Hello tous,

Les histoires de gars ténébreux aux canines acérées, je n'y peux rien, j'adore. Alors, quand on me propose de vivre la vie du prince des ténèbres himself, forcément, je me sens tout chose. Il se trouve que c'est précisément la situation dans laquelle je me complais depuis maintenant deux jours : c'est dans la peau de Dracula que je traverse les niveaux du dernier Castlevania. Dans le genre, ça ne manque pas de sel, considérant que la franchise, globalement, met en général en scène le palichon en tant qu'ennemi ultime de l'humanité.

 

I. Le contexte

Mais voilà. Il se trouve que les choses ont changé. Les siècles ont passé, et le bon vieux Gabriel, devenu pas tout-à-fait contre son gré la star des midinettes biberonnées à Twilight - elles vont avoir quelques surprises, elles aussi -, a du mal à se remettre de sa dernière rencontre avec Alucard. L'apparition de son meilleur ennemi, Zobek, va cependant le remettre sur le chemin de la bataille : les fidèles de Satan, muselés du temps de la toute puissance du vampire, comptent bien mener à bien leur projet de ramener le roi des Enfers sur terre, cette fois. Et il n'y a guère que notre Dracul pour faire capoter cette affaire.

Par l'odeur de la mortalité et de la rédemption alléché -et un peu aussi parce que l'idée de devenir le numéro 2 du côté obscur ne lui plaît que modérément, non mais -,  celui qui était le pire ennemi de l'humanité décide donc de se mettre à son service. Mais des siècles ont passé, l'empaleur sort de sa cachette pour découvrir une ville qui s'est bâtie sur les fondations de son château. Le monde, dehors, a changé...  Ce qui n'est pas le cas de notre Jérôme : très vite, le voici qui s'offre un casse-dalle d'anthologie, avant de se faire détailler sa mission par Zobek. Le ton est donné, d'emblée : Dracula sera cette fois du bon côté de la barrière, mais il n'en reste pas moins un monstre, qui à plusieurs moments choquera tous ceux qui peuvent penser qu'il rentre dans le rang. Une complexité bienvenue dans un univers d'ordinaire bien plus manichéen (mais pas que, ainsi que me le sussurrait à l'oreille ce bon vieux Gamer aux mains carrées voici tout juste quelques jours, notamment dans les opus Aria et Dawn of Sorrow).

 

2. Un design inspiré, si si !

La première réaction que l'on a face à la révélation de l'intrigue tient bien sûr du scepticisme. Dracula contre Satan, cela fait très série Z de la fin des années 1980. Mais on se rend compte aussi, très vite, que le titre confronte les deux univers sans chercher à leur insuffler davantage de couleur que nécessaire, ce qui permet au titre d'échapper au kitsch. D'un côté, l'on a donc l'univers du vampire, tout de vieilles pierres, d'ambiance gothique et brûmeuse, d'étoffe pourpre soulignant la noblesse dévoyée du personnage. De l'autre, c'est le sang qui sert de fil d'Ariane, dans des mondes mêlant ici la propreté glaçante de laboratoires, là les références au feu de la culture judéo-chrétienne. Les créatures, cauchemardesques (certains boss sont hallucinants), avancent leurs faces déformées, cornues, comme autant d'atrocités venant relativiser la monstrusoité du vampire. Mais le pire, malgré tout, c'est bel et bien cette créature dont vous menez désormais le destin. Dracula frappe, mord et détruit ses ennemis dans des gerbes de sang impressionnantes. Mercury Steam ne voulait pas brider sa création, et c'est clairement, sur un plan visuel, ce choix qui éclabousse l'écran.  Déconseillé aux moins de 18 ans, et ce n'est pas volé, pour le coup.

L'un des aspects les plus intéressants du titres tient à sa structure en étoile. Les fondations du château, intactes, servent de lien entre les différents niveaux et mondes que le joueur est appelé à traverser. A la différence du premier Lords of Shadow, le titre essaye donc de s'affranchir de son côté linéaire pour revenir, à terme j'imagine, vers un univers ouvert totalement ouvert à l'exploration. C'est assez sensible dès le départ : des caches sont inaccessibles et demandent le déblocage de capacités dont on sait qu'elles n'interviendront que bien plus tard dans le jeu. C'est également ce qu'a confirmé le producteur du titre, Dave Cox, dans l'interview qu'il m'a accordée voici quelques semaines. Bref, revenons au point qui m'intéressait : ce Castelvania renoue, en termes de game design, avec les traditions de la saga, qui a toujours fait du château l'épicentre de son univers. L'originalité avec laquelle cette constante est réintroduite mérite d'être saluée.

 

3. Frapper, mordre, fuir

Je n'ai pas encore évoqué la jouabilité. Il y a beaucoup à dire. Primo, dans les attaques de base, qui reviennent peu à peu à mesure que le vampire recouvre ses pouvoirs : l'attaque basique consiste en une sorte de fouet de sang qui renvoie, clin d'oeil avisé ici encore, au gameplay traditionnel de la saga. Elle s'accompagne de combos avec l'épée du vide, qui permet de reprendre de la vie à chaque attaque, et d'autres avec les poings du chaos, qui agissent comme des brise-garde.  La présence de ces trois possibilités rend les combats assez stratégiques, puisqu'il s'agit, face à des adversaires puissants, de bien alterner les trois offensives afin d'affaiblir leur garde avant d'enchaîner, tout en maintenant un niveau de vie décent. Le dash, qui s'active à partir de la position de garde, est également un outil redoutable, puisqu'il permet de renverser des ennemis avant de lancer des combos. Enfin, Dracula retrouve progressivement des facultés spécifiques, en mettant la main sur des reliques : il pourra geler ses ennemis, projeter du sang ou même perturber un adversaire trop fort via une nuée de chauves-souris. Riche et plaisant, d'autant que la gestion des caméras, libre, a été optimisée depuis la version démo : l'ensemble se contrôle extrêmement facilement, même si l'ensemble n'est pas exempt de quelques petits bugs à l'occasion. Rien de dramatique cependant.

