Qui est le président actuel de Nintendo ? Comment et par qui a-t-il été propulsé à la tête de la plus puissante société éditrice de jeux vidéo ? Cet article résume le parcours d'un homme providentiel qui aura en quelques années, redressé de manière spectaculaire Nintendo. Reste à dresser une feuille de route précise. La Wii U peine à l'écrire.

"Sur ma carte de visite, je suis un président d'entreprise. Dans mon esprit, je suis un développeur de jeux. Mais dans mon coeur, je suis un gamer."

Après un demi-siècle de règne sans partage sur l'entreprise familiale, M. Hiroshi Yamauchi a cédé son fauteuil de président de Nintendo à un illustre inconnu, M Satoru Iwata. Homme de l'ombre et peu habitué à l'exercice du pouvoir, c'est pourtant lui qui a principalement oeuvré (avec l'appuie de Miyamoto) à la création de la Gamecube et redynamisé le portfolio vieillissant de Nintendo. C'est néanmoins dans un contexte délicat qu'il a pris les rennes d'une société en proie au doute, avant de faire revenir Nintendo sur la voie royale du leadership mondial.

Après des années de prospérité sous l'ère Yamauchi qui a su transformer une simple entreprise spécialisée dans les jeux de société en leader incontesté des divertissements électroniques, sa fin de règne est marquée par des choix stratégiques hasardeux qui ont fragilisé Nintendo. Support de stockage obsolète (port cartouche de la N64 face au CD-ROM), brouille avec des éditeurs clefs (Square-Enix), inadaptation à l'incertitude économique (concurrence plus avenante) ont poussé (en plus de son âge avancé) M. Yamauchi à démissionner de son poste. Quelques années auparavant, la mise en avant sur la scène médiatique du flamboyant Miyamoto avait un temps laissé envisager cette personnalité charismatique comme candidat naturel à la succession de Yamauchi. Désintérêt pour le pouvoir ou écarté par le président sortant, c'est contre toute attente que M. Iwata est intronisé comme nouveau président.

Propulsé sous les feux des médias lors de l'E3 qui a célébré la présentation de la GameCube, M. Satoru Iwata a étroitement été associé au renouveau de Nintendo. Homme discret, il a dirigé le HAL Laboratory (dept. R&D) qui représente le centre névralgique de Nintendo. Cette filiale est responsable de plusieurs concepts (party game) et franchises (Kirby) devant à l'origine, seconder le travail créatif de Miyamoto mais grâce à leurs succès commerciaux, M. Iwata a pris une importance grandissante dans la société. Son profil de développeur ne le destinait pas à une fonction de haute direction, cependant d'après M. Yamauchi, il incarne à lui seul la culture d'entreprise de Nintendo qui se fonde sur la créativité. Confier le devenir de la société à un industriel aurait constitué un trop gros risque pour l'identité et la stabilité sociale de l'entreprise.

Pendant les premiers mois de sa présidence qu'il a partagé avec M. Yamauchi afin d'assurer une transition en douceur à Nintendo, ses multiples déclarations aux médias n'ont été que reprises des discours du président sortant. Ses positions réfractaires sur le jeu en ligne comme les critiques récurrentes des succès faisant l'apologie de la violence ou de la prouesse visuelle n'ont pas aidé l'homme à assoir sa propre autorité. Prisonnier de l'autoritarisme finissant de Yamauchi, ignoré par les médias, jugé terne et trop pondéré, ces derniers n'ont cessé de courtiser Miyamoto écartant de facto le dauphin de M. Yamauchi. M. Iwata n'a véritablement pris son indépendance d'esprit que lorsqu'il a commencé à assumer seul l'exercice du pouvoir. Pour marquer cette liberté de ton nouvellement acquise, il n'hésite pas à égratigner son mentor (sans citer son nom) en déclarant au Nihon Keizai Shimbun: "mon prédécesseur était un génie doté d'un bon flair pour deviner les attentes des joueurs, mais je veux appliquer une approche plus scientifique pour connaître les besoins des consommateurs". Conscient de l'omniprésence de Miyamoto à travers les médias, M. Iwata, après un discret accompagnement durant les conférences de presse, n'hésite pas à écarter celui-ci pour s'imposer comme interlocuteur incontournable.

