Trailer VF "red band" (non censuré) d'Evil Dead, de Fede Alvarez. Déconseillé aux moins de 16 ans.

 

Post déconseillé aux moins de 16 ans

 

Hello tous,

Ce film-là, je ne pouvais pas le rater. Parce qu'Evil Dead, l'original j'entends, c'est une histoire d'amour. La mienne, celle de mes premiers grands frissons de cinéma, nés ici, dans cette terrifiante affaire de possession au fond des bois. Sam Raimi, Bruce Campbell. Ash. La tronçonneuse. La main. Oui, la main. Et cette caméra qui court à travers la forêt, présence hostile qui possède, attaque, se défend, se rit et se joue des hommes et des éléments. Si Evil Dead a marqué son époque à sa sortie, c'est parce qu'il est une représentation fidèle de la folie sur grand écran. Il est la carte d'un monde déviant, le roman de ses protagonistes qui le sont tout autant. Evil Dead a construit son mythe sur la frénésie et le goût de l'excès, sur la peur viscérale et un indéniable sens du deuxième degré. Un filon que ses deux suites, chacune dans son genre, ont su magistralement exploiter.

Alors, évidemment, qu'un reboot de la saga soit tenté aujourd'hui est une sacrée gageure. Autres temps, autres moeurs, comme on dit. S'il est plus facile de représenter la violence à l'écran, nous avons perdu, durcissement du classement "R" aux USA oblige, de cette capacité à produire de la pelloche réellement dérangeante, capable d'installer le malaise, puis la terreur en échappant à l'effet "montagnes russes". C'est là tout le paradoxe d'une époque où l'apparence s'est mise à primer sur le fond, et c'est ce qui rendait le pari d'un nouvel Evil Dead si risqué. Et c'est ce qui faisait de la découverte de ce film, validé par Sam Raimi lui-même, un impératif pour le fidèle de la saga que je suis depuis maintenant plus d'une vingtaine d'années.

Voir le premier long métrage du jeune Fede Alvarez (Ataque de Panico, le court qui l'a fait connaître, est impressionnant, et à voir à l'adresse https://www.allocine.fr/film/court-metrage/news-18618931/) apparaître sur les programmes ciné avec une mention "déconseillé aux moins de 16 ans" avait quelque chose de rassurant. Que Sam Raimi lui-même ait choisi Alvarez pour ressusciter son film, avec la bénédiction et le soutien de l'équipe qui avait réalisé l'original, était également un motif de confiance. Et de fait, cet Evil Dead nouvelle formule a pas mal d'arguments à faire valoir. Extrême, couillu et jamais con, le film d'Alvarez est une vraie pelloche horrifique comme on n'en voit plus. Un signe qui ne trompe pas : pour la première fois depuis bien longtemps, j'ai sursauté au cinéma. Dans une salle pleine à craquer de jeunes - et moins jeunes - adultes visiblement très absorbés par cette affaire.

[Attention, la suite contient quelques spoilers, mais rien de crucial]

Cet Evil Dead, partant, n'est pas vraiment un reboot de l'opus inaugural de 1981. Autres personnages, autre histoire, autres conséquences, et surtout autre manière de traiter le sujet. David, Eric, Mia, Olivia et Nathalie se retrouvent certes dans une vieille cabane familiale, mais ceci pour aider Mia à échapper à sa toxicomanie. Pas d'enregistrement retrouvé au sous-sol et diffusé par erreur non plus, mais la lecture à haute voix du livre des morts lui-même - dont  l'exemplaire visible dans le film, à la couverture en peau humaine comme il se doit, devrait devenir un "prop" très recherché ces prochaines années, tant il est réussi. Alvarez prend le parti de raconter sa propre histoire, évidemment éternellement rattachée à l'invocation d'un démon qui va posséder et tuer ses hôtes l'un après l'autre, mais ceci sans tomber dans la citation facile de l'original et en cherchant une tonalité qui lui est propre. Les références existent, certes, à l'image de la scène du viol par les bois ou de celle de la main coupée, mais elles sont immuablement l'occasion pour le réalisateur d'apporter, paradoxalement, un point de vue nouveau sur l'histoire. C'est la grande force de ce long métrage relativement court (1h30): le spectateur connaissant la trilogie originale est sans doute encore plus perdu que celui qui s'en vient pour la première fois à découvrir le sel d'un Evil Dead. Toutes les références sont manipulées, transformées, mènent au contre-pied et surprennent sans jamais trahir, pourtant, le matériau originel, infiniment respecté.