Partant, Dracula reprend les armes en étant devenu relativement faible. Cela signifie que les combats ne sont pas toujours la meilleure solution. C'est ici qu'est introduite la notion d'infiltration, décriée ici et là. Soyons clairs : elle n'a pas la prétention de s'ériger en point fort du titre, mais plutôt d'offrir des temps de respiration entre les carnages et les moments de pure exploration. En ce sens, elle peut être comprise, voire acceptée, quand bien même, soyons honnêtes, elle ne transportera jamais les foules par son originalité.

Pour ce que j'ai pu voir du jeu pour l'instant (6 heures bien tapées, sans traîner), cette conception de l'infiltration passe par la transformation de Gabriel en rat. La chose fonctionne assez simplement : il suffit de trouver un coin d'ombre pour activer la mutation. Dracula peut alors évoluer dans les niveaux depuis un point de vue différent,  mais aussi en affrontant de nouveaux types de danger : les gardes et adversaires n'aiment guère la vermine, et peuvent l'écraser d'un coup de pied ou d'épée. Mieux vaudra s'en tenir aussi éloigné que possible, sachant que le vampire devenu poilu est accompagné d'un petit groupe de neuf rats, qui symbolisent ses "vies" en tant que vermine. Passer sous une presse au mauvais moment pourra annihiler tout le stock de rats en une fois, cependant. Une astuce fondamentale est à retenir : le rat est assez peu maniable au stick gauche. En revanche, la gestion fine de sa trajectoire peut être maîtrisée via le stick droit, en jouant avec la caméra. Une idée intéressante, qui rend le gameplay finalement assez plaisant. Mercury Steam a également l'intelligence de ne pas abuser de ces temps d'infiltration : on n'a jamais le temps de vraiment s'en lasser, à moins de rester coincé sur un puzzle réclamant une subtilité à laquelle on n'aurait pas forcément pensé.

 

 

4. Une technique maîtrisée

Sur un plan purement technique, j'ai l'impression que l'aliasing dont souffrait la démo est globalement mieux contenu dans la version finale, sans doute aussi parce que j'ai fait le choix d'installer le titre sur le disque dur de la console, mû par la promesse de performances améliorées. Il en résulte un titre visuellement plaisant, à la profondeur d'affaichage parfois étonnante, et esthétiquement très inspiré. Si l'âme du titre repose sur sa composante gothique - les environnements urbains sont parfois hallucinants -, Lords of Shadow 2 se nourrit de sa production délocalisée hors du Japon. Les influences gréco-romaines y sont présentes (dans les ennemis notamment), mais le titre amène également beaucoup de sa nature ibérique. Dave Cox me parlait d'un Gabriel évoquant un matador dans sa démarche, et je suis assez en phase avec cette idée. La culture espagnole coule dans le jeu, jusque dans les architectures, qui mêlent au passage des influences françaises et slaves.

Bref, tout n'est pas toujours heureux - mon dieu, ces laboratoires (et ces gardes armés de grosses pétoires, sic!) qui servent de premier véritable niveau sont une horreur, en plus de nier tout ce qui fait l'identité visuelle de la saga - mais le titre excelle dans la représentation du gothique au coeur de la modernité. Et ceci sans que jamais le frame rate n'en vienne à sourciller.

 

5. A conseiller, ma bonne dame ?

Lords of Shadow 2, à la lumière de ces différents éléments, manie le chaud et le froid. Oui, les phases d'infiltration y sont décevantes, oui encore les choix de design - quelques niveaux mais surtout certains ennemis qui clairement n'ont rien à faire dans le jeu - laissent parfois à désirer, et oui enfin, le titre marche sur les pas d'un God of War, sans chercher à faire réellement preuve d'originalité en termes de jouabilité. Mais Mercury Steam a réussi son jeu sur d'autres aspects, la représentation du gothique affronté aux temps modernes, le moteur de jeu fluide, la richesse du gameplay et des références culturelles, la mise en scène du "héros" - boule de regret, de peine et de méchanceté - et, surtout, la construction du titre elle-même, qui renvoie aux opus les plus classiques de la franchise. L'un dans l'autre, Lords of Shadow 2 réussit, surtout, en parvenant à maintenir l'intérêt du joueur des heures durant. Tenir un pad trois ou quatre heures d'affilée, sans m'en rendre compte tant je suis pris par l'histoire, cela ne m'arrive plus si souvent. Cela reste néanmoins à confirmer, alors on se reverra très vite pour le verdict final. D'ici là, j'ai encore quelques jugulaires à arracher prestement...

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Pour retrouver, en accès libre, le papier pro que j'ai consacré au sujet, nourri d'un entretien avec Dave Cox, le producteur du jeu, c'est par ici : https://www.dna.fr/culture/2014/02/22/les-vampires-aussi-ont-le-droit-de-pleurer