Hello tous,

Un Tarantino au cinéma, c'est une denrée rare. Et précieuse, même si je dois bien avouer que le dernier long métrage du maestro, Inglorious Basterds, m'avait quelque peu laissé sur ma faim. Qu'on se rassure, cependant : Django Unchained n'a rien d'une partition mineure dans la filmographie du plus fou des réalisateurs américains. A mon sens, il constitue même, au contraire, la quintessence de son cinéma. Enfin posé, définitivement construit, aussi intelligent que drôle et un brin poil à gratter. J'en sors tout retourné.

Django, c'est un esclave autant qu'une icône. Django, c'est le "noir" dans toute sa splendeur. Insoumis, ambitieux, dur au mal, il marche debout lorsque son peuple plie sous le poids des chaînes. Héros improbable ? Sans doute. Mais Tarantino a voulu opérer le plus fou des syncrétismes en évoquant la douloureuse question de l'esclavage en pleine Amérique sudiste (deux ans avant la guerre civile) tout en tournant  un western spaghetti comme il les vénère depuis toujours. Un mariage de génie, car le résultat dépasse le cadre du simple hommage. Tarantino, qui voue un culte à La horde sauvage depuis ses plus jeunes années, livre enfin ce que tous ses fans attendaient : sa propre interprétation du mythe made in USA.

Django Unchained est ainsi l'occasion de mettre brillamment fin à un paradoxe historique dans le cinéma du plus cinéphile des réalisateurs. Référence, révérence incessante à Sergio Leone, la caméra de Tarantino se serait en effet magnifiquement prêtée au genre du western dans les années 70. Pourtant, elle ne s'était jamais aventurée sur ces terres alors qu'elle en empruntait tous les codes. Pour le réalisateur, il y va donc d'un aboutissement, presque comme s'il avait senti qu'il fallait attendre toutes ces années pour enfin rendre honneur à un pan du septième art auquel il hésitait, sans doute trop respectueux, à se frotter. 

En faisant parler la poudre, Tarantino démontre sa maîtrise absolue du sujet. Car il est bien le réalisateur le plus doué de sa génération pour jouer du colt sans jamais tomber dans la redite formelle et narrative d'un genre dont on pensait avoir tiré tout le suc depuis des décennies. La recette est redoutable : si les prises de vue sont celles -certes remises au goût du jour- du western italien tel qu'on le tournait à Cinecitta (incroyable caméra qui sait se poser, voler avec les balles, saisir les regards les plus noirs...), Django Unchained s'amuse à brouiller les cartes, à multiplier les fausses pistes. La BO d'Enio Morricone alterne avec des raps mélodieux résolument tournés vers la modernité, la thématique de la vengeance et de l'honneur le dispute sans cesse à celle de l'opportunisme et du cynisme le plus débridé -"Etre payé pour tuer des blancs ? On peut rêver mieux que ça?", lâche Django à qui l'on vient de proposer un job de chasseur de primes.

Tarantino s'amuse également à se jouer du politiquement correct, démultipliant à l'écran les occasions de se rire de toutes les formes de racisme -blancs contre noirs, noirs contre blancs, noirs contre noirs ou blancs contre blancs...), tout en sachant se faire beaucoup plus sérieux et sombre lorsqu'il aborde la douloureuse question des sévices subis par un peuple victime du plus ignoble des asservissements. A l'écran, rien n'est épargné. Il sera difficile, ainsi, de soutenir cette scène montrant un esclave livré aux chiens et déchiqueté. La violence psychologique infligée aux esclaves est également soulignée très régulièrement. Que les plus inquiets - à l'image de Spike Lee, qui aurait refusé de voir le film au motif qu'on ne peut rire de la question de l'esclavage- soient donc rassurés: si Django Unchained est souvent plein d'humour, d'ailleurs servi par des dialogues plus ciselés que jamais, il y a également ici la conscience la plus totale d'une période sombre de l'histoire. Elle est manipulée avec toutes les précautions qui s'imposent.

Cette conscience s'exprime à travers les deux principaux protagonistes. Allemand à la fine gachette, le docteur Schultz (Christoph Waltz, décidément fabuleux) est abolitionniste convaincu, et pose sans doute le regard du réalisateur sur l'esclavage à travers le film. Jamie Fox, lui, interprète le rôle de Django, un esclave dont le sang bouillonne à l'idée d'échapper à sa condition et d'obtenir enfin justice face aux blancs qui ont ruiné sa vie. Lui a vécu, ressenti l'esclavage. Il a été séparé de sa femme à cause de cet asservissement et de son spiration à la liberté. Django symbolise la colère larvée, le refus de la soumission. Il préfigure, avec un siècle d'avance, cette bataille pour l'égalité entre hommes noirs et hommes blancs qui aura démarré pour une simple histoire de place dans un bus, le 1er décembre 1955 à Montgomery, en Alabama. Django est le Rosa Parks de Tarantino. Que sa première victoire d'homme libre consiste à avoir le droit de monter sur un cheval n'a rien d'innocent.

L'on pourrait débattre longtemps des multiples idées traitées, effleurées ou simplement suggérées au fil des 2h45 que dure le long métrage. Car Django Unchained est un foisonnement incessant, riche de sens à chaque plan. mais on en retiendra peut-être, finalement, qu'il est avant tout l'histoire d'un choc entre le monde moderne et les forces de la tradition. Celles-ci sont illustrées, d'ailleurs, par un duo d'acteurs tout aussi excellent que celui de Waltz et Fow : Leonardo Di Caprio excelle dans le rôle de propriétaire sadique et distingué d'une plantation sudiste où l'on aime torturer et tuer les fuyards; Samuel L. Jackson, lui, endosse le rôle du noir devenu plus blanc que blanc, à la solde de son maître quoiqu'il advienne, délicieusement écoeurant. Deux modes de pensée radicalement opposés qui seront appelés à se confronter brutalement lors de la guerre opposant le Nord et le Sud des Etats-Unis quelques années après les événements décrits dans le film. Deux conceptions de la société qui serviront à Tarantino, finalement, de point de départ pour une vengeance froide dont la résolution renverra aux plus grandes fusillades du genre en ses heures de gloire.

A l'arrivée, impossible de passer à côté de l'évidence : plastiquement beau à se damner, droit dans ses bottes, limpide, violent, cynique, franchement très drôle et totalement déjanté, Django Unchained a tout d'un vrai grand film de Quentin Tarantino. Mais il est encore plus. Il a tout ce qu'il faut pour marquer de son empreinte un cinéma US qui ne nous avait plus apporté autant de plaisir, à mon sens, depuis des années.

Un dernier petit conseil : Django Unchained étant un film bavard, je vous conseille très fortement d'aller le découvrir en VOST. S'agissant également d'un film où le sang coule à flots, je vous suggère de penser à votre parapluie...