Yop tous,

Dans la vaste palette de jeux qui font l'actualité du mois d'octobre, il en est un que nous étions sans doute nombreux à attendre de pied ferme. The Evil Within fait partie de ces productions dont les images promotionnelles à elles seules parviennent à mettre l'eau à la bouche. Visions de cauchemar, promesses de grand frisson, de chasses à l'homme dans lesquelles le joueur serait le gibier... Il y a dans le jeu de Shinji Mikami l'envie de renouer avec un glorieux passé, celui du survival horror classique dont Resident Evil avait été l'un des fers de lance. Il n'est pas anodin de rappeler que c'est le même auteur qui a présidé à la genèse des deux titres, très proches malgré le nombre conséquent d'années (18, tout de même) qui les sépare. De quoi mettre l'eau à la bouche aux aficionados, qui attendaient ce grand retour du boss aux affaires depuis des années.

C'est donc plein d'espoir que j'ai inséré le blu-ray de la version PS4 dans ma console vendredi soir. Ceci pour découvrir, d'emblée, un titre qui savait au moins se présenter. The Evil Within démarre sur les chapeaux de roue, en invitant le joueur à pénétrer, sous les traits de l'inspecteur Sebastian Castellano, dans un hôpital psychiatrique en perdition. Des cadavres jonchant le sol, du sang sur les murs... Il y a de l'Outlast dans cette scène inaugurale qui va rapidement tourner au cauchemar. Castellano, par un artifice scénaristique redoutable dont nous ne dévoilerons pas ici la teneur, va se retrouver projeté dans les sous-sols de l'asile, confronté à l'horreur la plus indicible. Et il va courir pour survivre. Courir comme un dératé pour retrouver la lumière, pour laisser derrière lui le sang, la bidoche et des visions qui sont ce que l'on peut imaginer de plus proche de l'enfer. Que l'on soit clair : les vingt premières minutes de The Evil Within sont de celles qui font un jeu culte.

 

Atmosphère, atmosphère...

Shinji Mikami et le studio Tango Gameworks construisent le coeur de leur histoire à partir de cette ouverture qui restera dans les mémoires. Le concept proposé est sans grande surprise, en revanche : il s'agit de progresser dans des environnements torturés, au milieu de créatures infernales - la veine zombie est tout de même très exploitée - souvent nombreuses et dont il faudra évidemment se méfier comme de la peste. The Evil Within est, à plus d'un égard, un jeu d'infiltration : Castellano se piquera donc régulièrement de se glisser derrière ses ennemis pour les tuer discrètement, avant de mettre le feu à leur corps étant entendu qu'il s'agit là de la solution préconisée pour offrir à ces âmes perdues ce qui se rapproche le plus de la paix.

Le travail sur l'atmosphère est essentiel. Et pour tout dire, il serait injuste  de ne pas reconnaître les efforts consentis pour parvenir à créer cet univers, cohérent de bout en bout et capable à l'occasion de proposer des visions qui renvoient à la plus pure tradition de l'épouvante cinématographique. En revanche, le jeu souffre d'une hésitation coupable sur sa nature. Car Mikami, enfant des années 90, fait le choix de développer un jeu vidéo avant de raconter une histoire, ce qui pour The Evil Within n'est pas sans conséquences, puisqu'il rate de ce fait la marche de la modernité. Paradoxal, quand on y pense, pour un jeu qui revendique son statut de porte-étendard des productions nouvelle génération.

 

Un jeu, plutôt qu'une histoire

En progressant dans la partie, le joueur découvre de fait un titre assis le popotin entre deux chaises. D'un côté, il y a ce concept de survie, plein d'urgence, qui pousse, à l'instar d'Alien Isolation, à se faufiler dans les hautes herbes, à éviter autant que possible les hordes monstrueuses qui jalonnent l'aventure, à chercher les coins d'ombre pour souffler un peu. Cette dimension de The Evil Within constitue sans le moindre doute sa plus grande force, emmenant dans son sillage les séquences génératrices de tension, de stress, de peur même à l'occasion. Ici se cache un jeu d'aujourd'hui, ancré dans les attentes des joueurs de 2014. On parle de qualité de la réalisation, d'inspiration pour créer un bestiaire incroyablement torturé, aux références qui ont parfaitement digéré le tournant gore du genre du début des années 2000. Mikami sait impressionner, choquer, il n'est pas permis d'en douter.

