[ Attention, la critique contient des spoilers ]

Hello tous !

Aaaah, Jurassic World. Hier soir, j'avais un peu de temps à tuer, et une furieuse envie de tâter de la bête. Après tout, pas mal de mes amis  m'avaient promis du bonheur, à peu près en ces termes : "Tu vas voir, il est sympa ce Jurassic World", "Il est vraiment impressionnant", "On frissonne beaucoup, c'est très efficace", "C'est sans doute le meilleur depuis le premier". OK, vendu. Bien décidé à suivre ces avisés conseils, j'ai donc filé acheter mon billet dans mon ciné, pris la file, monté l'escalier vers la plus grande salle du complexe, puis me suis lové dans mon fauteuil préféré, stratégiquement disposé au bord de l'allée, à quelques pas de la sortie. Après tout, d'un navet, on n'est jamais à l'abri.

Aller voir un film comme Jurassic World, bien sûr, c'est accepter de faire des concessions. Admettre que l'efficacité et le grand spectacle primeront sur le fond et la réflexion. Mais le long métrage est aussi une production Amblin, et l'héritier d'un opus inaugural réalisé par Steven Spielberg en des temps où il faisait encore l'unanimité. Les grands dinosaures du Crétacé y montraient les dents pour faire passer un message écologiste en avance sur son époque: ce n'est pas parce que la nature peut se montrer hostile qu'il ne faut pas la respecter. Spielberg avait réussi à proposer du divertissement intelligent à travers un blockbuster géant.

Je ferai l'impasse sur les deux séquelles, qui ne méritent même pas d'être évoquées ici. En revanche, l'idée de relancer la franchise 22 ans après ses débuts sur grand écran, avec un pitch racontant le devenir d'Isla Nublar 20 ans après les événements narrés dans le film de Spielberg lui-même tiré du roman de Michael Crichton, me semblait une excellente idée. L'occasion sans doute de montrer les mécaniques du profit et du business, la marchandisation de la nature et toutes ces dérives qui, pour paraphraser notre Chirac national, font que "la maison brûle et nous regardons ailleurs". Bon sang de bois, il y avait du potentiel dans cette affaire !

 

Bons débuts

Jurassic World, de fait, a conscience de ces enjeux, et les cite dès l'ouverture en opposant deux visions du parc, celle du conseil d'administration qui le possède et celle de John Hammond, dont le nom surgit au détour d'une discussion. Montrer la beauté de la nature ou l'exploiter : ce sont ces deux approches qui créent une ligne de front dans l'administration du parc, tandis que l'armée elle-même commence doucement à s'intéresser au potentiel destructeur des dinos. Autant dire que ces ouvertures scénaristiques sont de belles promesses, et c'est donc avec confiance que le spectateur que je suis se plonge doucement dans l'histoire, le premier quart d'heure durant.

La scène du mosasaure est impressionnante.

Bon. Peut-être pas une totale confiance. Deux frangins sont envoyés au parc rejoindre leur tante qui bosse dans l'équipe de direction, ce qui sonne immédiatement comme une repompe éhontée du premier film. Et puis, un peu plus loin, il y a ce nouveau dresseur qui tombe dans l'enclos des raptors. Et là, hop, Chris Pratt qui s'interpose, retenant les pires dinosaures jamais créés par le parc d'un simple regard pénétrant. Mon détecteur de nanars tressaille, subitement, comme lorsque j'avais vu l'affiche montrant le même Pratt rouler au milieu des raptors d'un air confiant. Une fausse alerte, sûrement.

Sages, les enfants, sages !

La suite est téléphonée. Les gamins faussent compagnie à leur nounou d'un jour et s'en vont tenter le "hors pistes" tandis que, dans le parc, l'on découvre les petits secrets qui s'apprêtent à péter à la figure des propriétaires. Le bidule, en l'occurrence, c'est un "Indominus Rex", nouvelle espèce de prédateur né d'une hybridation entre un T-Rex, quelques grenouilles, une seiche... et un ingrédient spécial que les savants fous du coin refusent de dévoiler mais-que-tout-le-monde-sait-que-c'est-un-raptor-sauf-les-spécialistes-du-film. Youpi youpla, on apprend au passage que la bébête a vu le jour parce que les visiteurs aiment avoir peur et qu'il fallait un nouveau joujou pour les impressionner. Plus méchant qu'un T-Rex, donc, et infiniment plus meurtrier. Et évidemment, Rex II va s'échapper, au moment où Chris Pratt, enfin alerté de l'existence de l'animal , quitte son repère de baroudeur au bord du lac -au milieu des dinos, mais no souci, il a une barbe de trois jours, c'est un dur- et s'en vient examiner le fameux enclos. Y'a des hasards, comme ça.

