[Article mis à jour les 23 et  24/07/2012]

Bonjour à tous,

Vous n'êtes sans doute pas sans le savoir : Blizzard, par l'entremise de son nouveau titre Diablo III, a introduit une évolution assez fondamentale dans la galaxie des jeux vidéo : l'utilisation d'argent réel pour les transactions entre particuliers.

Non que la pratique n'existe pas déjà, doit-on préciser. World of Warcraft, par exemple, a érigé, bien malgré lui, la transaction commerciale en principe cardinal. Acquérir des "golds" ou des équipements peut se faire auprès de revendeurs contre monnaie sonnante et trébuchante. Mais ce marché, jusqu'ici, était strictement illégal, il relevait de la clandestinité, posait de réels soucis de sécurité pour l'acheteur et, surtout, n'apportait pas UN centime à l'éditeur, qui voyait ainsi une manne conséquente lui passer sous le nez.

Qu'on se réjouisse : c'est du passé.

250 euros maximum par objet

Depuis le 13 juin, l'innovation est venue de l'Hôtel des ventes de Diablo III. Il y est possible de revendre ses équipements contre une somme réelle qui vient abonder le compte battle.net du vendeur. Et qui peut être reversée sur un compte par Blizzard. Je ferai simple, pour l'image : vous pouvez boucler un donjon en très haut level, ramasser quelques objets de niveau rare ou légendaire, et les proposer à la vente comme vous le feriez pour une paire de chaussures sur ebay. Vous pouvez même revendre des objets ou des équipements que vous avez aquis ou acheté, puis utilisé. Ceci dans la limite de dix objets simultanément, et sur une enchère s'étendant sur 48 heures.

Conséquence positive, la légalisation de ces transactions et la possibilité pour tous les joueurs -majeurs puisque c'est la loi- de profiter des fruits de leurs efforts. Blizzard en explique la mise en place par ces mots:

"Dans tous nos jeux, notre objectif est de nous assurer que les joueurs vivent une expérience la plus agréable, enrichissante et sécurisée possible. Obtenir des objets a toujours constitué une partie importante des mécanismes de Diablo, mais les jeux précédents ne possédaient pas de système centralisé et robuste facilitant les échanges. C'est pour cette raison que les joueurs se sont tournés vers des alternatives peu pratiques et potentiellement dangereuses, comme des organisations tierces proposant des échanges en argent réel. Un grand nombre de ces transactions entre les joueurs et ces organisations ont dégradé l'expérience de jeu de nombreux joueurs, et créé d'innombrables problèmes pour l'assistance clientèle, comme des fraudes ou des vols d'objets ou de compte, pour n'en citer que quelques-uns. Pour éviter que cela se reproduise avec Diablo III, nous avons voulu créer un outil pratique, puissant et complètement intégré qui soit capable de répondre aux attentes des joueurs souhaitant acheter ou vendre des objets en argent réel, et qui se seraient probablement tournés vers un service tiers moins sécurisé pour pouvoir le faire."

Mais le système n'a pas été mis en place uniquement pour des raisons philanthropiques : Blizzard touche 1 euro par équipement vendu, et 15% du montant des ventes de consommables (dont l'or du jeu lui-même). Une commission supplémentaire est prélevée en cas de transfert de l'argent gagné vers un dispositif comme Paypal (15% en l'occurrence). Je vous renvoie vers le site officiel (https://eu.battle.net/support/fr/article/diablo-iii-auction-house-general-information#q4) pour des informations plus précises sur le sujet. Un élément important est à noter : vous pouvez réaliser ces ventes jusqu'à ce que la limite du porte-monnaie Battle.net soit atteinte, soit à hauteur de 250 euros. Deux incidences : primo, une fois le porte-monnaie plein, il faut le vider auprès d'un service tiers comme Paypal pour recommencer à effectuer des transactions. Secundo, il n'est pas possible de vendre plus que 250 euros un objet sur l'Hôtel des ventes, ce que confirme Blizzard :

"Dans l'hôtel des ventes en argent réel, le prix de vente minimal pour un objet est 1,25 EUR (ou le montant équivalent dans la devise locale). Le prix de vente maximal est de 250 EUR. Les joueurs ne pourront pas miser au delà de ce montant. Si deux acheteurs potentiels entrent la mise maximum de 250 EUR, l'enchère sera automatiquement mise au prix maximum et le joueur qui a entré en premier cette mise remporter cette dernière."

