Hello les p'tits loups !

Je dois vous faire un aveu: ce post n'était pas prémédité. Cela fait déjà quelques jours que je suis allé découvrir cet Alien Covenant qui, promettait la pub, devait faire le lien entre Prometheus et le reste de la franchise. Dès mardi soir, en avant-première, je me suis donc bien sagement calé dans mon fauteuil de ciné et j'ai profité de la bête sur écran géant. J'en suis sorti perplexe, mais finalement plutôt content: il y avait quelque chose, dans ce nouveau cauchemar, que je trouvais assez séduisant. Mais pas assez pour que je me mette au clavier et que j'en parle longuement.

Ce Covenant, depuis lors, a subi les foudres de bon nombre de spectateurs. Assez amusant, au passage, de constater une fois encore les profondes divergences qui éloignent toujours davantage le grand public de la critique. La seconde est dithyrambique, là où le premier témoigne tant et tant, à l'encontre du long métrage, d'une réaction épidermique. Les griefs ? Le manque de cohérence de l'oeuvre, ses entorses récurrentes au réalisme (l'exploration sans précautions de la planète, sans casque et sans analyse préalable de l'environnement, notamment), son manque de souffle. En arrière-plan, je crois aussi y avoir décelé quelque chose qui tiendrait presque du crime de lèse-majesté: à force de réinterpréter le matériau original du Huitième Passager, Covenant refonde les bases d'un univers que l'on pensait balisé. Et cela, je l'entends bien, peut avoir du mal à passer.

Bref. La vraie question qui m'a taraudé quelques jours durant tenait à comprendre pourquoi le réalisateur s'est scrupuleusement attaché à prendre les fans de la saga à rebrousse-poil. Et c'est cela qui m'a doucement amené à essayer de formuler les raisons qui, a contrario, m'ont fait aimer le spectacle en dépit de ses incohérences. J'ai fini, peu à peu, par construire ma propre théorie sur ce film. J'en suis arrivé à la conclusion que Ridley Scott y offre un nouvel éclairage sur sa filmographie et sa définition du "monstre" de cinéma.

Je m'explique. Revenons un instant à Prometheus. On y avait laissé David et Shaw en route pour la planète des Ingénieurs. La problématique mise en oeuvre dans le film - que j'avais eu du mal à supporter, pour le coup - tenait à poser la question du créateur et de sa création. Scott postulait que la foi et la science se rejoignent dans cette quête, et que nous sommes tous, quelque part, les enfants de cette dialectique. Mais la figure du robot, elle, interpellait: David était face à son créateur, lui, doté d'une conscience mais sans autre but fondamental dans l'existence, donc, que de servir et vénérer. Jusqu'à cette rébellion finale, poussant la création au crime, au péché pour obtenir sa liberté. Une référence évidemment implicite à la théorie de la Singularité, mais également, bien au-delà, à la mythologie égyptienne renvoyant à la rébellion des hommes contre les dieux. Peut-on s'encombrer de ses créateurs une fois qu'ils n'ont plus de véritable rôle à jouer ?

Alien Covenant, sous ses apparences de remake-refondation du Huitième Passager, poursuit  le même questionnement. La scène d'ouverture, qui a interloqué tant de spectateurs, est fortement marquée par cette filiation avec Prometheus. Un édito paru sur le site du magazine Première (https://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Alien-Covenant-la-lecon-d-art-de-Ridley-Scott) relève très justement que les oeuvres d'art évoquées ont toutes un sens caché. La sculpture du David de Michel-Ange, ainsi, renvoie à l'inspiration des Ingénieurs dans leur création de la vie. Il est aussi emblématique de ce qui se joue, et va se jouer sous nos yeux: l'oeuvre symbolisait en son temps la révolte face à la tyrannie, renvoyant au personnage du tyran Savonarole mort en 1498 à Florence. La toile de la Nativité de Pierro della Francesca repose sur l'idée de géométrie et donc de maîtrise de l'homme sur la Nativité du Christ - nous serions donc maîtres de notre foi et de notre destinée. L'Or du Rhin, de Wagner, introduit pour sa part la notion de démiurge à travers le personnage de Wotan. Son invocation à l'image peut prendre plusieurs sens, mais à la lumière de la suite du film, il semble pertinent de penser que c'est la chute des dieux qui est ici préfigurée.