Mais de l'autre, le jeu de Tango Gameworks ressuscite une vision du challenge vidéoludique d'un autre temps, sans doute pour rendre hommage à l'époque qui a vu la genèse du genre. Las, l'enfer est pavé de bonnes intentions: ce qui pouvait sembler pertinent dans les années 90 ne l'est plus aujourd'hui, à l'heure où jeu vidéo et cinéma se nourrissent l'un de l'autre. Ce sont les routines datées du titre, les artifices de gameplay incapables de s'insérer logiquement dans la marche du jeu qui pêchent et nuisent, au final, à la cohérence de l'expérience.

Le premier exemple qui me vient à l'esprit est emblématique : la structure de l'aventure est artificiellement scindée en niveaux à boucler - ils sont matérialisés, et nommés comme tel, à l'écran par un "cut" à la fin de chaque séquence majeure. Plus qu'un détail, en réalité: alors que l'on sort d'une phase particulièrement éprouvante, toute tension est soudain gommée par un écran fixe sur lequel le score est évalué. Tant pis pour la fluidité de la narration, tant espérée, puisque tout est régulièrement à reconstruire, comme si The Evil Within se devait de recréer sa formule et son ambiance toutes les vingt à trente minutes. Il n'y parvient évidemment pas systématiquement, défaut d'autant plus regrettable qu'il y va d'une ornière qui aurait aisément pu être évitée...

L'approche typée jeu de The Evil Within a également des impacts forts sur le gameplay, et notamment sur la manière d'aborder la question de la représentation de l'ennemi - ainsi que celle de la façon dont il est amené à l'écran. A la différence d'Alien Isolation ou d'Outlast, ainsi, le bébé de Mikami ne sait jamais vraiment jouer des silences, de l'obscurité et de l'absence. Par besoin de créer un challenge constant, omniprésent, l'ennemi occupe invariablement l'espace, sans laisser la possibilité au joueur de fantasmer ses craintes. Conséquence dommageable à la clé: la peur brute, froide et forte liée à l'anticipation de la menace est très souvent absente de l'équation mise en oeuvre, au profit d'un jeu du chat et de la souris dont le potentiel reste l'un dans l'autre assez limité. On ne pourra s'empêcher de le regretter à l'heure où la concurrence fait des merveilles... précisément sur cet aspect.

Enfin, vient ce qui à mon sens est le plus grave. Dans la poursuite de son suspect,  Castellano doit se défaire de multiples menaces "mécaniques". Des pièges à loups ? Des explosifs activés par un détecteur de mouvements ? Lové dans le confortable fauteuil d'une salle de cinéma, un spectateur lambda rirait méchamment de tels artifices s'ils apparaissaient à l'écran. Et le joueur, lui non plus, ne peut guère s'empêcher de s'interroger quant à leur présence -leur surreprésentation même, tant l'équipe de développement use et abuse de ces accessoires. Leur existence fait fi du réalisme le plus élémentaire à mettre en oeuvre dans une aventure qui, pour atteindre son objectif - faire peur -, se doit de ne pas rompre le charme. Mikami construit dans The Evil Within un challenge renvoyant directement à celui qu'il avait imaginé dans Resident Evil, proposant un gameplay très artificellement typé "die and retry" -quoi de plus agaçant que de mourir déchiqueté par une explosion tandis que l'on est poursuivi par une horde de créatures terrifiantes?- au détriment de la logique globale de sa création. C'est follement regrettable, tant le joueur y perd en immersion.

 

Joueur ou cinéphile ?

Ce sont là des impairs dont il ne faut pas sous-estimer l'importance. En raison de leur présence, The Evil Within a soufflé chez moi le chaud et -surtout- le froid. Nul doute que beaucoup de joueurs y trouveront malgré tout leur compte, mûs par une réalisation convaincante, inspirée et par un concept ludique quoiqu'il advienne plus finaud que ce à quoi l'industrie nous a habitués ces dernières années. Le cinéphile et le gamer attaché à vivre une "expérience", en revanche, se trouveront confrontés à un choix bien plus délicat à négocier. Car, en termes de sensation pures, le défi du très plaisant Alien Isolation semble un cran au-dessus de son rival japonais. Pour ma part, quitte à choisir, c'est vers l'hommage au film de Ridley Scott que mon coeur est en passe de me porter...