Hello tous,

Vous allez finir par penser que je le fais exprès. Promis, True Detective, ce sera pour le prochain post. Mais là, ce soir, il faut absolument que je vous parle d'un moment de TV que j'attends chaque week-end avec impatience depuis bientôt un an. Rien de bien spectaculaire, mais une série poisseuse comme on les aime, pas manichéenne pour un sou, noire comme l'ébène et capable d'une violence proprement démentielle. Attention âmes sensibles, ce soir, c'est de Banshee que nous allons traiter. Et j'en frissonne déjà d'excitation rien qu'à la perspective de vous faire découvrir ce monument instantané du PAF Outre-Atlantique. Je vous préviens de suite : d'aucuns aduleront cette série pas comme les autres, d'autres adoreront la détester.

Tout a commencé en janvier 2013, sur la chaîne payante américaine Cinémax. A ce moment-là, rien ne laissait présager de l'énorme claque qui s'annonçait. Le trailer semblait un peu trop conventionnel pour être  honnête, et l'esthétique surfer sur une mode mi-trash mi-léchée qui constitue désormais bien souvent la norme pour tous les rendez-vous TV tentant de draguer un public autre que la ménagère de plus de 40 ans. Bref, rien de bien passionnant, a priori, sous  les cieux du petit écran. On se trompait, et lourdement.

Car Banshee, ce n'est pas une de ces bluettes bien mignonnes dont raffolent les familles made in USA. Derrière le pitch, dont nous allons parler un peu plus bas, se cachent Jonathan Tropper et David Schickler, deux romanciers qui s'essayent ici aux joies de la scénarisation version revenge movie tendu comme une corde de string, mais aussi un certain... Alan Ball (le créateur de True Blood), à la production. Et leur propos est limpide : pas de circonvolutions narratives inutiles, ici, on entend faire dans le viscéral, l'ultra-violent, histoire d'embarquer sur un grand huit émotionnel qui fait passer par tous les stades, peur, colère, culpabilité, amour, haine, parfois tout cela en même temps. Ce qui tombe plutôt bien : la chaîne Cinémax, qui produit la série, n'est pas du genre à avoir froid aux yeux, et se fend de proposer des programmes plus osés et borderline qu'à l'accoutumée.

Le premier épisode, pourtant, se déguste sans enthousiasme débordant. Un ex-taulard (Anthony Starr) débarque un beau matin dans une petite bourgade de Pennsylvanie appelée Banshee. Direction le premier bar des environs, où se présente une opportunité pour le moins inattendue : le nouveau sherif du patelin, que personne n'a encore rencontré, se fait dézinguer sous les yeux de notre gaillard dans une rixe qui tourne mal. Ni une, ni deux, ce dernier saisit l'opportunité pour usurper l'identité de la victime, et passe d'un coup d'un seul dans le camp adverse. Mais c'est que Lucas Hood - le nom qu'il emprunte au sherif décédé - a une idée derrière la tête : retrouver son ex et ancienne complice, qui a échappé à la prison, afin de mettre la main sur les bijoux que le duo avait autrefois dérobés. Nettement plus simple quand on a les moyens de la police à sa disposition...

Long d'une petite heure, le pilote manque un peu de souffle, et surtout interroge sur la capacité d'une intrigue a priori si convenue à tenir sur la durée. Pourtant, quelques lignes force invitent à aller plus loin, d'emblée. Hood a la violence chevillée au corps, et ne craint pas d'en user et d'en abuser. Et tout est là, dans ce paradoxe constant entre les âmes souillées qui servent de carburant à l'histoire et l'environnement dans lequel celle-ci déroule bientôt son fil : ici vit la campagne, le monde des fermes et des petites gens attachées à leur quotidien. C'est la terre des Amish, c'est le monde des Indiens - une réserve n'est pas loin. Soleil et ciel bleu contre la noirceur du personnage principal. Soleil, ciel bleu et justice dévoyée pour lutter contre ceux, plus noirs encore encore, qui font du mal à la cité. Car Lucas Hood a, à défaut de morale, une sorte de code d'honneur. Un sens de la justice bien à lui qui le pousse parfois à pratiquer, de manière insoutenable, la loi du Talion.

Oui, fondamentalement, la chose est simple, de prime abord. Hood carbure à la colère, et c'est cette colère qui imprègne  toujours plus la série, épisode après épisode. C'est cette colère que le spectateur fait sienne quand, dans l'épisode 3 de la première saison, le sherif monte sur un ring pour détruire - j'utilise le mot sciemment - le pourri qui a violé et torturé une jeune femme et qui se pense à l'abri parce qu'il est une star de MMA. Evidemment, il y a les conséquences, toujours les conséquences. La justice qui se rapproche, le risque d'être reconnu, les smartphones qui enregistrent la scène et la diffusent sur YouTube, au risque d'alerter d'anciens ennemis bien plus redoutables encore que ceux que Hood s'est faits à Banshee.

Et puis, il y a ce refus du manichéisme, on en parlait. Les ennemis d'un jour sont les alliés du lendemain. Banshee, la série, parvient à donner une image tordue de cet american way of life mis en musique par tant de films et de bluettes TV, celui dans lequel tout le monde s'entraide pour tirer la communauté vers le haut. Dans Banshee, on se serre les coudes, oui, mais on finit immuablement avec du sang sur les mains, des tripes sur les chaussures et un bout de cervelle dans les cheveux. La violence, toujours elle, fait mal, terriblement mal, marque au fer rouge chaque scène dans laquelle elle se déploie.

Banshee ne craint pas de choquer, de prôner des valeurs douteuses - la justice personnelle -, de céder à la facilité de l'érotisation même, en compagnie d'actrices bien souvent ravissantes qui livrent leur plastique à la caméra sans fausse pudeur. En fait, Banshee se fout éperdument qu'on lui reproche de flatter les bas instincts, parce que ce sont précisément eux que la série dépeint, à travers les déviances, les psychoses, les traumatismes de tous ceux qui en font le sel du quotidien. Le glaçant Kai Proctor (Ulrich Thomsen), tiraillé entre sa culture Amish et son goût pour le vice, incarne à lui seul toute la duplicité de cette bourgade dont l'innocence a tout d'un vernis en passe de s'écailler. Sous le charme des fêtes de famille, des temps forts de la vie de la petite communauté, se cache une ombre gigantesque dont on saisit chaque semaine davantage qu'elle pourrait bien mener la bourgade à sa perdition...

Dotée d'une esthétique léchée et d'une bande son assez ahurissante, la série Banshee a aligné dix épisodes pour sa première saison. Succès d'audience à défaut de faire l'unanimité critique - certaines attaques sont particulièrement violentes, qui reprochent à cette production un côté par trop vil et décérébré - elle s'est vu offrir une deuxième saison, laquelle a débuté début janvier. Les deux premiers épisodes laissent à penser que la série se dirige vers de nouveaux sommets.

Canal +, de son côté, diffusera Banshee courant 2014 dans l'Hexagone. Je ne peux que vous conseiller de vous y confronter : pour ma part, j'y vois un de mes gros, gros coups de coeur TV de ces dernières années...