Depuis, la personnalité effacée de M. Iwata a montré des qualités de manoeuvrier que pourraient lui envier ses homologues de Sony et Microsoft. Nouvelle approche marketing (adulte mis en scène), réconciliation avec les ennemis d'hier (Square), achats d'exclusivités de jeux matures (Resident Evil), c'est sous son impulsion que diverses assouplissements et réformes s'organisent. Alors que les premiers préparatifs de la GBA 2 ont été explorés sous l'ère Yamauchi, c'est lui qui initie et oriente le positionnement d'un format aux contours ludiques inattendus, la DS. Cette plate-forme chargée de susciter la curiosité créative des développeurs est compatible en natif avec les nouveaux divertissements numériques et formes communicantes.

Cette petite révolution annonce une inflexion stratégique majeure dont le concept tout en rupture de la Wii représentait la concrétisation. Sa communication se veut plus moderne et plus engagée (participation au GDC). Dans ses multiples interventions, ce dernier met l'accent sur les capacités de Nintendo à assimiler les nouvelles technologies, à redynamiser son catalogue de jeux vieillissant et  à multiplier les partenariats voire prise de participation vers les éditeurs-tiers. Ainsi, nouvelle interface joueur-console, ouverture vers le jeu en ligne et option dans le cinéma de synthèse deviennent de vrais éléments de communication destinés à changer la pesante image de marque (société conservatrice) héritée des années Yamauchi. Le jeu vidéo est devenue une industrie de masse, Nintendo réagit avec maturité par une maîtrise de la communication de crise (démentit immédiat des rumeurs, confiance marquée dans l'avenir (augmentation du budget R&D)) et concurrentielle (embargo ou confuses déclarations destinées à jeter un écran de fumée sur les futurs projets).

Les principaux chantiers à venir qui s'imposaient à M. Iwata, étaient de se soustraire à cet effet de ciseaux: concurrence exacerbée et contraction du marché. Convaincu qu'une force de frappe marketing inique conduit ses deux compétiteurs à s'aliéner une partie des joueurs (prolifération de médiocres jeux à licences et multiplications de fonctions annexes qui dépassent le simple cadre ludique) et que le redressement du géant japonais passe nécessairement par de nouveaux modes d'interactions qui élargiront l'audience à un public non-joueur, c'est dans ce contexte tendu que M. Iwata (considéré jadis comme un patron d'intérim) relèvera les défis d'une succession qui s'annonçait pourtant très délicats à négocier.

Au nom de la passion, il défend ses positions : << j'aime à penser que la clef de la réussite de Nintendo qui développe en interne ses plates-formes et ses jeux, est de créer de nouvelles expérimentations en anticipant sur les attentes des joueurs. >> Au nom de l'engagement, il prône l'ouverture, caresse l'idée que la Wii aurait pu être dans bien des aspects différents : << l'avenir de la Wii aurait pu être renouvelée d'une toute autre façon si Nintendo s'était mieux entouré. >> L'homme prône une révolution dans la culture d'entreprise, celle de passer d'un comportement quasi autarcique à la collaboration plus étroite avec des entreprises extérieures.

Les 85 millions de Wii écoulées dans le monde libère sa parole, abandonnant sa nature abrupte et réservée pour attester d'un intérêt manifeste pour l'aspect opérationnel de la société, se sentant suffisamment légitime pour se jeter au coeur des luttes intestines de pouvoir et de reconnaissance. Iwata a connu la scène médiatique forcée, a jadis préféré les fonctions non exécutives aux responsabilités écrasantes. Avec ce bilan exemplaire qui parachève la transformation de Nintendo en leader mondial incontesté, il se prépare à un nouveau rôle. Cette fois, il ne pilotera plus en tandem forcé du temps de la planification de la Wii.

Il a démontré ses capacités de dirigeant (entreprendre en pleine connaissance des risques industriels, pour un créatif ces notions ne sont pas complètement acquises), porte en lui les nouvelles valeurs de la société et souhaite dorénavant accélérer la transformation interne de Nintendo. La Wii a transformé le marché des consoles de salon, la concurrence montre une inhabituelle audace à y répondre (le Move dans une moindre mesure, Kinect dans sa démonstration la mieux exploitée). A son tour, l'iPhone a bouleversé les conditions de jeu en situation de mobilité. Il est par conséquent urgent pour Iwata d'engager les réformes nécessaires afin de saisir au mieux les opportunités de marché qui se présenteront. En cela, il faudra décloisonner le marché des consoles de salon et format de poche et se donner une envergure indispensable à l'offre de rapprochement avec les géants du multimédia et réseaux sociaux (acquisition ciblée et croissance interne). Un véritable défi qu'Iwata s'engage à relever.

Il faudra néanmoins qu'il dépasse la dimension affective de son prédécesseur afin d'entamer les réformes nécessaires. La succession commence forcément par une rupture.

Satoru Iwata est parti à l'âge de 55 ans.