Hello tous !

 Chose promise, chose due : alors que le festival européen du film fantastique se dirige tout doucement vers la fin, il est temps de faire le point sur les films qui ont marqué les esprits durant cette édition, ceci d'autant plus que la qualité de ces longs métrages est souvent exceptionnelle. Ce soir, je vais donc vous parler des trois perles que j'ai pour l'instant identifiées au fil de la programmation, à savoir A Girl walks home alone at night, What we do in the shadows et White God. Accrochez vos ceintures, il y a là de quoi satisfaire aussi bien les fans d'horreur que les cinéphiles les plus avertis.

 

I. Les pelloches en vrac

Commençons néanmoins par effectuer un petit tour des autres pelloches vues ces derniers jours. Soyons francs, il y eut quelques déceptions, à commencer par le très médiocre The Canal, énième variation sur le thème de l'hésitation fantastique partant d'un scénario laissant le spectateur face un personnage principal dont on ignore si, fou, il a tué sa femme ou si c'est une entité surnaturelle qui s'en est chargée. Le long métrage irlandais d'Ivan Kavanagh repose sur cette seule et unique idée et la recycle à l'envi, une heure et demie durant, sans jamais parvenir à accrocher le spectateur autrement qu'au fil d'effets horrifiques lorgnant sur le gore et, pour tout dire, franchement hors sujet. Je suis parti avant la fin, et beaucoup d'autres dans la salle, eu égard aux commentaires entendus après la séance, auraient bien aimé en faire de même.

Starry Eyes, lui aussi, laisse un petit goût d'inachevé : cette histoire d'actrice prête à tout pour réussir joue la carte de la métaphore pour critiquer le star-system à l'hollywoodienne - laisser ses amis derrière soi, et patati et patata... - mais le fait sans guère de subtilité. Intéressant une heure durant, le long de Kevin Kolsch et Dennis Widmyer se noie peu à peu dans une intrigue convenue et prévisible, pour finir par laisser le spectateur relativement indifférent, la faute à un dénouement peu satisfaisant. On attendait mieux, même si l'on est loin au-dessus de The Canal.

Le FEFFS aura aussi été, entre autres, l'occasion de revoir le fameux Knights of Badassdom, dont la sortie sur les écrans est attendue depuis près de deux ans maintenant. Ici encore, petite déception : le film, réduit à une durée de 86 minutes, a beaucoup perdu comparé aux versions de 145mn qui circulaient sous le manteau via le web il n'y a pas si longtemps. Reste que cette histoire délirante de démon s'invitant au beau milieu d'une partie de jeu de rôles GN, avec les très chouettes Ryan Kwanten, Steve Zahn et Peter Dinklage, vaut toujours le détour pour son côté absurde assumé. Dommage que les coupes infligées à cette version lui fassent perdre 80% de son deuxième degré...

Le second degré, en revanche, ce n'est pas ce qui manque à Why don't you play in hell, l'avant-dernière réalisation en date du dingue Sion Sono. Je vous la fais courte : il est ABSOLUMENT indispensable de découvrir cette histoire bien barrée de jeunes se rêvant cinéastes et se mettant à filmer des batailles rangées entre yakuzas. Je ne vous déflorerai pas ici le pitch, mais sachez que vous n'aurez jamais vu combats de rue mieux chorégraphiés. Et puis, surtout, le Japon sous acide, c'est par ici les amis.

J'en viens à ce qui constitue l'une des très bonnes surprises du festival. Je n'en attendais rien, mais Late Phases, qui remet au goût du jour les histoires de loups-garous, tient le spectateur en haleine de bout en bout, et ceci sans jamais oeuvrer en terrain connu. Ici, l'Américain Adrian Garcia Bogliano s'emploie en effet à raconter l'histoire d'un vétéran du Vietnam aveugle et décrépi confronté à une menace poilue et pleine de dents au beau milieu d'une résidence pleine de retraités attendant que la mort vienne les faucher. Evidemment, leurs souhaits vont être bien vitre exaucés... Pour ma part, je retiendrai la prestation remarquable de Nick Damici, qui joue le rôle de l'ancien militaire revenu de tout, profond et cynique à souhait, et le goût certain du film pour le politiquement incorrect notamment lorsqu'il se met à évoquer la question de l'intégration des anciens combattants dans la société US. Saignant, dans tous les sens du terme.

Bon. Je vous ai gardé le meilleur pour la fin. Programmé en section "midnight movie", Zombeavers a comme prévu fait sensation dans la salle. Il faut dire que le pitch - des CASTORS ZOMBIES qui s'en prennent à un groupe de jeunes en rut, aka bikinis, nichons, effets spéciaux ultra-kitsch et gore à l'envi - sert de prétexte à Jordan Rubin pour enchaîner délibérément, 1h25 durant, toutes les âneries possibles et imaginables que l'on puisse imaginer sur un tel sujet. Oui, un castor zombie sait qu'il faut couper les fils d'une ligne fixe pour empêcher les victimes d'appeler les secours, et ça le fait marrer. Zedissime, Zombeavers aura fait hurler de rire la salle de la première à la dernière image, ce qui n'est pas rien. Et ceci en réussissant l'exploit de se cantonner pile à son sujet, sans aucun deuxième degré ni approche métaphorique qui rendrait l'oeuvre soit-disant plus intelligente, "meta" que l'on serait tenté de le croire. Non, Zombeavers est totalement débile, et on l'adore pour ça.

