Enthousiasmé par la Wii, voici ce que je disais d'elle après la présentation en grande pompe de la console. Elle aura soulevé une montagne de scepticisme et bien que numéro un mondial aujourd'hui, subsite encore cette défiance évoluant à contre-sens de l'histoire...

 
La Wii, anatomie

Plus de 20 ans après avoir créé le design de la manette de la NES qui s'est imposée d'elle-même comme standard incontournable, Nintendo propose de dépasser le schéma classique de communication entre le joueur et sa console par l'introduction du langage corporel. Il ne s'agit pas ici pour le géant japonais d'introduire un périphérique sensoriel à une nouvelle console mais bien d'approfondir une expérience acquise depuis deux décennies dans le but de positionner son nouveau format, la Wii en média d'expression corporelle. De la position assise à cours de ressources expressives, celle de la résignation selon le nouveau paradigme de Nintendo, se succède dorénavant une sédentarité virtuelle.

La stratégie de différenciation de Nintendo ne répond pas seulement à des impératifs commerciaux mais aussi et surtout à aller à contre-courant d'une industrie inquiète d'elle-même. Inquiète d'une tendance à la complexité croissante de la manette qui pousse le secteur à s'aliéner un plus large public: "La sophistication est bienvenue mais trop de complication exclue les nouveaux joueurs" déclarait M. Iwata au magazine Edge. Pourtant durant les dix dernières années de nouvelles interfaces vocales et sensitives sont apparues sur le marché du jeu vidéo. Cependant chacune d'entre elles ont peu ou prou rencontré leur public. L'exemple le plus probant est l'EyeToy.

Bien qu'il renferme un potentiel innovant, ce périphérique optionnel basé sur la capture de mouvements est rapidement tombé en désuétude en raison du manque de soutien de la communauté des développeurs et de la faiblesse technique de la PlayStation 2, l'EyeToy mobilisant près de 70% de ses ressources, la console de Sony n'est disposée par conséquent qu'à proposer des jeux à rubriques, morcelés en une série de plans et de saynètes au gameplay sibyllin. Comme si la possibilité de jouer en mode synchronisation corporelle avec des fragments de jeux était le seul découpage possible de cette technologie.

L'évolution de l'EyeToy (Le Move, copie conforme à l'originale, la complexité en plus) qui équipera par défaut la PlayStation 3 est encore au stade de la rhétorique science-fiction comme en témoigne involontairement M. Phil Harrison, l'ancien président de SCEE prenant comme exemple le film Minority Report: "Nous pourrons isoler le mouvement de l'oeil et celui plus compliqué du doigt et la prochaine étape sera la capture émotionnelle du joueur". Le Wii Vitality Sensor tentera cette approche afin de rendre l'expérience dans un jeu d'horreur par exemple, beaucoup plus palpable pour le joueur.

Les détracteurs reprochent souvent à Nintendo d'opérer un double mouvement régressif: celui de se reposer sur ses acquis (franchises surexploitées) et de promouvoir un jeu vidéo désargenté (désintérêt de la course technologique). Le nom de code Revolution n'était pas en cela un choix hasardeux ni péremptoire. il marque à la fois un aboutissement et un dépassement de ces états de faits. Les licences du géant japonais sont arrivées à maturité en terme de créativité, cette nouvelle interface proposera des rapports beaucoup plus construits et inventifs en terme de gameplay plutôt que de s'engouffrer dans la surenchère technique (complexe du 60 i/s...), sens inverse de la vitalité du jeu vidéo selon le japonais.

L'action a en effet tendance à se perdre dans la contemplation passive, dans la sublimation "HD" des décors plus proches du statisme pictural que de la dynamique propre au jeu vidéo. Aussi, après avoir exploré le potentiel de ses icones dans leur univers de pastel puis étendue leur champ d'exploitation commerciale dans les jeux d'éditeurs (jeux EA...) sans qu'aucune illustration singulière du gameplay ne naît de cette rencontre, cette nouvelle interface révéla un nouveau mouvement de circulation des idées, comme l'usage inventif du stylet de la DS le démontre avec anciennes (Mario 64, Kirby) et nouvelles franchises (Nintendogs, Brain Training). Le design de la Wii ne repose pas non plus sur un choix fortuit, la politique de Nintendo consiste sciemment à maintenir une hésitation entre jouet interactif et console de salon afin de s'assurer l'attention d'un plus large public que sa chasse gardée ne lui aurait accordé. Et qu'elle conteste encore et encore.

Ainsi, pour lui éviter le même caractère minimaliste de l'EyeToy, l'interface de la Wii deviendra polyvalente. Elle est composée d'un stick analogique et d'une télécommande modifiée qui peuvent s'utiliser indépendamment pour un confort plus traditionnel (à l'adresse des développeurs attentistes ou frileux) ou se complèteront pour des sensations immersives décuplées (les propositions avant-gardistes et expérimentales de Nintendo).

Dans les deux cas de figure, la manette propose deux logiques d'utilisations différentes mais leur assimilation est rapide pour tout public. En cela, la mise en image de l'interface de la Wii est éclairante sur plusieurs points. La démonstration de plusieurs tableaux de jeux, de portraits de personnes (grand public, joueur confirmé) et de CSP (cuisinier, retraité...) que l'usage révélé d'un objet quotidien (télécommande TV) permettra à tout un chacun de vivre sa propre expérience, d'avoir le sentiment d'interpréter le personnage joué dans le milieu où il évolue: dans un mode de confrontation (un joueur pourfend d'un geste rapide son espace pour copier la même souplesse élastique des animations virtuelles du personnage); dans un mode de collaboration (relation professionnelle, amicale, familiale et intergénérationnelle lors d'un événementiel); dans un mode fonctionnel (métaphore gestuelle des maestros en herbe) et pour ce qui sera probablement utilisé dans des mini-jeux: légèreté, poids, force (geste improvisé puis animé de curiosité de la femme allongée sur son canapé...).

On le voit dans ces nombreux exemples applicatifs, à la matérialité sonore et visuelle diffusée par le téléviseur s'ajoutent la présence et la participation dynamique du joueur pour produire comme le souligne Michel Ancel d'Ubi Soft, une reconstitution de l'univers virtuel en dehors de l'écran de télévision: "Maintenant, vous pouvez saisir aisément des objets virtuels, faire des signes de reconnaissance [...] une sensation proche du monde réel" .

La sollicitation sommaire de l'activité simulée (pouce raidie par automatismes ou inclinaison d'un stick pour animer un monde sans vraiment y pénétrer) s'émancipe pour s'adapter à notre expression naturelle (gestuelle) et obtenir ainsi un maximum de précision et d'immersion sans y opposer une interface complexe (nombreux boutons). Cette interface familière (après le stylet de la DS) permettra donc à chaque utilisateur d'expérimenter par un travail corporel et en pleine improvisation, une écriture spatiale et dynamique du jeu vidéo.