Yop tous !

Se retrouver face à Marjane Satrapi par un jeudi soir froid et pluvieux dans l'Est de la France, c'est un truc qui ne vous arrive pas souvent. La réalisatrice - et dessinatrice - du superbe Persepolis était pourtant à Strasbourg pour présenter son nouveau film,  The Voices, qui la voit s'aventurer sur des terres inattendues, celles du film de genre. Le côté décalé en prime. Sans doute le cadeau d'une ancienne de l'école des Arts Déco à la capitale européenne, dans laquelle elle a vécu pendant trois ans. C'était il y a longtemps.

The Voices, c'est une version trash des dessins animés de Tex Avery. Jerry Hickfang (Ryan Reynolds) est un gars apparemment sans histoires, bien sous tous rapports et passionné d'emballages au point d'en avoir fait son soporifique métier. Surtout, Jerry voit la vie en rose. Le rose pétant de sa ville, le rose bonbon de l'entreprise dans laquelle il bosse, version Willy Wonka... Et Jerry  vit dans un monde extraordinaire. Son chien lui dit son amour et sa fidélité chaque soir quand il rentre du boulot, son chat lui crie son envie de patée et se moque de ses difficultés à s'insérer dans la société. C'est que Jerry est psychotique, et pas qu'un peu. Alors, depuis qu'il a laissé tomber ses pilules malgré les avertissements de sa thérapeute, il entend des voix. Qui lui disent ses envies de mal, qui lui crient que "non, il ne faut pas". Ou que balancer le chien sous les roues d'un monospace, ce serait une idée à explorer plus sérieusement que ça...

Marjane Satrapi aime Jerry. Elle le dit haut et fort quand elle en parle devant les spectateurs, elle le démontre scène après scène à l'écran. Ryan Reynolds incarne l'archétype du bon gars, un peu lisse, bien sous tous rapports, légèrement gauche avec les filles. C'est ce léger décalage qu'exploite la réalisatrice pour créer le rire, d'abord, l'inquiétude, ensuite. La question de la séduction amène le film vers de nouveaux rivages, imperceptiblement. Jerry tente de séduire Fiona (Gemma Arterton), se fait joliment planter avant de "planter" à son tour. Mais l'innocence du personnage tranche avec cet acte fondateur, commis par maladresse. Et c'est en toute innocence que le personnage sombre, petit à petit, dans la plus meurtrière des folies. Par amour.

The Voices, tout du long, se construit sur la vision qu'a Jerry du monde. Les meurtres, sa maison, ses relations avec les autres, réels ou non... Tout repose sur son imagination - ce qui explique au passage que ce soit Ryan Reynolds qui fasse les voix de Bosco, le pataud canin, et de Mr Moustache, le diabolique petit rouquin.

Evidemment, lorsque la réalité explose -brièvement - à l'écran, elle n'en est que plus terrifiante. Derrière cet univers ouaté se cache le monde poisseux et malsain d'un esprit dérangé. Marjane Satrapi a beau détester "regarder des films d'horreur", la réalisatrice franco-iranienne sait faire peur, et manie les codes du film de genre avec bonheur. Jusqu'à modifier en une scène centrale toute la perception que le spectateur peut avoir de l'oeuvre. Tour de force : l'on rit malgré tout, tandis que l'on plonge dans la terreur...

Quelque part entre film de genre, comédie potache et bande dessinée, Marjane Satrapi s'est approprié le scénario de Michael R. Perry ( Paranormal Activity 2) pour  y glisser son cinéma à elle, tout à rebrousse-poil.  The Voices faisait partie, explique-t-elle, des scenarii "blacklistés à Hollywood, parce qu'ils sont bons mais trop chers à réaliser pour le gain espéré, ou techniquement trop compliqués". Le défi ne l'a pas rebutée, pourtant, et c'est pour une enveloppe de 11 millions de dollars qu'elle a mis en boite le film, le tournage durant une trentaine de jours. "En lisant cette histoire, je savais exactement où aller, ce que je voulais scène par scène. Ce film s'est imposé à moi", raconte la réalistarice, qui a déployé des trésors de persuasion pour lui donner vie. "Une fois que je suis lancée de quelque chose, il faut que j'aille au bout quoiqu'il en coûte", sourit-elle. Elle a sans doute été bien aidée par l'arrivée de Ryan Reynolds au casting, spontanément venu offrir ses services car séduit par l'histoire et le rôle.

Pour échapper au diktat des studios, Marjane Satrapi a fait le choix de tourner en Europe, en Allemagne plus précisément. A l'écran, cela ne se devine pas un instant. "Vous savez, l'Amérique est enfant de l'Europe, alors vous arriverez toujours à trouver de ce côté de l'Atlantique une petite ville qui ressemble trait pour trait à ce que vous avez là-bas". Une parenté que la réalisatrice a voulu mettre en avant jusque dans sa manière de faire un film : "Ce genre de cinéma, on ne l'a pas en France, et je me demande bien pourquoi. Parce que rien ne nous en empêche". Sans doute les mauvais conseils d'un chat...

 The Voices sort le 11 mars sur les écrans français.