Toutes ces thématiques sont la colonne vertébrale du film. Et c'est là que se situe, à mon sens, la grande incompréhension que l'oeuvre de Scott peut susciter. Elles renvoient à l'idée que l'alien n'est guère plus qu'un épiphénomène de ce qui est en train de se jouer sous nos yeux. Au centre des préoccupations de l'oeuvre figure plutôt le nouveau gestateur de la créature, celui qui la pousse à devenir la quintessence d'elle-même. Ce nouveau démiurge, c'est David, l'androïde capable de créer, capable de liberté, le robot conçu par l'homme qui a dépassé son créateur, l'a tué et voue désormais son existence à perpétuer le cycle en donnant à une nouvelle espèce les ressources  pour continuer à évoluer - cette vision cyclique de la création est au coeur de l'oeuvre de Wagner, d'ailleurs. Pour avancer, du passé faisons table rase.

Cette thématique du post-humain irrigue chaque scène du film et perpétue le malentendu jusqu'aux derniers instants du long métrage, avec cette fin que je vais éviter de détailler ici pour ceux qui n'en auraient pas encore pris connaissance. Pourtant, elle est assez fascinante, car à bien y réfléchir, elle est au coeur de Prometheus, de Covenant, mais aussi du Huitième Passager. Ridley Scott introduit l'idée que le véritable "monstre" est celui qui est à notre image, au-delà des apparences. L'idée, déjà présente dans l'épisode inaugral de 1979, se décline sous la forme d'un regard mi-fasciné, mi-horrifié pour la puissance de la technologie, la forme que prend la magie aujourd'hui. Et se superpose d'une conscience aiguë que nous sommes sommes l'instrument de notre propre perdition.

Et c'est là que la cohérence de l'oeuvre de Scott m'interpelle: ce sont les mêmes questionnements qui sont à l'oeuvre dans Blade Runner, à travers la figure de ces réplicants qui réclament le droit de vivre libres... tandis que l'humanité a bien compris que l'existence de ces créatures annonçait son déclin - pourquoi donc les chasser avec autant de véhémence si ce n'est par besoin de leur survivre ? A force de retourner le concept dans tous les sens, j'en viens à la conclusion que les films partagent une symbolique commune, difficile à occulter. Ce ne peut être un hasard, Covenant comme Blade Runner s'ouvrent d'ailleurs tous deux sur le gros plan d'un regard, comme pour annoncer, via cette thématique commune du post-humain, une nouvelle vision du monde, qui porte forcément en elle les germes de notre évolution... ou de notre destruction. Mêmes peurs, mêmes interrogations: Ridley Scott nous confirme ici que le robot, plus que le xénomorphe, est bien au coeur de ses préoccupations.

Se pourrait-il d'ailleurs que la saga Alien et Blade Runner soient, dans la tête de Scott, les deux faces d'une même médaille ? La chronologie ne correspond certes pas en apparence (Blade Runner pose ses réplicants en 2019, Alien introduit la création de David 50 ans plus tard, mais rien ne dit qu'il n'y ait pas eu de robot pensant au préalable), mais faire se côtoyer ces oeuvres dans le même espace-temps serait diablement séduisant. La thèse semble d'ailleurs étayée par quelques easter eggs glissés dans la version blu ray collector de Prometheus (https://www.neozone.org/cinema/prometheus-alien-blade-runner-univers-identique/). Ce serait, a minima, la promesse d'une phénoménale réinterprétation pour ces deux franchises cultes de la science-fiction...