Quelles conséquences ?

Je ne rentrerai pas dans le débat qui oppose actuellement ceux qui sont favorables à ce système et ceux qui le critiquent pour sa propension à dénaturer l'expérience de jeu en introduisant une dimension économique bien concrète. L'un dans l'autre -et Blizzard le dit-, il s'agit d'une option et chacun est libre d'en profiter ou non, sachant que le jeu peut être bouclé avec les équipements lootés au fil de l'aventure.

En revanche, se pose la question des incidences sociales et économiques de cette nouvelle possibilité offerte aux joueurs. Si beaucoup se contenteront de faire appel très occassionnellement à ces enchères réelles, on peut en effet imaginer que certains joueurs, flairant la bonne affaire, vont sans doute "professionnaliser" très rapidement cette activité. Car il va là d'une véritable source de revenus potentielle.

La question qui se pose, ainsi, tient à identifier le statut légal de ces joueurs. Resteront-ils de simples particuliers ? Devront-ils se constituer en auto-entreprise? Surtout, quelle fiscalité devront-ils acquitter ?

Blizzard, sur ce point, ne se mouille pas:

"Les lois fiscales varient selon les régions, et il est possible que vous deviez payer une taxe sur vos transactions d'hôtel des ventes en argent réel. Certains états imposent aussi une taxe de vente sur tous les achats numériques, collectée au moment où le joueur achète un objet à un hôtel des ventes en argent réel. Vérifiez la réglementation en vigueur dans votre région ou consultez un conseiller en taxation afin d'obtenir plus de renseignements."

Et de fait, on comprend pourquoi lorsqu'on se penche sur la question concernant la législation française, tant la chose semble complexe.

Pour les commerçants identifiés et au statut assumé : à mon sens, on ne peut considérer ces revenus comme ceux des jeux d'argent -non imposables mais à déclarer tout de même-, puisque le hasard n'intervient pas au niveau de la transaction elle-même. Ainsi, il n'est pas interdit de penser que l'on peut davantage se rapprocher du modèle de vente en ligne d'un service comme celui d'ebay. Serait donc considéré comme commerçant celui qui tire de cette activité des revenus supérieurs à son salaire principal (https://www.cgv-expert.fr/article/remuneration-particuliers-internet_42.htm), ou celui qui réalise une plus-value sur ses transactions. Mais en pratique, un accord existerait d'ores et déjà entre le fisc français et ebay considérant qu'un particulier effectuant des ventes supérieures à 2000 euros mensuels sur trois mois consécutifs serait invité à se déclarer comme e-commerçant (ou autoentrepreneur désormais, le statut présentant pas mal d'avantages dans le cas qui nous intéresse) et donc à se soumettre à la taxation usuelle de cette catégorie socio-professionnelle. On peut donc imaginer que le principe resterait valable dans le cas qui nous intéresse. A condition que l'Etat considère des biens dématérialisés de la même manière que des denrées réelles. Et que la notion de plus-value ne vienne pas constituer tous les joueurs, de fait, comme des commerçants dès le premier euro gagné (voir ci-dessous).

Pour les joueurs particuliers : La loi tolère que l'on revende à titre privé un bien usagé d'occasion, mais pas d'effectuer une plus-value sur celui-ci. Or, on peut penser que le ramassage d'équipements ou de consommables et leur revente en ligne s'apparente justement à une plus-value immédiate. Pas d'achat, mais gain immédiat dans l'enchère, ce qui renvoie au principe évoqué ci-dessous :. 