Arme non létale contre Indominus Rex. Conséquences prévisibles.

L'Indominus Rex, c'est la trouvaille de Jurassic World. Alors, on en profite un maximum. Les attaques se multiplient tandis que les équipes du parc commencent doucement à prendre conscience du malaise, jusqu'à fermer une à une les attractions à mesure que le prédateur s'approche des zones habitées. C'est sans doute le moment le plus réussi du film, avec quelques scènes de massacre (notamment des brontosaures) qui font effectivement frissonner -un peu. Mais le malaise s'installe, doucement. A ne pas trop savoir à qui il s'adresse, Jurassic World hésite un temps entre le film tout public et l'oeuvre adulte, capable de montrer cette histoire de science-fiction sous un jour réaliste. Colin Trevorrow, le réalisateur, finit par choisir son camp, celui que les blockbusters privilégient hélas trop souvent : il opte pour le pop-corn quitte à remiser au placard les bonnes intentions du début. Déconnexion cérébrale en vue.

 

Cerveau : mode OFF

Dès lors, les invraisemblances s'enchaînent. Les deux gamins qui trouvent une porte ouverte dans l'enclos pour rejoindre la zone d'accès restreint où se trouve l'Indominus Rex, la tata BCBG qui vire aventurière à la Indiana Jones en nouant son chemisier pour retrouver ses neveux, les attaques de ptéranodons qui font au plus quelques blessés dans la foule, alors qu'un tel contexte aurait dû induire un carnage assuré... Et puis, Jurassic World tourne à l'économie des scènes, évite de prendre le spectateur à rebrousse-poil, s'interdit de faire peur ou de choquer ne serait-ce qu'un tantinet. On finit par comprendre : il y a une volonté derrière tout cela, celle de rassurer, de créer une forme d'empathie avec les dinosaures à travers une idée qui renie totalement l'héritage des trois autres Jurassic Park : ici, l'homme peut contrôler la nature, voire s'en faire une alliée. Et bonjour les théories fumeuses sur l'amitié naissante entre l'humain et le prédateur qui a passé plus d'une heure à le regarder pour savoir à quelle sauce il allait bouffer son dîner. Il y a un mot pour décrire le sentiment que l'on ressent lorsque, comme s'il était sorti de l'affiche, Chris Pratt s'en va à moto chevaucher au milieu des raptors pour attaquer avec lui l'Indominus Rex : trahison. Puis trois autres me viennent à l'esprit : foutage de gueule.

Oups, photo tirée de Jurassic World 2.

Ce n'est pourtant pas (encore) ici que le film perd totalement son spectateur. Mais, paradoxalement, durant la spectaculaire scène finale, en osant une improbable alliance entre l'homme, le raptor et le T-Rex pour éradiquer la menace hybride. Qui finira finalement digérée - comme c'est pratique- par le mosasaure (le dino marin d'une des affiches) qui faisait  hurler de plaisir les gamins une heure plus tôt et qui arrive à point nommé pour s'allier à ses petits camarades. Mais c'est bien sûr : en fait, Jurassic World, c'est Avengers version dinos !

 

 Il ne fallait pas les ressusciter

Le générique est enfin arrivé. Je reste assis quelques instants, à fulminer contre ce final sans doute pondu sur un coin de table lors d'une soirée trop arrosée (ou pire) entre producteurs déchaînés. Jurassic World y aura foulé au pied les règles les plus inviolables de la franchise, au nom du grand spectacle (mon dieu, ce regard complice final entre le raptor et le T-Rex), juste pour justifier les centaines de millions de dollars de son budget. C'est tout le paradoxe du long-métrage, d'ailleurs : visuellement impressionnant, capable de fulgurances et d'un vrai sens de l'image pour raconter son histoire, mais jamais en mesure de réfléchir aux implications de ce qu'il montre à l'écran. En 1993, Jurassik Park restait ancré dans le réel, malgré son postulat de départ qui relevait de la science-fiction. En 2015, Jurassic World est à l'autre bout de la chaîne alimentaire, en faisant oeuvre de pure fiction de science alors que son postulat de départ est plus que jamais proche de devenir une réalité (https://www.lepoint.fr/science/75-millions-d-annees-apres-du-sang-de-dinosaure-retrouve-10-06-2015-1935327_25.php, ou https://tempsreel.nouvelobs.com/sciences/20150612.OBS0674/ressusciter-les-dinosaures-que-du-cinema.html). C'est tout le problème, lorsque l'on donne de quoi écrire à des ados attardés...

 

 Fuyez !