Humour de ThierryChatelain PLP arts appliqués, LP Blachon Guadeloupe ©2000

 

Bonjour à tous,

Il fut un temps où le prof était un notable, une personne respectée. On lui confiait son enfant avec la certitude que tout irait bien, que formation et -éventuellement- sanctions seraient justement dispensées au fil de la journée. On avait foi dans le système et en ses représentants. Un autre monde ? Pas vraiment. Je l'ai connu il y a de cela une petite vingtaine d'années. Pourtant, il semble très loin, le bon vieux temps.

Aujourd'hui, le monde de l'enseignement a changé. Dans le public, des profs se font molester, insulter, parfois "planter". Les faits divers colportent chaque jour davantage de ces histoires témoignant combien le lien entre l'enfant et l'enseignant est aujourd'hui  ténu, fragile, aisément rompu. Et n'allez pas croire que l'on parle ici uniquement des établissements en zone sensible. Partout, le personnel pédagogique doit affronter des situations de plus en plus critiques, des conflits de plus en plus violents entre ce que je qualifierai, désormais, de "camps". Le public, le privé... Personne n'est épargné.

Evidemment, la faute ne pèse pas uniquement sur les enfants. Il y a des brebis galeuses partout, de ces profs qui sont une honte pour le métier. Mais dans leur immense majorité, les enseignants sont à la peine parce qu'ils ne parviennent plus à asseoir, en salle de classe, leur autorité. Comment voudriez-vous qu'ils y parviennent, d'ailleurs ? Face aux punitions, aux mots dans le carnet, aux colles, les enfants et les ados rigolent. Face à la leçon, à l'intérêt d'écouter pour espérer avoir un emploi une fois atteinte leur majorité, les élèves évoluent dans un monde qui ne leur tend plus la main depuis bien longtemps. Résultat inéluctable : il y a quelque chose de nihiliste dans cette génération qui se moque de l'avenir. Et se moquer de l'avenir, c'est se rire de toute forme de responsabilité, c'est se désintéresser des outils qui pourraient leur permettre, pourtant, de se battre contre la fatalité. Ce contre quoi ne peut rien l'autorité.

Aujourd'hui, la bataille de l'Education est devenue une guerre, en France. Une guerre qui cache la misère, le manque de moyens et surtout le déficit de soutien. C'est peut-être ça, le pire : toute armée sait qu'il faut défendre les siens. Mais l'administration a abdiqué, alors on lit sur Rue89 des témoignages de profs qui se sont fait licencier faute d'avoir su -pu?- sortir la tête de l'eau face à une classe hostile et devenue incontrôlable. Et l'on oublie de préciser combien la formation des enseignants a été sacrifiée sur l'autel de la rentabilité.

Le pire, c'est que le seul soutien auquel les enseignants pourraient se raccrocher leur est de plus en plus systématiquement refusé. Au-delà de l'enseignement, l'éducation de l'enfant se construit avec les parents. Or, ceux-ci sont les enfants d'une société de plus en plus consumériste. L'école est un produit de consommation, de leur point de vue. Quand ils s'intéressent au parcours de leur enfant -ce qui n'est plus nécessairement le cas- c'est pour contester, interroger, réclamer un "service" qu'ils estiment dû et dont ils oublient qu'il repose avant tout sur un partenariat pédagogique fort entre l'institution et les familles.

Car un professeur a besoin du soutien des parents pour construire la formation de l'enfant. Ce dernier doit pouvoir comprendre qu'il évolue dans un "système" global, où ses actes en cours de journée seront dûment repris et commentés par les parents en soirée. C'est la fonction première du système de liaison entre les parents et les enseignants. Sachant que ce système repose sur un principe de confiance : c'est le professeur qui passe la journée avec l'élève, c'est lui qui est le plus à même de dire ce qui va - ou pas - dans le cursus de l'enfant. Ca vous semble évident ? Ce n'est pas le cas pour nombre de parents. Qui contestent systématiquement la sanction, la remarque, la note insuffisante, n'hésitant pas à témoigner de l'agressivité, voire à menacer l'administration ou la personne qui ose remettre en cause le dogme de la perfection de leur bambin. Les séquelles de la génération de l'enfant-roi sont là. Et les conséquences sont lourdes: remettre en cause l'autorité de l'enseignant devant l'enfant, c'est amener ce dernier à en faire de même face à l'adulte qui tente de lui inculquer les règles de savoir-vivre en communauté.

Aujourd'hui se pose la question de donner aux parents le dernier mot quant au redoublement de leur enfant, entre autres "innovations pédagogiques" souhaitées [*]. C'est un nouveau coup de cutter dans l'autorité que peuvent encore exercer l'administration scolaire et les enseignants. C'est autre manière de créer, potentiellement, une nouvelle poudrière, le prof n'ayant même plus la possibilité d'assumer le rôle pour lequel il a été formé, pour lequel il est -et doit rester, je l'affirme haut et fort- "celui qui sait". Si la réforme passe, les lendemains seront glorieux dans les salles de classe. Elles n'ont pourtant pas besoin de ça...

 

[*] La FCPE, association de parents d'élèves la plus active de France, voudrait "supprimer les « notes couperets » jusqu'à la fin du collège, stopper les redoublements jugés « inefficaces », abolir les devoirs à la maison et ne travailler pas plus de 5 heures par jour.