Yop !

 Aujourd'hui, je vous livre le squelette du papier que je prévois de publier sur Hotline Miami Wrong Number. Exercice délicat, il est difficile de parler sereinement d'un tel objet lorsque l'on s'adresse au grand public...

Une bonne lecture, en tout cas !

 

Une livre de chair

 

Gratter la surface, écorner le vernis de la civilisation, se jouer des codes du cinéma et prouver que l'on peut être porté sur l'action sans pour écarter toute forme de réflexion. Hotline Miami 2 : Wrong Number marche dans les traces de son aîné et pose, une fois encore, la question de la représentation de la violence à l'écran. Version pixel-art, 2D, indé et fort d'un esprit redoutablement mauvais.

 

C'est un sacré bébé que celui dont ont accouché Jonatan Söderström et Dennis Wedin voici trois ans maintenant. En 2012, à eux deux, les Suédois donnaient naissance à l'un de ces quelques titres qui ont sorti la scène « indé » de l'anonymat relatif dans laquelle elle se trouvait. Hotline Miami était né. En deux ans, 1,7 million d'exemplaires du jeu étaient écoulés.

 

Un pur ovni, visuellement laid, reposant sur une 2D vue de dessus sale et un design pixel-art poisseux sorti tout droit des années 80 et du premier GTA (1997). Dépassé ? Absolument. Repoussant ? Jusqu'à l'écoeurement. Pourtant, servi par une partition sonore envoûtante, un gameplay délibérément répétitif mais jamais lassant et une gamme de couleurs psychédélique, Hotline Miami se faisait expérience hypnotique. Ultra-violent, le concept transposait la passion des développeurs pour les polars et les thrillers bien poisseux du grand écran, invoquait le cinéma hongkongais le plus transgressif, Drive et Videodrome en sus, et lui appliquait les codes du jeu vidéo les plus basiques. Terrible efficacité à la clé. Le joueur y incarnait un quidam, Jacket, à la solde d'un groupe nationaliste américain au minimum malsain, les « 50 Blessings ». Pour lui, Jacket multipliait les exactions, jusqu'à devenir lui-même la victime d'un système de mort particulièrement pervers. La raison de ce déferlement de violence ? Jamais Hotline Miami n'y répondra clairement, préférant laisser le joueur, presque robotisé par la répétition à l'infini des carnages, face à un questionnement sur notre moi profond autrement plus important : avons-nous réellement besoin d'une justification pour nous adonner à nos penchants les plus sombres, les plus violents ? La réponse sous-entendue par les développeurs avait quelque chose de glaçant...

 

 

Le succès a logiquement appelé une suite, et Wrong Number s'en vient désormais creuser le sillon de cette expérience ludique aux confins de la frénésie et du malaise. L'effet de surprise s'en est allé, alors Wedin et Söderström construisent une véritable histoire à tiroirs pour servir leur propos. Scénario plus dense à la clé, on y suit la trajectoire d'une douzaine de personnages aux motivations souvent troubles, confrontés à une violence de plus en plus exacerbée. Car non, l'ADN d'Hotline Miami n'a pas changé : c'est toujours cet étonnant mélange d'action, de réflexes et de réflexion qui sert de support au challenge. Anticiper l'apparition de chaque ennemi, surveiller ses arrières, les moindres recoins, se poster derrière une porte et faire du bruit pour attirer l'adversaire sans se mettre en danger... Et, selon l'arme à disposition, cogner, tuer, déchiqueter, éventrer... Volonté de choquer, envie sans doute de démontrer que la violence n'est pas qu'une question de réalisme : elle frappe plus fort, dans le très stylisé Wrong Number, que dans n'importe lequel de ces titres tout en 3D et textures ultra précises que les plus gros studios aiment produire à intervalles réguliers. Interrogeant au passage une industrie qui a fait de cette violence, terriblement banalisée, la pierre angulaire de ses plus grands succès.

 

24 missions, pas moins, sont au menu de cette épopée sanglante conçue pour tenir une dizaine d'heures, au bas mot. Bien plus encore si le joueur n'est pas un acharné du pad ou du clavier, ou s'il entend s'affronter aux niveaux de difficulté les plus élevés. Dennaton, le studio de Wedin et Söderström, a joué la carte de la diversité pour éviter de perdre son public en cours de route. Les environnements sont donc plus variés, plusieurs personnages – parfois pacifistes dans l'âme ! - y sont incarnés par le joueur, construisant une narration explosée retrouvant peu à peu sa cohérence, version sous acides d'un scénario digne d'un film de Robert Altman. Tout n'est pas parfait – le level design est un peu moins inspiré et quelques bugs persistent, notamment au niveau du pathfinding (la recherche de chemins par les personnages contrôlés par l'ordinateur, NDLR) qui bute parfois sur les passages d'obstacles – mais la maîtrise est évidente, tant dans le challenge ludique que dans la densité de l'histoire proposée ou dans le choix de la playlist, exceptionnelle plus que jamais. Wrong Number n'est pas juste à déguster avec les yeux : ce qu'il offre à entendre est, dans le monde des jeux vidéo, d'une qualité quasi inégalée.

 

C'est ce goût du travail bien fait qui reste lorsque l'on sort d'une partie, harassé et hagard d'avoir lutté contre une folle difficulté. L'on se dit que s'il ne révolutionne pas la formule étrennée par le premier opus, Wrong Number parvient à la transcender pour en livrer une vision plus aboutie, en offrant un nouveau point de vue, infiniment plus large, aux événements du premier opus. Une opportunité surtout d'interroger de nouveaux sujets sensibles, le plaisir par la violence, la guerre et ce qu'elle engendre, et de postuler, en un final explosif, qu'il n'y a décidément rien à sauver. On serait masochiste, on en redemanderait...