On entend ici et là la grogne montante des éditeurs, insatisfaits des performances commerciales de la Wii U. Ils ne s'embarrassent même plus du ton diplomatique d'usage, le jeu vidéo est une affaire de gros sous, de profondeur de gamme, de cross platform, d'annualisation à marche forcée des blockbusters. A commencer par le plus détestable d'entre eux, Electronic Arts. Pourtant, celui-ci avait fait amende honorable il y a quelques semaines. Juste après avoir reçu la distinction suprême de l'entreprise la plus haïe des Etats-Unis. Et sûrement ailleurs.
 
Mais chassez le naturel, il revient au galop... Un obscur porte-parole vomit tout son vocabulaire capitalistique pour justifier le désintérêt d'EA, rapidement rejoint par le techno-centré DICE, docile chien de chasse affairé à compter les poils du berger allemand de CoD Ghost, star canine du prochain poids lourd d'Activision. Konami se désespère également de la faible pénétration de la nouvelle plate-forme de Nintendo. Et le fait savoir aujourd'hui, par un tweet maladroit et malvenu. A la marge, le clown Patcher ne fait plus rire. Son vocable est usé et lui certainement ruiné d'avoir vendu à découvert des actions Nintendo.
 
Editeurs, distributeurs et une clic d'analystes sont donc déçus tout en feintant d'être surpris. Déçus d'être une seconde fois mis sur la touche par le géant japonais, par autant d'innovations qui, si elles restent encore à être adoptées par le public, marquent une stratégie qui rejettent les gigantesques intérêts financiers des éditeurs soucieux de rentabiliser au plus vite leur coûteux moteur 3D. Nintendo se rêve moins en suiveur qu'en créateur, et elle seule peut se payer le luxe de se froisser avec les puissants de l'édition. Elle en joue même. Son idylle avec Ubisoft est calculée. Le numéro trois mondial dispose désormais d'un boulevard sur Wii U grâce à l'auto-exclusion des EA, Activision, Konami. Tôt ou tard, ces derniers ravaleront leur langue car ils ne peuvent être indifférents au marché Wii U, ne serait-ce que pour plaire ou rassurer les investisseurs accrochés à la croissance de parts de marché ainsi qu'à la santé du bilan comptable.
 
Les éditeurs qui fustigent Nintendo se reprochent en réalité, leur propre impuissance créative face un dispositif intelligent qu'ils ne comprennent pas. Les joueurs Wii U n'attendent pas de copier/coller, ils cherchent à travers les multiples innovations de rupture une autre manière de jouer : le divertissement créatif multi-écrans. Le constructeur sait qu'il lui incombe de défricher le terrain, de montrer la voie. Ce sera chose faite à l'E3. Après avoir joué la montre pendant plusieurs mois dans le but d'éviter un plagiat venant d'une concurrence plus affûtée que jamais (SmartGlass), la déferlante de titres innovants et audacieux rassurera les joueurs les plus désorientés autant qu'elle inquiètera ses compétiteurs.
 
Nous assistons donc à la dissipation d'une situation de blocage dont Nintendo a été l'otage et l'acteur. L'occasion inratable de se délecter d'un retournement de veste parmi les pourfendeurs les plus remuants. Une figure de style obligée de l'écriture marketing.