 

II. Les merveilles

Je pourrais encore m'arrêter sur pas mal de films vus depuis dimanche. Mais je vais plutôt essayer de consacrer un peu de place à des longs que je trouve particulièrement remarquables, et qui ont globalement fait l'unanimité dans le public.

Dans le genre, What we do in the shadows est sans doute la production la plus grand public. Tourné en Nouvelle-Zélande, le film de Jemaine Clement et Taika Waititi s'amuse, en un documenteur d'1h26, à suivre le parcours de quatre vampires installés en colocation et dont les personnalités renvoient aux archétypes des suceurs de sang que tout un chacun connaît (le Dracula de Stoker, le Lestat d'Anne Rice, le Nosferatu de Murnau - génial, d'ailleurs - et le rocker dépassé de Génération perdue). Furieusement drôle, cette histoire s'amuse à imaginer les difficultés de la vie quotidienne pour ces créatures de fiction tout en les démystifiant face contre caméra. Rien de plus décalé et étrange que de découvrir que le (ex-) puissant Vladislav a parfois lui aussi avoir besoin d'un psy, que la corvée de vaisselle n'a rien d'une synécure et que pouvoir voler, c'est quand même vachement pratique pour passer l'aspirateur au plafond. Bref. What we do in the shadows est l'un de ces films, à l'instar du non moins excellent Housebound, qui marchent dans les traces des vieux gore déjantés de Peter Jackson, Bad taste et Braindead en tête. Le réalisateur du Seigneur des anneaux avait déjà à son actif une jolie filmographie dans son pays, et il s'en trouve encore pas mal, de l'autre côté de l'hémisphère, qui ne l'ont pas oublié.

Dans un registre très différent, White God est une parabole politique filmée d'un point de vue canin. Le postulat de départ est presque réel : une loi (qui a véritablement été proposée par le parti d'extrême droite là-bas) est promulguée en Hongrie qui interdit de posséder un animal qui ne serait pas de race pure. A cause de cette loi, un père force sa fille à abandonner son chien dans la rue. Le toutou en question, c'est le brave Hagen, animal qui va se retrouver confronté à la barbarie de l'homme avant, spectacle surréaliste, de se rebeller contre ce diktat au point de remettre en cause les fondements mêmes de la société. Inutile de préciser que la métaphore est furieusement politique dans cette affaire.
White God a fait l'effet d'une bombe au FEFFS. Poignant, heurtant, jouissif et incroyablement poétique par moments, le film de Kamel Mundruczo est de ces oeuvres qui vous prennent aux tripes, vous arrachent des larmes puis des sourires contentés lorsque l'heure de la revanche a sonné. Mais Hagen et ses amis ne sont que des compagnons à quatre pattes, victimes de leur condition et d'une terrible oppression. White God veut donc leur dire haut et fort la beauté de la liberté, du droit de chacun à disposer de lui-même, veut défendre des idées de tolérance et de respect de l'autre. Il y a ici une puissance philosophique que peu de films portent en eux. Que l'oeuvre ait été sélectionnée dans la catégorie "Un certain regard" lors du dernier festival de Cannes n'a, à ce titre, rien d'un hasard. Quant à moi, je garderai longtemps son final, absolument magique, en mémoire.

Venons-en,  enfin, à ce qui constitue l'autre très grande découverte du FEFFS. Déjà sélectionné à Sundance et récompensé du prix Révélation au festival de Deauville la semaine dernière, A Girl walks home alone at night n'a pourtant rien d'un film évident. Je vous fais le pitch : l'histoire tourne autour d'un jeune homme, Arash, qui fait la rencontre d'une femme superbe mais pleine de mystère. Cette beauté ingénue cache pourtant un terrible secret : c'est une vampire qui erre, chaque nuit, en quête de proies dans les rues de Bad City.
Vous allez évidemment me demander: "Quoi, juste un film de vampires?" Ce à quoi je vous répondrai que l'originalité de l'oeuvre vous pète à la figure dès les premières scènes. Réalisé par Ana Lily Amirpour, jeune réalisatrice américano-iranienne, A Girl Walks home alone at night a été construit autour de l'idée, visionnaire, que le vampirisme n'était pas l'apanage de l'occident. La créature ici mise en scène porte donc un tchador tout en se déplaçant sur un skate board. Surréaliste, le film se joue sans cesse des attentes du spectateur, le caresse à rebrousse-poils, ceci pour raconter une histoire qui parle ici encore de liberté, qui ose dire la relativité du mal et poser les fondements d'un amour impossible entre un James Dean à la mode persane et une créatuire à la dérive, dont les quelques préceptes moraux - ne se nourrir que de ceux qui contribuent à la noirceur de la cité - ne tiennent guère face à son insurmontable bestialité. Inutile en revanche de chercher un sens politique à cette vision totalement décalée et d'une noire poésie : dans ce film en noir et blanc d'une élégance rare, nouri des influences de Sergio Leone, de Jim Jarmush, de David Lynch ou même de Godard (mais juste pour la marinière, hein, le reste, elle déteste), Ana Lily Amirpour ne revendique guère que le syncrétisme des cultures comme moteur de son cinéma, manière pour elle de nous rappeler, en remettant incessamment l'idée sur le métier, que nous sommes des citoyens du monde, plus que jamais. Un beau credo que l'on devrait retrouver dans son prochain long métrage... une histoire de cannibales amoureux.