"Les internautes qui achètent des produits pour les revendre directement sur Internet accomplissent des actes de commerce et ont la qualité de commerçant de fait. Ils commettent donc l'infraction de travail dissimulé lorsqu'ils ne déclarent pas leur activité. De plus, en ne procédant pas aux déclarations qui s'imposent, ils éludent la loi fiscale puisqu'ils échappent à toute imposition des revenus ainsi dégagés. Or ces revenus sont imposables au titre de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux."(https://www.cgv-expert.fr/article/remuneration-particuliers-internet_42.htm)

Ce qui pourrait bien vouloir dire que les joueurs utilisant l'Hotel des ventes seront invités à déclarer chaque euro gagné au titre des bénéfices industriels et commerciaux, sur leur fiche d'imposition. Et je parle bien des BIC, pas des BNC, ou bénéfices non commerciaux : nous sommes dans le cadre d'une activité de commerce.

Un sacré imbroglio légal

Maintenant, il faut aussi noter que les transactions sur le web sont difficiles à taxer. Difficiles à repérer, difficiles à évaluer, elles sont une source de véritable casse-tête pour le fisc, qui doit de surcroît se battre avec une jurisprudence balbutiante. En effet, la loi envisagée en 2009 proposant une taxation d'office des ventes réalisées sur le web à  hauteur de 13% n'a jamais été concrétisée. Ce qui laisse en friches la question de la fiscalité.

Mon conseil : Pour ce que j'ai pu comprendre pour l'heure de la littérature existant sur le sujet à travers le web, l'Hôtel des ventes de Diablo III ressemble fort à une activité de spéculation, une plus-value étant effectuée sur la vente des objets qui y sont proposés. A ce titre, gardez en tête que vous serez sans doute amenés à déclarer ces revenus -dans la mesure où ils sont remarquables, ne craignez rien si l'on parle de quelques dizaines d'euros- l'année prochaine au titre des bénéfices industriels et commerciaux. Néanmoins, je mettrai à jour ce post d'ici quelques jours, après m'être entretenu de cette question avec un véritable fiscaliste. Histoire que l'on soit sûr de ce qu'il faut faire.

J'espère en tout cas avoir attiré votre attention sur cet aspect important de l'évolution induite par Blizzard dans notre appréhension des jeux vidéo. Ne vous y lancez pas tête baissée, vous pourriez avoir une mauvaise surprise à l'arrivée si le fisc remarque que vous vivez  au-dessus de vos moyens ces prochaines années...

[MAJ 23/07/2012] Une première certitude : Blizzard considère son HV comme un site d'enchères en ligne. C'est ce que m'a confirmé le support utilisateurs pas plus tard qu'aujourd'hui:

"Les impôts afférents à l'utilisation des Hôtels des ventes sont à votre charge. Toutes les ventes aux enchères sont sujettes aux lois et réglementations applicables en matière d'imposition. Le produit des ventes aux enchères peut être considéré comme un revenu dans le cadre des déclarations fiscales. Consultez un expert en fiscalité pour déterminer si vous devez payer des impôts sur ces transactions."

Ce qui semble accréditer ma théorie selon laquelle l'imposition des joueurs utilisant l'HV sera comparable à celle en vigueur pour Ebay. Mais pour confirmer ce point, j'ai envoyé un courriel demandant des éclaircissements au service des impôts. Dès que j'ai la réponse, je vous la mets à la suite de ce post.

[MAJ 24/07/2012] Je tiens finalement ma réponse. L'administration fiscale vient de confirmer que les gains obtenus sur l'Hôtel des ventes sont à déclarer au titre des bénéfices industriels et commerciaux, comme je le pensais.

"

Cette activité de vente en ligne d'objets virtuels est une activité commerciale. Les gains retirés de cette activité sont imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. Si vos gains sont inférieur à 80300 euros , vous pouvez relever du régime micro-bic, à défaut le régime réel s'appliquera . Vous trouverez au lien qui suit les informations sur les régimes d'impositions évoqués :

https://www.impots.gouv.fr/portal/dgi/public/popup;jsessionid=4WJHLIIH1FM1BQFIEIQCFEY?espId=2&typePage=cpr02&docOid=documentstandard_379&temNvlPopUp=true

"

Vous aurez donc compris au passage, également, que cette activité est susceptible de faire l'objet de la création d'une micro-entreprise ou d'un statut d'auto-entrepreneur, avec un régime fiscal avantageux...