Yop tous !

Cette fois, on y est. Comme pas mal de fanatiques de la franchise Star Wars, je me suis précipité mercredi matin, dès 10h, dans la salle de ciné la plus proche pour tâter de la bête. "Le" Réveil de la Force que tout le monde attendait était là, qui me tendait les bras.

Ca n'a pas été facile de rester motivé depuis l'achat des billets, fin octobre. La campagne marketing autour du film, d'abord, m'a un peu agacé. Puis sont venus les éternels critiques et oiseaux de mauvais augure, qui se sont mis à  prédire, face au rouleau compresseur, l'avènement d'un immonde machin filmique, blockbuster sans âme et décérébré, sacrifié sur l'autel de ce business qu'ils prétendaient pourfendre en bons chevaliers jedi de la culture bien troussée. Des jours et des jours durant, le matraquage, résolument hype, fut incessant. A tel point que, paradoxalement, il fallait résister non plus à cette folle promotion made in Disney, mais à ses adversaires les plus acharnés pour continuer à attendre ce moment comme cela se devait: avec un regard d'enfant qui ne demandait qu'à être émerveillé.

Heureusement, en ce mercredi matin, l'envie ne m'avait toujours pas lâché. Et c'est tout guilleret que j'ai rallié mon temple des images, avec une heure d'avance pour faire bonne mesure, dans la perspective de passer un bon moment de pelloche. Ceci pour découvrir, non sans étonnement, que la foule attendue était tout simplement absente du rendez-vous. Crainte de la ruée ? Désamour pour la saga ?  Problèmes du logiciel de vente de billets - un ami m'a confié avoir voulu acheter des places, mais s'était vu répondre que la séance était complète ? Je n'ai pas eu de réponse à la chose, toujours est-il que nous nous sommes retrouvés à une vingtaine, tout juste, dans la plus grande salle du ciné. A bicher comme pas possible tandis que les lumières déclinaient et que s'achevaient les 25mn de pubs conclues sur la bande annonce du prochain Tarantino, Hateful Eight. Une sacrée promesse de western, celui-là.

Cut, et fondu au noir. Logo Star Wars sur l'écran, travelling vers un gigantesque croiseur interstellaire, pour finalement atterrir sur la planète Jakku, à suivre les premières péripéties de BB-8 et de son compagnon humain. Dans cet ordre précis, étant entendu que BB-8, remplaçant R2 au pied levé, a tout du robot gadget sur lequel Disney a imposé pas mal de séquences comme autant de placements produit au fil du long métrage. Le robot y prend une place qui n'est pas cohérente, interagissant presque avec les protagonistes du film comme un alter-ego crédible. Ce qui n'est pas foncièrement dramatique, mais nuit un peu à la cohérence de l'oeuvre. A tout le moins, cela m'aura gêné.

Ce regret évacué, Le Réveil de la Force ne trahit pas sa nature. Et encore moins les rêves des fans, sérieusement flétris depuis la prélogie de triste mémoire. Car dès les premiers instants du film, la chose est entendue: Abrams a voulu rendre hommage au travail de Lucas dans l'épisode IV. Héroïne en devenir sortie des sables du désert, recherche du père, implication dans une bataille qui dépasse une simple destinée et finit, comme dans tout bon SW, par une nouvelle Etoile Noire à faire exploser, référéences évidentes au régime nazi pour décrire le Premier Ordre, à l'image de ce qu'avait fait Lucas pour caractériser l'Empire... La trame fait immanquablement penser à l'oeuvre de 1977, et d'aucuns y ont d'ailleurs d'ailleurs vu une copie de l'histoire originale, presque un remake non assumé. Je crois que l'on est dans autre chose, en réalité: une sorte de relecture du mythe, qui utilise les mécaniques de l'opus initial pour refonder une nouvelle mythologie. C'est là tout le questionnement d'Abrams, qui se demande deux heures durant ce qui fait la magie de la saga, et part à la recherche de ces ingrédients, qu'il intègre peu à peu pour faire monter la mayonnaise. La Force elle-même est devenue un élément éthéré, une légende quer l'on raconte aux enfants le soir, et il faut attendre un bon moment dans l'oeuvre pour comprendre que c'est bien de résurrection de cette mystique que veut parler le réalisateur. Et à travers elle, poser les fondements d'un monde où la technologie est à nouveau supplantée par le fantastique et la magie. Réenchanter Star Wars...

Le Réveil de la Force, évidemment, se comprend au rythme de multiples références et clins d'oeil à l'univers de toute la saga. Il pose également les bases de toute la nouvelle trilogie, étant entendu que c'est en tant qu'introduction (à l'image du premier Seigneur des anneaux) qu'il doit être compris. Ceci explique cette sensation d'univers en construction qui ne lâche pas le spectateur tout du long, lequel assiste à la mise en place, avec plus ou moins de bonheur, d'une nouvelle dynamique narrative, l'Empire cédant la place à un intriguant Premier Ordre face à un versant lumineux de la Force clairement décimé mais en passe de renaître de ses cendres. Tout n'y est pas impeccable, soyons honnêtes. La relation entre Rey et Finn souffre d'une superficialité coupable et se construit au fil de dialogues parfois maladroits (la scène du mimétisme dans le faucon millenium est emblématique), et le rythme même du long métrage sacrifie parfois les instants dédiés à la mise en place de l'intrigue au profit de scènes d'action diaboliquement spectaculaires mais un peu trop présentes pour laisser l'épique de cette aventure réellement s'exprimer. Si je devais d'ailleurs avoir un grief majeur contre cet épisode VII, ce serait celui-ci: trop sage, trop généreux et sans doute trop enthousiaste à l'idée de graver sa contribution à Star Wars dans toutes les mémoires, Abrams a un chouilla sous-estimé la profondeur inhérente à la trilogie originale. Cela se ressent jusque dans le traitement accordé au bad guy de l'histoire, l'infâme Kylo Ren. Trop souvent, la mise en scène ruine les effets du chevalier Sith en invoquant un second degré décalé à l'image (les troopers qui filent en entendant Ren tout démolir, de colère), ce qui a pour effet d'amener le personnage, initialement bien décrit, vers une dimension de clown triste dont on se serait bien passé. Heureusement, c'est un passage à vide compensé par les derniers moments du film, où semble se construire une nouvelle destinée pour ce monstre en devenir, enfin à la hauteur de la terreur qu'il suscite sur son passage.

Mais ce sont les grincements d'une mécanique par ailleurs parfaitement huilée, et dont  la dynamique parvient à recréer à l'écran cette recette magique qui avait fait des trois opus initiaux des références incontournables du space opéra. Mention spéciale à Harrison Ford, qui reprend son rôle comme au premier jour, mais aussi à pas mal de nouveaux venus qui semblent dessiner les contours d'une nouvelle fraternité éminemment sympathique contre le mal promis à se dresser contre eux. C'est là tout le sel de cette nouvelle épopée, qui parvient, par la grâce d'un Abrams qui a laissé ses prétentions de réalisateur au placard pour se mettre tout entier au service de cet univers, à faire le lien logique entre la trilogie originale et ces éléments nouveaux amenés à porter Star Wars vers de nouvelles contrées. La suite, annoncée pour mai 2017, devra faire fort pour se hisser au niveau de cette rampe de lancement remarquablement gérée...