Conséquence immédiate et salutaire, on se plonge avec délectation dans cette histoire que je qualifierai d'inédite, sans doute de manière quelque peu abusive. Le fond est au rendez-vous, reprenant de l'original sa volonté de décrire les mécanismes de la folie et de sa contagion. La forme, elle, est remarquable. L'image, qui sait rester assez brute, se met au service d'une représentation lourde de la violence, du mal, sans complaisance aucune mais avec cette capacité à installer ce dont je parlais plus tôt, ce malaise, cette insanité que le cinéma des années 1970, version Carpenter, Boorman ou Wes Craven, savait si bien manier. Enfant de son temps également, le film va très loin pour une pellicule "seulement" restreinte aux moins de 16 ans. Gore, Evil Dead l'est assurément, et Alvarez pousse loin le concept, osant représenter des scènes de violence sur des animaux qui, si elles ne feront pas l'unanimité, rendent paradoxalement hommage à l'humanité du petit groupe que l'on voit se déchirer. C'est vital : un bon film sait créer l'empathie du spectateur avec les personnages qu'il met en scène. Ce qui suppose que ces derniers soient bien caractérisés et, surtout, traités avec respect. 90% des productions des années 2000 ont oublié cette règle toute simple.

Tout ne fonctionne pas, pourtant, au fil de cette descente aux enfers. La prestation de Lou Taylor Pucci (Dave, qui lit le Livre des morts), en particulier, manque clairement de finesse et nuit à l'immersion. La volonté scénaristique de tout justifier, le besoin de trouver une issue satisfaisante à la malédiction, quelques scènes qui sacrifient à la mode des "rollercoaster movies" (Saw en tête) qui font les beaux jours des salles obscures viennent rappeler que plus de trente années et pas mal de millions de dollars de budget séparent ce reboot du film qui l'a inspiré. Mais la photo, les choix de caméra, la résurrection de ces prises de vue filant à travers la forêt, les teintes ocres qui virent au rouge et tripes à mesure que l'enfer débarque sur terre soulignent a contrario la capacité d'Alvarez à conserver son âme dans cette grosse machine. Evil Dead se nourrit d'un esprit et d'une esthétique baroques et borderline qui renouent avec les excès historiques des films de genre d'autrefois - on parle de plus de 25 000 litres de faux sang utilisés pour ce film, et franchement, j'y crois.

Bien qu'agaçant par certains aspects, Evil Dead constitue à mon sens un vrai moment de cinéma. Dont on ne regrettera finalement qu'une chose : que le personnage d'Ash n'y ait pas trouvé sa place. Bruce Campbell, désormais à la place de producteur du film aux côtés de Sam Raimi, aurait gentiment décliné la proposition d'un caméo. Mais pour tout dire, c'est peut-être mieux comme ça : l'on reste ainsi toujours en droit d'espérer un retour de Raimi derrière la caméra, pour rendre à Ash la place qu'il mérite vraiment : en tête d'affiche, à gueuler comme un putois que "Chez Pryba, les prix sont bas"... 

 Le petit clin d'oeil qui tue : l'épave sur laquelle est assise Mia, au début du film d'Alvarez, est en fait une Oldsmobile Delta 88, soit la voiture utilisée par Ash et ses amis dans le premier Evil Dead de Sam Raimi. Raimi a l'habitude mettre en scène cette automobile, qui n'est autre que la sienne, dans ses films.