Cette fois, on y est: depuis quelques heures maintenant, il est possible de découvrir dans les salles obscures le dernier bébé du maître ès épouvante Wes Craven, à qui l'on doit entre autres "Freddy, les griffes de la nuit" et "Le sous-sol de la peur". Mais la question, à la vision de l'oeuvre, mérite d'être posée: avec Scream 4, qu'a réellement voulu faire le réalisateur, au-delà de dépoussiérer une icône du film d'horreur des années 1990? Et cette remise au goût du jour de l'un des slashers les plus emblématiques du septième art n'est-elle pas une trahison de l'oeuvre originelle, tant elle s'en écarte sur le fond et la forme? Scream 4, c'est une certitude, n'est pas un film idiot, loin de là. Mais il risque fort de peiner à trouver son public, mentant sur sa vraie nature: c'est davantage à une satire des années 2000 qu'à un film d'horreur pur jus que Wes Craven, en effet, veut convier le spectateur.

Pour répondre à ces interrogations, il est utile de revenir aux sources de la mythologie Scream. Sorti en 1996, le film inaugural de la saga avait peu ou prou révolutionné les codes du slasher, magistralement gravés dans le marbre quinze ans plus tôt par John Carpenter, avec "Halloween, la nuit des masques". Le propos y était limpide: le scénario de Kevin Williamson proposait de mettre en scène un tueur s'inspirant des codes des films d'horreur pour commettre ses forfaits. Et face à lui, le traditionnel groupe de jeunes servant de victimes pour les films de genre s'employait à suivre la piste de "Ghostface" en se servant de cette culture cinéphilique post-adolescente. Il résultait de cette confrontation une délicieuse mise en abyme de l'oeuvre, qui s'interrogeait autant sur la nature des films d'épouvante que sur le meilleur moyen de créer la peur à l'écran. La scène d'ouverture du premier Scream, à ce titre, est restée dans les annales: on se souvient encore aujourd'hui, non sans effroi, de ce jeu du chat et de la souris entre le tueur et sa victime, sur fond de quizz horrifique par téléphone interposé.

Les suites de Scream, avec plus ou moins de bonheur, ont repris le concept, continuant à interroger les codes de l'horreur cinématographique. Scream 2 l'a fait en se jouant des règles d'une suite, Scream 3 s'interrogeait sur la nature d'une trilogie. Las, il n'osait pas aller jusqu'au bout de sa logique, épargnant les principaux protagonistes de la saga alors même que "dans le dernier volet d'une trilogie, personne n'est à l'abri", rappelait l'un des personnages du film. Bref, pas totalement satisfaisant, mais on pensait, au mot fin de ce dernier volet, en avoir fini avec cette auto-analyse assez érudite, très deuxième degré, d'un genre que Scream avait remis au goût du jour à sa sortie.

Années 2000: du premier degré, ou du fun?

Et de fait, ce sont d'autres réalisateurs qui ont pris le relais pour faire avancer le genre dans deux directions antinomiques. Dans l'une, l'horreur s'est découvert, à l'aube des années 2000, un goût réaffirmé pour le premier degré, a bifurqué vers de nouvelles routes de chair et de sang. "Hostel" et les torture-porn type "Saw" qui ont pris sa suite sont les rejetons de cette mouvance. Le genre, qui peine à trouver le chemin des cinémas en raison de son caractère extrême, fait encore école aujourd'hui, principalement dans le cinéma asiatique, peut-on noter. Les récents "Dream Home" (Hong Kong) et "Rencontre avec le diable" (I saw the devil, Corée du sud), bardés de prix internationaux, en sont des exemples remarquables. En France, le décevant "Martyrs" est également emblématique de cette mouvance, tandis qu'en Australie "The loved ones" joue de son  faux air de "teen-movie" pour poser l'un des survival les plus éprouvants de ces dernières années.

Dans l'autre, ce sont les règles posées par Scream qui ont été reprises, déformées et adaptées pour se conformer aux impératifs du business system. Grand public à l'ordre du jour. L'horreur y doit plus que jamais s'adresser aux adolescents, les teens réclament du frisson -mais pas trop-, du sang -bien rouge-, et surtout beaucoup de sexe, de jolies filles et de bons mots. En somme, les ingrédients de Scream, sans la nécessaire distanciation qui va pourtant de paire afin de rendre l'ensemble digeste (Alexandre Aja s'est d'ailleurs copieusement moqué de cette dérive dans son récent et génialissime "Piranha 3D").

