Toru Iwatani, Pac-Man

 

Hello tous,

Depuis quelques jours, les jeux vidéo font officiellement partie de la cour des grands. Désormais acceptés dans l'enceinte du MOMA, le prestigieux musée d'art moderne de New York, Tetris, Pac Man, Another World et bientôt Mario (entre autres) sont  reconnus pour leur portée visionnaire, leur esthétique propre et leur capacité à susciter une émotion. Soit. Nous ne rentrerons pas ici dans ce vaste débat qui s'interroge encore et toujours sur la portée réellement artistique du jeu vidéo. Toujours est-il que nous pouvons voir en cet acte militant une forme de reconnaissance importante, tout comme l'avait été l'exposition organisée dernièrement au Grand Palais.

Concrètement, cette reconnaissance prend la forme d'une exposition temporaire, qui a débuté le 2 mars et court jusqu'en janvier 2014. Quatorze jeux y sont présentés: outre Tetris, Pac Man et Another World, s'y croisent Myst, les Sims, SimCity 2000, vib-ribbon, Katamari Damacy, Eve online, Dwarf Fortress, Portal, FlOw, Passage et Cannabalt. Mais là où la chose devient encore plus remarquable, c'est que le MOMA entend accueillir les loisirs numériques à demeure, dans son enceinte. Le prestigieux musée a en effet décidé de se placer à la point de la conservation en matière d'arts numériques, et dans cette perspective veut se porter acquéreur à moyen terme d'une quarantaine de jeux emblématique de ce média trentenaire. Spacewar, Pong, Space Invaders, Asteroids, Zork, Tempest, Yars' Revenge, Marble Madness, Super Mario Bros ou encore la Légende de Zelda devraient donc venir renforcer les collections de l'institution assez rapidement.

Reste à savoir sur quels critères le monde de l'art entend désormais juger celui du jeu vidéo. L'esthétisme ? Le gameplay ? Paola Antoneli, directrice de la section design et architecture du MOMA, a établi sa sélection sur des critères plus complexes, faisant intervenir la sophistication du comportement induit chez le joueur, l'élégance de la programmation (le code-source est malicieusement mis en scène par l'exposition), la beauté du design interactif. On peut apprécier l'intelligence de cette approche, qui tente d'englober ce qui est caché aux yeux de tous. Tout comme le trait est à l'origine de l'oeuvre picturale, le code source est la matrice de la création numérique.

Eric Chahi, Another World

 

La violence a en revanche constitué un élément rédhibitoire, ce qui peut sembler une approche contestable : pourquoi des réalisations telles que American Mc Gee's Alice ou  Bioshock, répondant à la plupart des critères mis en place par le MOMA, se verraient-elles fermer les portes d'une reconnaissance artistique au motif, arbitraire, de leur représentation de la violence ? Le Guernica de Picasso ne pourrait-il alors prétendre au statut d'oeuvre d'art, pour les mêmes motifs ? Il y a là une contradiction profonde dans la démarche du MOMA, qui semble montrer que les institutions ne sont pas encore prêtes à reconnaître sans restriction la valeur artistique intrinsèque des jeux vidéo. Le rôle du critique devrait pourtant y trouver une place privilégiée : à lui de séparer le bon grain de l'ivraie, sans porter d'oeillères pour certaines des thématiques abordées.

Au-delà de cette réflexion, je voudrais ajouter qu'un autre aspect du jeu vidéo est désormais admis, alors qu'il constituait depuis longtemps un frein à la reconnaissance de ce mode d'expression. Certes, le jeu vidéo est une industrie ; certes, il porte en lui les gênes de sa vocation à être commercialisé à grande échelle. Mais l'on admet à présent que le travail d'un créateur peut s'en accomoder, au même titre que cette approche est depuis longtemps admise dans le cadre du septième art. Et Paola Antoneli de noter, non sans ironie, que même les arts dits "majeurs" ont, peu ou prou, vocation à être commercialisés. C'est ce que l'on appelle pointer du doigt une vilaine - et très snob - hypocrisie qui a cours depuis trop longtemps dans le milieu de la création... 

C'est un passage à l'âge adulte qui déborde largement cet événement médiatique. Car on le sait, le jeu vidéo dépasse le cadre du simple loisir depuis plusieurs années. Au point de servir même, aujourd'hui, de support pour une expression artistique "classique" - ce qui constitue la démarche opposée de celle, classique, de la création d'un logiciel. RIOT, le simulateur d'émeutes en pixel-art du studio milanais Santa Ragione, constitue l'une des têtes de pont de ce mouvement qui permet, petit à petit, l'émergence de créateurs indépendants. Antonin Fourneau, en France, en est un autre remarquable exemple. J'y vois un signe : à l'image du cinéma, l'on peut s'attendre à voir se dissocier très vite, dans la sphère du vidéoludique, les notions d'art et d'entertainment.

Studio Santa Ragione, Riot (document Le Monde)

 

Antonin Fourneau et Manuel Braun, Shooting in the rain

 

Sources:

A propos du MOMA et des jeux vidéo

https://www.lefigaro.fr/arts-expositions/2013/03/07/03015-20130307ARTFIG00361-les-jeux-video-entrent-au-moma.php

https://www.01net.com/editorial/588157/les-jeux-video-sexposent-au-moma-de-new-york/

https://leplus.nouvelobs.com/contribution/796144-jeux-video-exposes-au-moma-de-new-york-une-reconnaissance-bienvenue.html

 

A propos de RIOT

https://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/03/08/le-jeu-independant-a-l-italienne_1845065_651865.html

https://www.santaragione.com/

 

A propos d'Antonin Fourneau

https://atocorp.free.fr/portfolio/PortFolioAto2009.pdf

https://next.liberation.fr/arts/2013/02/11/un-nouveau-visages-du-monde-a-cergy_881107