faire le lien avec le reste de la franchise : l'on y apprendra comment le Furien a été trahi par les Necromongers, puis déposé sur une planète hostile, peuplée de créatures qui n'ont rien d'amical. David Twohy, à nouveau à la réalisation, a réussi à s'affranchir de la tutelle des studios, en grande partie grâce à Vin Diesel qui a accepté de tourner pour un cachet nettement plus réduit qu'à l'accoutumée. Fan de la franchise, l'acteur a en effet demandé à ses fans ce qu'il devait faire, sachant que son engagement sur le film ne serait pas rentable pour lui. Et 8000 commentaires sur facebook ont suffi à le convaincre qu'il ne pouvait pas s'affranchir de cette tâche. Je vous renvoie, en l'occurrence, à l'excellent dossier paru ce mois-ci dans le magazine Mad Movies et faisant le point sur le sujet.

De ce que les journalistes de Mad Movies ont pu voir, d'ailleurs, le film renoue avec l'esprit primal du personnage, avec la radicalité des plans, la sécheresse des décors et l'ultra-violence des scènes d'action. Riddick veut ressusciter les pelloches sans concession des années 80, proposer à nouveau une expérience SF mue par sa mise en scène et son histoire plus que par l'esbrouffe visuelle - fans de Prometheus, suivez mon regard. C'est évidemment de très bon augure, et c'est une initiative que tous les fans de ce cinéma à l'ancienne, libre et non formaté, se devront de soutenir. Car c'est à ce prix seulement que Riddick pourra peut-être, enfin, accomplir sa destinée...