La vague des remakes de classiques des films d'horreur a en partie emprunté cette deuxième voie. En-dehors des notables exceptions Halloween "Massacre à la tronçonneuse -Leatherface y est plus crade que jamais, quoique moins terrifant que dans l'oeuvre originelle de Tobe Hooper- Jason et Freddy, les monstres emblématiques de Vendredi 13 et des Griffes de la nuit, en ont fait les frais: c'est sur le registre de la parodie et de la pantalonnade que ces deux grandes figures cinéphiliques ont repris le chemin des salles obscures. 


La somme de quinze ans d'horreur

Autant dire que Scream 4, qui se devait de continuer à disséquer le genre, avait fort à faire pour digérer ce grand écart. Au scénario comme toujours depuis la genèse de la saga, Kevin Williamson intègre cependant assez adroitement les deux tendances: d'un côté, il joue avec le teen-movie classique, abrutissant plus que de raison ses personnages. De l'autre, il pose avec le nouveau Ghostface un tueur plus froid qu'à l'accoutumée, moins démonstratif, mais visiblement plus sensible à l'idée de choquer -certaines scènes frisent le gore- et de faire souffrir. A l'écran, Wes Craven ne va pas jusqu'à tomber dans les excès du torture-porn, cependant; il en esquisse le sillon, comme pour montrer le film qu'aurait pu être Scream 4, puis revient à représentation de la violence de facture plus classique, préférant s'intéresser davantage à son vrai sujet: le monde d'aujourd'hui, tel qu'il est dans ses travers et son goût de l'exhibition.

Voir Scream 4 sous cet angle, c'est comprendre la véritable nature de ce film qui n'a d'épouvante que le nom -que les fans se rassurent: certaines scènes sont tout de même assez réussies dans le genre, durant la deuxième partie du métrage. L'on se retrouve ici une dizaine d'années après les événements de la première trilogie. Gale (Courteney Cox, méchamment botoxée), qui a abandonné son métier de journaliste, y est mariée au shériff Dewey (David Arquette), lui-même pas insensible aux charmes de sa jeune et jolie adjointe. Quant à Sydney, elle revient à Woodsboro le temps d'une journée. Elle a ressuscité, a écrit un livre pour en témoigner. Evidemment, les meurtres recommencent sitôt l'héroîne arrivée en ville. Et c'est un remake des événements du premier opus qui se joue sous les yeux des protagonistes.

"Scream" oblige, le quatrième opus énonce à haute voix les conventions du remake, évidemment. Il en résulte de savoureux dialogues entre Sydney et les membres du ciné-club du lycée, qui s'emploient à anticiper, à la lumière de leur connaissance du genre, les prochains pas du tueur. La scène d'ouverture, type film dans le film... dans le film, est également un vrai morceau de bravoure, posant d'emblée les enjeux d'un crime réel devenu film et cité jusqu'à l'écoeurement dans les suites de l'opus initial, pour finalement redevenir objet de réalité.

Enfants de la télé-réalité

Mais de cette confusion entre réel et virtuel naît aussi le vrai propos du film, en ce sens novateur: celui qui tient à aborder la puissance de l'image, et ce que notre société en a fait. Dans Scream 4, chacun des personnages devient l'objet d'une triste farce mûe par la course à la gloire et la renommée. On se met en scène pour livrer un petit indice, on s'imagine écrire un livre sur les événements; on filme sa vie -et sa mort, par incidence- pour la rediffuser en streaming sur le web, on se met en scène en profitant des crimes pour gagner quelques clics, quelques "like" sur son profil facebook. On apprend même par sms les noms des jeunes tués au début de l'affaire. La nouvelle génération présentée dans Scream 4 est celle des enfants du siècle: des enfants de la télé-réalité, de la gloire sans talent pour peu que l'on sache comment vendre son image et faire du buzz quoiqu'il en coûte. Le mobile de Ghostface, que l'on découvre comme il se doit à la fin du film, est à ce titre bien plus terrifiant, et navrant, que tous les crimes qu'il vient justifier.

De fait, il n'y a guère que le rôle de Neve Campbell qui trouve grâce aux yeux du réalisateur. Et c'est tout sauf anodin. Sydney, ici, incarne la seule figure réellement dramatique du long métrage, perdue au beau milieu d'un océan de bouffonneries et de vacuité. Authentique héroïne de tragédie, elle apparaît comme la face cachée de ce culte que voue le XXIe siècle à l'image et au star-system: elle en est la victime, éternelle, et la "survivante", désabusée. A travers Sydney, il est un luxe, dit Craven, plus précieux que celui d'être connu: c'est celui de l'anonymat, synonyme de sérénité. Nos chers VIP et wanna VIP devraient le méditer...